Votre fidèle amie ailée vous prie humblement d’accepter ses plus plates excuses, car j’ai tardé à vous livrer cette nouvelle chronique. Alors oui, j’aime la rentrée littéraire : les festivals baignés par le soleil de l’été qui touche à sa fin, Amélie qui délaisse son chapeau, les « surprenantes » sélections des jurys Goncourt, Renaudot, Landerneau, nos chers écrivains qui sortent de leur antre de solitude pour s’asseoir tout sourire sur le (nouveau) canapé de François B., les critiques, tantôt véhémentes, tantôt élogieuses étalées dans tous les suppléments livres des grands journaux.
Le 11/09/2017 à 08:52 par La Licorne qui lit
Publié le :
11/09/2017 à 08:52
Mais voilà, je me suis retrouvée désœuvrée face à cette pile de livres qui ne fait que de grandir au fil de mes pérégrinations – Chancheaux, Pékin, Edimbourg, Morges, Collioure, Nancy – et en raison de mon incapacité à faire preuve de radinerie quand il s’agit de lecture. Fissa, je file chez Ike-high (équivalent de votre marchand de meubles suédois), et j’acquiers une étagère supplémentaire pour ma bibliothèque gravement menacée d’écroulement. Mes nouveaux compagnons militairement rangés, il m’a fallu faire un choix.
Décision prise : je ne relis pas une énième fois la quatrième de couverture, je ne me penche pas sur le profil psychologique de l’auteur et ne me fie pas aux bruits de couloirs déjà arrivés à mes jolies oreilles velues.
Ma patte se dirige naturellement vers un dos rouge — un peu lassée de ce monde rose qui n’a rien de rose en définitive —, mouvement assurément influencé par le titre de l’ouvrage « David Bowie n’est pas mort ». Je ne suis en rien déçue lorsque je (re-)découvre l’image illustrant l’histoire dans laquelle je vais me plonger : un champ, des enfants à l’air coquin, une mère heureuse, un chien qui veille, le tout empreint d’une lumière vaporeuse. Mais posons-nous la question préliminaire fondamentale : pourquoi David Bowie ?
Facile : il est l’être humain qui s’apparente le plus à une créature légendaire, nous l’avions d’ailleurs fait grand chevalier de la Corne d’or. Sa voix hypnotisante, ses yeux bicolores, sa faculté à assumer ses divers moi, son besoin de se réinventer, son urgence à dénoncer l’injustice, la non-sobriété de ses tenues, sa magie : il était l’un des nôtres. Il venait souvent se promener dans les arcs-en-ciel à l’époque de sa gloire, et nous avons la chance de le croiser de temps à autre quand il ose sortir de son petit paradis.
N’avons-nous pas tous dansé, pleuré, ri, refait le monde – éventuellement aidés par quelques substances illicites – sur une chanson de Ziggy Stardust ? Bowie universel. Universel aussi est le sujet abordé par Sonia David dans son deuxième roman : la mort, la mort de ses parents. Hélène, Émilie et Anne perdent leur mère ; puis leur père, qui « cesse de respirer exactement 349 jours après » ; et David Bowie rejoint les étoiles entre ses deux évènements qui font de ces trois filles, si différentes — elles ont chacune leur couleur, leur mot — des orphelines pour toujours.
C’est Hélène, l’enfant du milieu qui nous raconte sa tribu, ses sœurs, son complexe d’Œdipe non résolu, la place essentielle de Bowie dans tout ça : « David Bowie fout le bordel, un bordel monstre (…) Bowie, une fois de plus c’est autre chose : la naissance de la nostalgie », la résurgence des souvenirs, l’immersion dans le passé. C’est avec une grande délicatesse, un humour jamais déplacé et la pudeur qui sied aux circonstances que l’auteure nous explique la manière dont chacune affronte la disparition et se prépare à un futur « sans ».
