Au pays du p’tit, présenté comme un roman par son éditeur ressemble davantage à un essai néo-libéral. Un essai romancé, donc. Le livre, très soutenu et particulièrement abouti, dresse un portrait au vitriol de la France et – surtout — des Français, depuis la Libération et les Trente Glorieuses. L’universitaire Romain Ruyssen est un brin poseur et arrogant : il se rend de Moscou à l’Iowa pour faire la promo de son premier livre... Les émissions de radio, les colloques, les mails et autres pseudos Facebook se succèdent en alternance pour clamer sa haine de soi, des autres, ce qui semble justifier les attitudes revêches qui l’accablent.
Le 30/03/2016 à 14:47 par Laurence Biava
Publié le :
30/03/2016 à 14:47
Nicolas Fargues raconte un salaud assez classique, play-boy de son état, prédateur assommant, dont les ébats dépeignent un individu veule et un opportuniste. L’histoire est bien menée avec des rencontres et aventures parallèles qui tiennent en haleine le lecteur jusqu’au bout (l’avant-dernière saynète est un sommet d’humour). Ce Ruyssen se révèle un fieffé menteur que l’on passerait volontiers sous la lampe de la vérité ou au détecteur de mensonges. Mis en face de ses contradictions, ses interlocutrices qui possèdent un caractère bien trempé, lui répondent avec panache.
Nicolas Fargues dépeint un antihéros servile, pris dans une gangue de douleur propre aux sado-masochistes. Ce livre n’est-il pas le prétexte idéal pour dire ce qu’il pense et avec ô combien de verve critique sur ce satané Français, pathétique, partout, tout le temps, à l’étranger et… Jusqu’à son sourire. Il est clair que cet antihéros voudrait nous être rendu comme quelqu’un de détestable à aimer : en vérité, et à mon sens, il se produit l’effet boomerang. Ruyssen attire la compassion, la compréhension et l’indulgence du lecteur pour cette raison précisément acculée qu’il est face à son cynisme, son arrogance, cette haine de soi, ces tentatives pour sauver la mise en usant de faux-semblants qui traduisent son égoïsme et son désenchantement...
J’enseigne la sociologie à l’université et j’ai 44 ans. Je viens de publier une étude violemment critique sur la culture et les mœurs françaises et je n’accorde plus d’importance à grand-chose dans la vie. Sauf, peut-être aux femmes, et aux voyages. Je dis peut-être, car ce n’est pas aimer les femmes que de jouer avec leurs sentiments à des fins exclusivement prédatrices. Quant aux voyages, si c’est par haine de mon propre pays que j’y consens, je n‘en vois pas l’intérêt non plus.
Plusieurs pistes de réflexion et d’analyse sont avancées : la littérature française et sa perception de l’édition vu de l’étranger, la colonisation, les blancs et les non-blancs dans la toute dernière partie de la fin, le cinéma n’est pas épargné qui permet à Ruyssen à travers l’allusion à des films et comédies de parfaire son programme de destruction massive et de crier sa honte d’être français. D’ailleurs, à l’Université américaine où il doit se rendre, le français et l’italien ne sont-ils pas considérés comme les parents pauvres du reste du monde ? Et la fameuse exception culturelle ne serait elle pas par hasard devenue objet de risée collective ?
Nicolas Fargues n’a jamais caché détester les Français et plus particulièrement les débats franco-français, entre autres, dont il parlait avec véhémence dans un de ses premiers livres (je me souviens d’une scène au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice). Il enfonçait déjà le clou, révélant toute sa force, sa puissance de frappe littéraire, et intellectuelle. Ici, rien n’est nouveau, mais amplifié. Amplifié, exacerbé, limite cathartique.
La maturité littéraire aidant, il exagère les défauts, pour faire manifestement sortir le vers du fruit. Et toute cette étroitesse française, ce ricanement généralisé, ces onomatopées, cette logorrhée, ces locutions verbales, ces locutions toutes faites, ces tics et « odeur de chien », tous ces clichés attenant à la France, ce sourire français, ces us et coutumes, cette bonne conscience de gauche, ces manies et ces manières, et ce français dit de souche et les autres, les lettres francophones, la départementale de campagne de Raymond Depardon, la France battue à plates coutures, il est vrai que… c’est exaspérant ! Comme cette façon de s’exonérer de penser du mal de. De vouloir à tout prix se racheter une conduite. Non, le vrai mal de la France, dit Nicolas Fargues, c’est son manque d’humour. Concédons que ce n’est pas faux.
