Perçue par beaucoup comme la plus importante invention depuis celle d’Internet, la blockchain va-t-elle devenir l’un des plus grands enjeux du monde de l’édition ? C’est en tout cas le pari que fait wespr, une plateforme d’édition collaborative, construite sur la blockchain et plus particulièrement sur l’écosystème d’Ethereum. Contacté par ActuaLitté, Alexandre Rouxel, l’un de ses créateurs, explique comment cette technologie peut révolutionner le monde de l'édition.
Si vous avez entendu parler du bitcoin, vous avez peut-être entendu parler de la blockchain, connue comme la technologie qui a soutenu l’émergence de cette cryptomonnaie.
On commence seulement à réaliser le potentiel d’utilisation de ce protocole et la façon dont il pourrait s’étendre vers de multiples domaines. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations, sans organe de contrôle, est transparente, sécurisée, et décentralisée. Selon le co-fondateur de wespr, « c’est une technologie qui permet de façonner des milieux numériques où les individus sont en capacité de nouer des relations économiques en toute autonomie, c’est-à-dire sans la nécessité d’un tiers de confiance pour assurer l’effectivité des transactions ». En d’autres termes : « Nous utilisons cette technologie comme un procédé de gouvernementalité libérale, dans le sens où nous fabriquons un espace de libertés : liberté d’écrire à plusieurs mains, liberté de collaborer, liberté d’investir sur des ouvrages, liberté de déposer son ouvrage en ligne, etc... mais nous orientons cette fabrication de libertés vers la production du bien commun » décrit Alexandre Rouxel.
Voilà d’où la plateforme d’édition collaborative wespr souhaite tirer son essence. Grâce à la technologie blockchain, wespr veut permettre aux acteurs du monde littéraire (auteurs, éditeurs, maquettistes, correcteurs, traducteurs, lecteurs, critiques littéraires, etc.) de se rassembler dans le même milieu numérique, de nouer des relations économiques, de déposer des livres en ligne, de collaborer collectivement à l’écriture d’un ouvrage tout en partageant collectivement les droits de l’oeuvre, d’investir dans un ouvrage, d’accéder à des soutiens financiers pour des maisons d’édition ou encore de vendre tout simplement son ouvrage.
C’est l’idée partagée par les créateurs de la plateforme : Alexandre Rouxel, doctorant en communication à Rennes 2, Nolwenn Jollivet, designeuse, Thibault Boixière, journaliste et doctorant en littérature contemporaine, ainsi qu’Olivier Sarrouy, Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Rennes 2.
Pourquoi cette idée ? Pour donner à chacun sa chance : « On sait très bien qu’aujourd’hui, quand on est un petit auteur, quand on est inconnu, il est extrêmement difficile de trouver un éditeur pour sortir de l’ombre » explique Alexandre Rouxel. « Nous avons voulu créer un espace plus ouvert à l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Un espace propice aux rencontres, aux échanges et à la création. Cet espace permettrait à toute une multiplicité d’œuvres de gagner en visibilité grâce à l’activité des foules sur la plateforme et la mise en relation des auteurs et des lecteurs, ce qui permettrait corollairement à toute une série d’écrivains de quitter le silence général depuis lequel ils écrivent. »
C’est aussi pour répondre à un souci organisationnel et assister les petites et moyennes maisons d’édition souffrant du peu de personnel et du trop plein de manuscrits qu’elles reçoivent chaque jour. Difficile de tout traiter, de prendre le risque de publier et de maintenir le rythme quand le turn-over en librairie est si imposant. Sur wespr, tous ceux qui le souhaitent pourront lire, commenter, critiquer, aimer et devenir les ambassadeurs de leurs livres préférés. Les maisons d’édition comme tous les autres utilisateurs pourront donc « accéder à un large choix d’indicateurs sur les œuvres : critiques, likes, commentaires, investissements, vues, hashtag, portefeuilles de soutien à l’édition, etc. Autant d’indicateurs à même d’aider les professionnels de l’édition à porter un nouveau regard sur le paysage littéraire du moment ».