Première phrase, tout est dit, le lecteur est prévenu : « Ma mère est morte le 23 mai 2015. Sans crier gare. Elle n’était ni malade, ni franchement âgée, mais ni une ni deux, elle fait un AVC, et meurt en nous prenant tous de court, pour un peu on rirait, quelle bonne blague ! D’autant que le surlendemain, nous devions déjeuner ensemble, et depuis quand la mort tient-elle d’excuse pour se soustraire à un déjeuner avec sa fille ? »
Vous ne me croirez peut-être pas, mais j’ai pointé ma corne un 23 mai il y a très, très longtemps, et j’ai vu dans cette coïncidence temporelle un petit signe du destin. Nous naissons, nous mourons, et souvent nous oublions quelque peu de vivre entre ces deux moments décisifs.
La perte d’un, puis de deux êtres proches nous obligent à nous retourner et à se demander des millions de pourquoi : pourquoi maman était-elle si méchante ; pourquoi papa avait-il une cicatrice sur le bras ; pourquoi Anne écoutait-elle David Bowie ; pourquoi papa est-il parti avec la baby-sitter ; pourquoi ai-je dû me faire mal pour supporter cette situation, qui au final, est d’une banalité époustouflante ? Pourquoi maman et papa sont-ils morts ? Ils n’avaient aucun argument valable pour s’en aller.
Hélène s’octroie le droit de ne pas dramatiser la mort, ne pas mystifier son deuil, mais il est évident qu’elle est en souffrance, d’autant plus que sa sœur, sa grande sœur, s’en va également loin d’elle. Cette grande sœur qui lui a fait découvrir et aimer Bowie. Cette grande sœur qui lui a fait comprendre la signification de Mickey Mouse has grown up a cow. Nous ressentons parfois la nécessité de nous lever et nous opposer, de nous battre pour que nos utopies l’emportent, mais arrive le moment où le système nous rattrape, où la réalité nous explose au visage.
C’est bien cela que Bowie clamait dans Life on mars : nos idéaux se heurtent à la complexité de nos existences et nous n’avons pas d’autre alternative que de rentrer dans le rang.
La famille originale et attachante que nous dépeint Sonia David a résisté, souvent au détriment des uns et des autres : une mère dure, tranchante, jugeante, égoïste, mais qui dans sa mort a su rétablir certains liens qu’elle avait sciemment cassés ; un père aimant, parfois colérique, ayant retrouvé un sens dans sa judéité et dans une lutte sans merci contre le racisme, l’antisémitisme et la bêtise ; une Anne, froide, distante, qui gère et qui organise ; une Émilie, en retrait, qui pleure et qui aime les femmes ; une petite demi-sœur, Juliette, préservée de certains tourments, qui soigne et qui répare ; et une Hélène, qui mange et boit, et qui n’accepte pas que David Bowie soit vraiment mort.
Elle a raison Hélène, les morts ne meurent jamais complètement. Ceci est encore plus vrai pour nos parents. Bien plus que leur sang et leur ADN, ils nous transmettent leurs doutes, leurs peurs, leurs obsessions ; ils nous marquent par leurs choix, leurs déviances, leurs passions. Ils nous maintiennent enfants et nous contraignent un jour à devenir adultes. Nos parents font ce que nous sommes, un peu, beaucoup, totalement. Et savoir de « quel bois on est fait, là d’où l’on vient, ce que l’on partage. Ce savoir n’est pas rien quand même. »
La voix de David Bowie continuera à raisonner, et nous continuerons à être les enfants de nos parents sans forcément que notre « arbre généalogique produise une ombre » néfaste et indélébile. Parce cette tradition possède une signification particulière pour moi et qu’elle me rappelle d’où je viens, je conclus en portant un toast, dont la portée dépasse les frontières de la religion juive : L’Chaim, quoiqu’il arrive, faites le choix de la vie, et vivez-la vraiment.
Ça y est, je suis à nouveau dans un dilemme que même Corneille n’aurait pu envisager : que vais-je lire maintenant ? Je crois que je vais faire simple : am stram gram pique et pique et…à la semaine prochaine !
Sonia David – David Bowie n’est pas mort — Editions Robert Laffont – 9782221200285 – 17 €
Par La Licorne qui lit
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 24/08/2017
174 pages
Robert Laffont
17,00 €
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