On soupçonne Alan Snow d'avoir voulu faire diversion en nous parlant de glaces ! Nous, nous voulions lui parler d'« Au bonheur des monstres », de fromage, de Cheesebridge (Pont-aux-Rats dans le roman de 2008 aux éditions Nathan Jeunesse), de contes et des Boxtrolls, le film d'animation sortie le 15 octobre dernier. L'auteur qui a écrit et illustré plus de 160 livres, se rêve en glacier et nous a offert un moment pour parler de trolls dans des boites.
Le 31/10/2014 à 17:09 par Valériane Cariou
Publié le :
31/10/2014 à 17:09
Les Boxtrolls est une fable qui se déroule à Cheesebridge, une ville huppée de l'époque victorienne, dont la principale préoccupation est le luxe, la distinction et la crème des fromages les plus puants. Sous le charme de ses rues pavées, se cachent les Boxtrolls, d'horribles monstres qui rampent hors des égouts la nuit pour dérober ce que les habitants ont de plus cher : leurs enfants et leurs fromages. C'est du moins la légende à laquelle les gens de Cheesebridge ont toujours cru. En réalité les Boxtrolls sont une communauté souterraine d'adorables et attachantes créatures excentriques qui portent des cartons recyclés comme les tortues leurs carapaces. Les Boxtrolls ont élevé depuis le berceau un petit humain orphelin Œuf - Eggs, comme l'un des leurs, explorateur de décharge,se nourrissant de verres de terre et recyclant les déchets des humains pour créer toutes sortes d'inventions fantasques. Ils deviennent soudainement la cible d'un infâme dératiseur Archibald Trappenard qui voit dans sa disposition à éradiquer les trolls son ticket d'entrée au sein de la bonne société de Cheesebridge…
Alors que l'adaptation cinématographique est en salles, nous avons souhaité discuter avec Alan Snow afin de lui poser quelques questions. L'ouvrage « Au bonheur des monstres » est un grand roman de littérature jeunesse (le magazine Lire l'a élu « meilleur livre de l'année » à sa sortie en 2008). Il est singulier car l'histoire et l'objet-livre lui-même vous entrainent dans une aventure hors normes. L'auteur ne se contente pas d'écrire et de vous raconter son projet de glaces, il illustre divinement ses propos ! L'univers est donc là dès la couverture et on se plonge avec délice dans le roman. Chaque double page de ce roman qui en comporte quand même 541 nous permet de découvrir par les mots et l'image, l'univers singulier de cet auteur.
Quand on demande à l'auteur qui était ses héros étant enfant, histoire de chercher « d'où ça vient », il évoque « Scott et Alan de Thunderbirds – une émission de science-fiction réalisée avec des marionnettes – ou encore Eric Laithwaite, un scientifique qui réalisait des expériences à la télé pour les enfants et qui n'hésitait pas à utiliser des explosifs ». L'auteur ; également bercé par Tintin et Astérix, nous confie que son livre préféré, étant enfant, était Uncle the Elephant de John Percival Martin (inconnu en France) « cette série contenait le monde le plus anarchique et fantastique que je n'ai jamais vu. Elle me fait toujours rire quand j'y pense ! ».
L'univers présent dans Au bonheur des monstres peut sembler farfelu certes, mais résonne en de nombreux points avec le quotidien : une ville au charme désuet symbolise, une communauté tout en bas de l'échelle incomprise et stigmatisée par l'autre communauté qui elle se tient tout en haut. Qui sont les vrais montres me direz-vous ?...