Dès lors plutôt que de laisser des milliers d’ouvrages sur le coin poussiéreux d’un bureau, les maisons d’édition pourront encourager les auteurs à déposer leurs ouvrages sur wespr, et observer l’ensemble des indicateurs générés par l’activité des foules autour de ces œuvres, permettant ainsi de faire “évaluer” ce qui est ordinairement ignoré.
Wespr repose sur l’écosystème Ethereum, qui se déploie grâce à la technologie blockchain. C’est un protocole d’échange décentralisé, très ouvert, qui permet la mise en place par ses utilisateurs de « smart contratcs » (contrats intelligents) c’est-à-dire de contrats négociés et exécutés sans qu’il y ait besoin d’un tiers de confiance. Cela implique la réduction des coûts de transaction.
Selon Alexandre Rouxel, développer cette technologie dans le monde de l’édition est intéressant et pratique au niveau organisationnel et politique. En décentralisant l’économie du livre « on laisse aux acteurs la possibilité de se rencontrer en toute liberté sans que ces rencontres soient nécessairement organisées par un tiers, en ce sens on donne libre cours à toute forme d’association ».
Sur un plan plus politique, « nous pensons qu’actuellement il y a trop de pouvoir dans les mains de trop peu d’éditeurs, ce qui entrave sérieusement la possibilité pour beaucoup de monde d’émerger à la surface d’une librairie. C’est pour cela que wespr propose des portefeuilles de soutien à l’édition. Pour permettre à des petites et moyennes maisons d’éditions d’éditer des ouvrages avec un risque financier réduit. Et c’est aussi pour cela qu’on permet dans un même temps à des auteurs d’exister hors de toute dépendance vis-à-vis d’une maison d’édition car nous pensons que l’édition doit devenir plus collaborative et interactive qu’elle ne l’est aujourd’hui. »
En outre, c’est au niveau des échanges économiques qui se réalisent directement entre les personnes sur la plateforme que la création de libertés prônée par Wespr s’exprime le plus. Les utilisateurs de la plateforme négocient directement entre eux les tarifs pour leurs travaux, avec des tokens (actifs numériques) et une cryptomonnaie crée pour la plateforme : l’Echo (ECH). Le tout sans aucune modération.
Autre possibilité : imaginons qu’un auteur ait besoin d’un maquettiste, mais qu’il n’a pas beaucoup d’argent, « il peut octroyer un pourcentage des parts de son œuvre au maquettiste, par exemple 10%, que le maquettiste touchera à chaque fois que l’ouvrage est vendu sur la plateforme s’il a établi ce type de contrat avec l’auteur ».
L’oeuvre devient une DAO (Decentralized Autonomous Organization ou Organisation Autonome Décentralisée en français) c’est-à-dire qu’il est possible de devenir co-auteur ou co-créateur d’une oeuvre, si le propriétaire de cette dernière le souhaite. Dans ce cas-là, les co-auteurs auront la possibilité de voter sur les devenirs de l’oeuvre (ses illustrations, sa production, sa traduction, etc.) qui devient collective.
Wespr sera donc également une « plateforme d’écriture collective » grâce au protocole informatique Git. « Libre à vous de déposer un manuscrit et d’ouvrir votre manuscrit à l’écriture collective. Une oeuvre pourra être écrite par des milliers de personnes et c’est l’auteur qui décide de l’ouverture ou non des droits. » indique Alexandre Rouxel. Et bien sûr, le prix de vente sera ensuite redistribué selon les ayants droit.
Si l’évolution de l’oeuvre ne plaît pas à plus de 51% des auteurs, il sera possible de la « forker», c’est-à-dire de « bifurquer du protocole de base » et de créer « une œuvre alternative et parallèle à l’œuvre originale ». Ainsi, « Le protocole permettra d’observer la totalité des modifications par lesquelles une œuvre est passée. Cela fera de l’œuvre elle-même une sorte d’organisme vivant, comme un rhizome constitué d’une multitude de nœuds. Très concrètement une œuvre pourrait connaître plusieurs centaines de formes différentes et vous pourrez en observer l’arborescence totale et lire, acheter, ou agir sur la branche qui vous plaira le plus. L’écriture devient mouvante et l’œuvre quasi-vivante.»