« … Rien de vraiment nouveau là-dedans, poursuivis-je avec assurance. Ce qui est intéressant, c’est plutôt de constater à travers cette enquête combien Londres aura changé nos compatriotes l’espace de leur séjour. Perçue depuis une France restée, disons-le, assez provinciale par rapport au monde anglo-saxon, Londres c’est un peu l’Amérique. Là-bas, avec la langue et le lien historique que l’Angleterre entretient avec les États-Unis, nos compatriotes se sentent au cœur du monde moderne. Presque les figurants d’un long métrage hollywoodien permanent. Sous l’effet de la fascination, ils adoptent en quelques semaines des comportements qu’ils n’avaient pas en France. »
Nicolas Fargues s’est révélé être un des meilleurs écrivains satiristes depuis ses débuts prometteurs en 2000. Ses considérations au vitriol en font l’un des plus brillants rejetons houellebecquiens. Les accointances avec Houellebecq, qu’il admire, se précisent depuis la ligne de Courtoisie. Affaires de temporalité, de tempos, de climats, de sémantique aussi et de la manière de peindre et croquer l’époque. Le refus de subir, le désir de demeurer libre est la ligne principale de ce livre, quelquefois caricatural, mais résonnant souvent très juste. À ce titre, on pourra le trouver engagé, voire avec une vision politique clairement assumée.
Au pays du p’tit s’affirme comme une suite logique au reste qui l’a précédé. On chemine totalement et en confiance dans cette histoire rondement menée et maîtrisée. Le comique des situations est rodé, les traits d’esprit sont nécessairement dosés. Pas un mot en trop. Comme d’habitude, il y a de très belles descriptions et de savants monologues s’imbriquant là où les questions préfigurent toujours les réponses. La morphopsychologie est fine, presque obsessionnelle, c’est sans doute toujours dans un souci de perfection, et les réflexions se superposent, ne laissant jamais le lecteur sur sa faim.
Voici donc, en vérité le labyrinthe intérieur de Nicolas Fargues. Le double démoniaque s’empare de lui. Il devient symptôme vivant avec des traits exagérément grossis pour mieux lapider à outrance. Il faut parler de cette écriture, comme une gymnastique du regard, de la parole, qui saisit l’instant présent, les tics et manies pour mieux se sentir appartenir au monde et le capturer.. Parfois, Fargues titube et découvre ce dont il n’est pas maître. Il transforme cette maladresse en se laissant déporter par ce qu’il écrit. On sent qu’il ne s’interdit rien tout en soupesant les limites de ce qu’il énonce. Il regarde de côté, il saisit les faiblesses, et créent des personnages asséchés du cœur. D’où le sentiment d’exacerbation, d’insoumission qui transparaît fortement ici.
« … Dans ce chapitre, mon postulat était simple : si les Français ont autant de mal à s’adapter au monde économique moderne, s’ils ont inventé les trente-cinq heures, abusent du droit de grève, de leur recours aux syndicats et de leurs droits en général, c’est parce qu’ils valorisent excessivement le repos, les vacances et les loisirs. S’ils aiment autant les vacances, c’est parce qu’ils ne s’épanouissent pas dans leur travail. Et s’ils ne s’épanouissent pas dans leur travail, c’est parce que dès l’école, on les empêche de concevoir qu’ils pourraient s’y plaire. Depuis Jules Ferry, en effet, le système scolaire français enseigne surtout la soumission, la terreur, le fayotage, l’anathème et il censure toute initiative personnelle hors des clous. »
Au pays du p’tit livre des thèses assez justes pour définir ce pays qui fonctionne à reculons. C’est un ouvrage fort, intéressant, d’une rare densité, qui marque les esprits. Néanmoins, on l’apprécie différemment après les attentats du 13 novembre. Contrairement à ce qu’il serait permis de croire, le Français connaît bien sa Marseillaise et ses symboles républicains. À ce titre, et seulement à ce titre, peut-être que Nicolas Fargues s’est un peu trompé.
L’un des meilleurs de la rentrée littéraire d’août 2015.
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