L'action, basée dans la ville fictive de Ratbridge, est inspirée de la ville de Trowbridge. Alan Snow explique qu'il a choisi cette ville tout simplement parce qu'il y a grandi durant son adolescence et c'était un endroit plutôt étrange. « Trowbridge présentait des éléments qui était fantastique, j'ai juste poussé un peu plus loin ». Certes mais alors d'où vient l'idée des trolls dans des boites ? « Je pensais à des escargots et comme ils se déplacent avec leurs maisons et je me demandais comment nous, les humains, pourrions faire la même chose, et l'idée de boîtes m'est apparue. Puis, comme je dessinais des personnages dans des boîtes, les trolls dans les boites se sont manifestés. »
Dans l'œuvre, l'obsession du fromage peut sembler absurde mais elle symbolise assez justement nos obsessions sociétales les plus ridicules… Le jeune garçon nous renvoi au mythe de l'enfant élevé par des animaux, mais au-delà de cette référence à Mowgli, le roman vous embarque dans un univers original, cocasse, un peu dingue et sans aucune lourdeur, sans jamais simplifier ou sacrifier l'intrigue. On avance en même temps que le jeune Arthur perdu dans l'En-dessous et on découvre un schéma narratif proche du conte classique, avec sa quête, ses épreuves (nombreuses), ses adjuvants et opposants (personnages tous plus intéressants les uns que les autres) et un contexte totalement merveilleux. En somme Alan Snow a réussi le pari de nous plonger dans une intrigue qui ne laisse pas de place à l'ennui tout en fourmillant de détails qui offrent le charme si particulier de ce roman (notons la présence de vaches aquatiques et de bi-polygonettes).
Mais d'où lui viennent ces idées farfelues ? « Le monde est étrange. Tout ce que je fais est d'observer et de commenter ce que je vois, mais mes observations sont peut-être liées à ma vie dans une famille étrange… ».
En lui expliquant que nous été autant touché et marqué par ses mots, que par ses dessins qui ajoutent un supplément d'émotion, nous pouvons nous demander s'il travaille de la même à manière pour chaque livre : « Parfois, je dessine des personnages, j'aime les voir grandir et je veux leur donner une vie propre au sein d'une histoire ou tout simplement savoir ce qu'ils peuvent devenir. D'autres fois je peux avoir une idée de livre et finalement le voir se remplir avec des dessins tout en l'écrivant en même temps (pas avec les 2 mains ...). ». Lui qui a dessiné au fil de chaque page du roman, nous confie « Le dessin est très naturel pour moi, je le pratique depuis aussi longtemps que je me souvienne ; écrire l'est beaucoup moins. Mais une fois que je commence à écrire, je trouve cela très agréable».
Ce qui nous permet de ré-évoquer ce roman cette année, c'est l'adaptation au cinéma. Les Boxtrolls est un très bon film d'animation 3D, tourné en stop-motion : chaque plan est photographié deux fois et le tout est projeté en 24 images secondes. Si justement, la technique vous intéresse, il faut rester jusqu'à la fin du générique. On y découvre comment les réalisateurs ont travaillé grâce à une scène dans laquelle on dévoile ce travail d'orfèvre qu'est le stop motion. Chaque personnage est manipulé par des animateurs et doté de visages aimantés pour reconstituer toutes les émotions imaginables : pour exemple, les animateurs du héros disposaient ainsi de 15.000 différentes expressions.
Alan Snow a vu le film bien sûr, mais qu'en pense-t-il vraiment ? « C'était comme regarder un univers parallèle où tout est très légèrement différent, et les personnages que vous connaissez font des choses que vous ne contrôlez pas. C'est très difficile à expliquer. J'ai pris beaucoup de plaisir à voir cette adaptation, mais n'ai pas été abasourdi par elle. ».
L'auteur n'a été que très peu impliqué dans la réalisation. L'adaptation, du studio d'animation Laika, offre une vision et une interprétation propre des personnages et de l'histoire. Alan Snow est néanmoins très fier que son roman soit adapté « mon admiration pour les cinéastes est grande. Je pourrais avoir fait des choses un peu différemment si j'avais eu le contrôle et si on m'avait permis de faire un film de cinq heures ». Mais a-t-il déjà pensé à réaliser un film lui-même ? « Oui. J'ai deux courts métrages en tête que je voudrais réaliser. Il me faudrait environ un an pour faire chacun des deux et donc assez d'argent pour vivre pendant que je le ferais. Peut-être que je prendrai ma retraite à un âge avancé ?... ». Même si l'auteur se voit quand même plus en glacier l'année prochaine, il avoue que deux livres sont en préparation.
Les Boxtrolls nous offre un nouveau regard sur l'œuvre littéraire, une évidente absence de neutralité, et un esthétisme de qualité. Peut-être appellera-t-il une suite, la saga d'Alan Snow compte quatre volumes et tous n'ont pas encore été traduits...
Par Valériane Cariou
Contact :
Commenter cet article