Comment expliquer que certains faits historiques marquent plus ou moins la mémoire nationale ? Comment expliquer que les Révolutions de 1789, de 1830 et de 1848 bénéficient d’une forte notoriété, alors qu’elles se sont faites dans le sang et ont toutes été suivies d’un nouvel épisode marqué par l’autoritarisme — qu’il soit mené par un roi ou bien par un empereur —, et que la Révolution du 4 septembre 1870 soit si méconnue, elle qui pose les fondations (solides) de notre République et ne compte pas un seul mort à son actif ?
Le 28/08/2017 à 16:55 par Audrey Le Roy
Publié le :
28/08/2017 à 16:55
Pierre Cornut-Gentille, historien et avocat, pose la question, à juste titre, dans ce livre remarquable, dynamique (la description des événements heure par heure y est pour beaucoup) et passionnant, publié chez Perrin et sobrement intitulé : le 4 septembre 1870. L’invention de la République.
Après-midi du 3 septembre aux Tuileries
L’impératrice Eugénie reçoit un télégramme de son empereur de mari, Napoléon III : « L’armée est défaite et captive; moi-même je suis prisonnier. »
La France est en guerre depuis le mois de juillet 1870 contre la Prusse de Bismarck. Et, maladie bien française, elle était certaine de la gagner. Hélas, la déroute est complète et plutôt que d’aller au carnage, Napoléon III préfère capituler.
La nouvelle commence à se propager, il va falloir agir.
17 h du côté des Républicains
Quelques députés républicains vont trouver Adolphe Thiers (farouche opposant à l’Empire) pour lui demander de prendre la tête « d’une sorte de gouvernement d’union nationale improvisé ». Thiers refuse. Les députés sont consternés. Il faut pourtant trouver une idée pour éviter une nouvelle Révolution. On imagine alors un triumvirat mené par des hommes d’expérience : Schneider (président du Corps législatif – assemblée législative), Palikao (ministre de la guerre) et Trochu (gouverneur de Paris).
18 h à 20 h aux Tuileries
La pression monte, Eugénie, régente depuis le départ de son mari pour la guerre, convoque le conseil des ministres. On envisage la fuite, c’est hors de question pour l’impératrice. Elle s’accroche encore fébrilement à l’idée que son fils puisse hériter. Est-elle triste que son mari soit captif ? Non, elle aurait préféré le savoir mort que prisonnier. L’annonce de sa mort aurait pu attendrir les Français et favoriser la poursuite dynastique, au lieu de cela Napoléon III passe pour un lâche.
Adolphe Thiers
Il faut absolument éviter la Révolution. La solution semble être le transfert du pouvoir exécutif «à une commission élue par le Corps législatif », l’idée est à peine effleurée. Tout le monde semble amorphe et ce conseil, qui devait trouver rapidement une action à mener, n’arrivera qu’à faire imprimer, pour le petit matin, une dépêche informant de ce que tout le monde sait déjà : on a été vaincu à Sedan et l’Empereur est captif.
19 h à 21 h au Palais-Bourbon
L’idée du triumvirat n’est pas retenue. Laisser au pouvoir des hommes qui sont en partie responsables du désastre actuel ne semble, effectivement pas, être l’idée du siècle. Nouvelle proposition : composer un comité de neuf membres : quatre bonapartistes, quatre républicains et Thiers. La nuit risque d’être longue, tout le monde a conscience que les Parisiens veulent des réponses et vite. Il faut exiger une séance de nuit.
20 h 30 à 1 h 30
Trente-six députés vont chercher le Président de l’Assemblée, Eugène Schneider, chez lui. Il les fait patienter dans son salon, poursuit son dîner, il n’est pas pressé de leur faire face. Il sait que cette séance est nécessaire, mais « écartelé entre sa fidélité au couple impérial et ses convictions, il ne sait que faire. » Il finit cependant par les rejoindre… et par céder. Il faut répéter l’opération, mais cette fois chez le ministre de la guerre, Palikao. On le sort du lit. Il se rend de mauvaise grâce à l’Assemblée et demande… un report de la séance pour midi. « La séance fut levée à une heure vingt. Elle n’avait servi à rien. »
Aux Tuileries le 4 septembre au matin
Eugénie reste droite dans ses bottes, « on ne peut, dit-elle, céder que ce qu’on possède, jamais ce qu’on a reçu en dépôt. La souveraineté n’est pas à moi : je n’abdiquerai pas. » On propose de mettre en place un conseil de régence. Proposition limite insultante, là encore il s’agirait de laisser au pouvoir les responsables de la situation actuelle. C’est inacceptable ! Elle finit par recevoir une délégation de députés et, de guerre lasse, par déclarer que s’ils arrivent à se mettre d’accord avec Palikao, elle ne fera pas obstacle. Se mettre d’accord avec Palikao, mission quasi impossible.
13 h à 15 h 15 — Palais-Bourbon
Devant le Palais-Bourbon, « les blouses blanches des ouvriers se mêlaient aux redingotes des bourgeois. » Les Parisiens attendent des informations dans une bonne ambiance générale. Ce 4 septembre est un dimanche très ensoleillé, peut-être cela aide-t-il. Bonne certes, mais ils veulent tout de même des résultats et pour l’instant ils s’impatientent. Cela fait maintenant quasiment deux heures que les députés essaient de trouver, laborieusement, une idée lumineuse pour signifier la déchéance de l’empereur sans en prononcer le mot et ainsi constituer un gouvernement.
Les manifestants finissent par franchir les barrages et par investir l’hémicycle de l’Assemblée. Léon Gambetta monte plusieurs fois à la tribune pour tenter de les calmer, leur demander de la patience et de faire confiance aux députés. Mais raisonner avec la masse s’avère souvent compliqué, il faut se rendre à l’évidence, ils vont être dépassés. Gambetta prend sur lui d’annoncer la déchéance de l’empereur : « Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont à jamais cessé de régner sur la France. »
« C’était le prix à payer pour conserver un certain ascendant sur eux. La proclamation déclencha des applaudissements et une longue acclamation. » Afin de « libérer » le Palais-Bourbon, on enjoint le peuple à se rendre à l’Hôtel de Ville de Paris où sera promulguée la République. À 15 h 15, les députés du Corps législatif, qui, pendant ce temps, délibéraient dans leur bureau, ont enfin une proposition à faire, trop tard, l’hémicycle est vide, l’Histoire se joue maintenant à l’Hôtel de Ville.
16 h aux Tuileries
Eugénie s’enfuit. Cette fuite la conduira à Londres.
15 h 15 à 19 h à l’Hôtel de Ville
On commence à réfléchir à la composition d’un gouvernement.
Dans les rues, c’est la liesse, « nul ne semble songer à l’approche des troupes ennemies ni au péril qui menace Paris, comme si la proclamation de la république suffisait à faire fuir les Prussiens. » Ils vont vite déchanter !
Une journée de bonheur cernée par des jours terriblement sombres. « Au milieu de toutes ces douleurs, après une telle accumulation d’épreuves, l’idée de commémorer une journée d’euphorie passagère pleine d’illusions ne venait à personne. »
Pierre Cornut-Gentille – 4 septembre 1870. L'invention de la République – Editions Perrin – 9782262072094 – 19 € / ebook : 9782262072148 – 9,99 €
Paru le 24/08/2017
224 pages
Librairie Académique Perrin
19,00 €
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