En tant que “simple” lecteur, il sera possible d’investir dans une œuvre, « à condition que l’auteur ait ouvert une part de son œuvre aux investisseurs » complète le doctorant en communication. Cela constituera un portefeuille de soutien à l’édition, qui reviendra, par la suite, à la maison d’édition qui souhaitera éditer l’ouvrage. Facilitant ainsi pour l’auteur sa recherche d’un éditeur. « Cependantpour ce qui est des investisseurs, ils n’ont aucun droit sur l’œuvre car ils ne participent en rien au processus de création. Donc ici le modèle n’est pas celui de la DAO, il s’agit d’une simple logique notariale ».
Enfin, la platefome Wespr se revendique comme « The Amazon-Killer » (le tueur d’Amazon). « Nous sommes Anti-Amazon car nous essayons d’aller à l’inverse de sa logique. » explique Alexandre Rouxel, d’abord parce que traditionnellement, l’écosystème Ethereum « s’attaque aux géants qui ont organisé leur activité de manière centralisée. Notre objectif n’est pas de pourrir la vie des petites et moyennes maisons d’édition comme le fait Amazon. Nous n’avons pas non plus besoin de créer les pires vilenies managériales pour que les choses fonctionnent, ni d’en appeler aux dernières prouesses algorithmiques pour susciter des achats de livres sur la plateforme, ni même d’exister dans d’immenses entrepôts où des salariés à deux doigts du suicide dialoguent avec le dernier cri de la robotique. Nous pensons que la décentralisation permettra peut-être à terme de faire disparaître des entités centralisées comme Amazon. »
Et, « contrairement à l’auto-édition sur Amazon, nous organisons des processus d’écriture collective, un environnement numérique qui favorise les affinités électives et facilite la rencontre des esprits, des langues, des savoirs-faire et des idées. Par ailleurs un auteur qui déposera son livre chez nous aura 100% des droits sur son œuvre, à lui de voir ensuite comment il les distribuera, ça ne nous regarde pas. Nous on fournit simplement un milieu, et ce milieu ne ponctionnera pas un centime sur les transactions. »
Pour finir, Alexandre Rouxel déclare : « Nous ne voulons pas vivre dans un monde séparé. Amazon existe de plus en plus dans une bulle autistique à l’écart du monde de l’édition traditionnelle. Contrairement à lui nous ne voulons pas nous passer de l’intelligence des acteurs de l’économie du livre ou faire du profit sur les gens qui essayent de vivre de leur plume. Nous sommes en train de créer un milieu qui sera en entrelacement réel avec le monde d’ici bas, comme un outil est au service de l’imagination »
De bon augure donc pour la plateforme wespr. Ses créateurs ont bien cerné le prochain enjeu majeur de la création. À suivre...
Par Laure Besnier
Contact : contact@actualitte.com
2 Commentaires
Andre Vauville
16/02/2018 à 12:03
Désolé, mais je n'ai rien compris à ce que vous faites ou à ce que vous voulez faire. Cela semble très intellectuel ou conceptuel ou virtuel. Enfin quelque chose dans le genre. Cela dit, j'aimerais en savoir plus. Si je vous ai lu c'est parce que j'ai deux gros manuscrits que je viens de terminer, deux romans que j'aimerais faire publier. M :question:ais je ne sais pas où m'adresser. Peut-être une réponse de votre part ? Merci. :sick:
La_six
14/06/2018 à 10:38
Voilà un projet très enthousiasmant ! Hâte que la plateforme voie le jour. Je viens de faire un tour sur wespr.co. On se croirait presque sur un site de hackers ou au départ d'un jeu vidéo bien dark. Aucun problème avec cela personnellement, mais pas certaine que la majorité "accroche" avec cet univers... (sans vouloir prôner le consensuel ou le conventionnel, alors que ce projet ne l'est clairement pas !) Bravo et longue vie !