Sparte était, du moins avant le fameux film de Zack Snyder, 300, une cité grecque bien moins connue qu’Athènes. Récupérée par certains fanatiques nationalistes, elle n’était pas en odeur de sainteté. Il serait pourtant idiot de la « juger » en fonction des imbéciles qui s’en réclamèrent.
Le 18/06/2018 à 09:58 par Audrey Le Roy
Publié le :
18/06/2018 à 09:58
Nicolas Richer, agrégé d’histoire, spécialiste de l’histoire grecque des époques archaïque et classique, mais surtout spécialiste de Sparte, sujet de sa thèse, vient de publier, chez Perrin, un livre très éclairant, et fascinant, sur l’histoire de Sparte – Cité des arts, des armes et des lois.
Et, comme d’habitude, il s’agit avant tout de faire l’inventaire des sources dont nous disposons. Peu de vestiges, de la « faute » même des Spartiates qui, contrairement aux Athéniens, n’avaient pas la folie des grandeurs. La foi n’est pas forcément synonyme de marbre, malheureusement seul lui résiste à peu près bien aux siècles. Alors ?
Les sources littéraires, oui bien sûr ! Celles d’origines spartiates sont peu nombreuses, mais celles concernant les cités grecques foisonnent et Sparte y est souvent mentionnée, voilà de quoi donner des outils à l’historien.
Ceux qui nous donnent de la matière sont : Hérodote, Thucydide, Xénophon, Polybe, Diodore de Sicile, Euripide, Platon, Aristote ou encore Pausanias dit le Périégète (le voyageur), sans oublier Homère, excusez du peu !
Évidemment un tri est nécessaire, entre propagande, légende, historiographie… Suivre le fil est parfois laborieux sans compter que la culture du secret sévissait à Sparte. On devine un travail extrêmement méthodique pour réussir à rendre ce livre aussi précis et clair que possible. Travail qui permet à Nicolas Richer de développer son sujet, à savoir « examiner le fonctionnement d’une collectivité dont l’un des traits originaux consiste dans l’importance qu’elle accorde à la guerre. » Cette étude s’étend de l’époque archaïque (VIIIe au Ve siècle) à la fin de l’époque classique (fin IVe siècle).
Eurotas aurait créé ce royaume qu’il aurait offert à Lacédomon, fils de Zeus et de Taygétè. Lacédomon, devenu roi de Lacédomone, prend pour épouse Spartè, fille d’Eurotas. Ainsi « Lacédomon aurait donné son nom à la Lacédomone, sa mère aurait donné le sien à la montagne du Taygète et son épouse aurait été l’éponyme de la ville de Sparte. »
Les Spartiates seraient des descendants d’Héraclès et la fondation de la ville serait fêtée tous les étés à l’occasion de la fête des Karneia. Plus concrètement, la Lacédémone est une région du Péloponnèse s’étendant sur environ 8 500 km², qui « inclut [après quelques batailles rangées] la Laconie et la Messénie, et sa capitale est Sparte », capitale qui semble être née de la réunion de cinq « bourgades ».
La législation légendaire de Sparte, basée sur le partage et la frugalité, prémices du marxisme (?), serait due, selon Hérodote, à un dénommé Lycurgue (env. 800-730 av. J.-C.).
Il aurait établi les règles régissant la cité de Sparte après avoir consulté la célèbre Pythie. Ses règles s’appliqueraient aux domaines suivants : les usages & coutumes, la justice, les pratiques politiques et militaires et les rituels funéraires. Sparte serait ainsi passée « du désordre à l’ordre ».
On ne date pas précisément ce passage à l’ordre, entre les VIIe et VIe siècles avant notre ère, de même que l’existence de Lycurgue n’est pas avérée scientifiquement. La cité serait « dirigée » par deux rois ; un conseil des anciens (les gérontes, au nombre de trente et dont feraient partie les rois) ; et les éphores (représentants des citoyens, élus pour 1 an et au nombre de cinq).
Les rois
Ils seraient issus de jumeaux issus eux-mêmes d’Héraclès. Il s’agit d’une fonction héréditaire. Les rois jugent surtout les affaires qui concernent le droit familial, dont le mariage des jeunes filles, plus pour contrôler la propriété foncière que pour se préoccuper d’elles, ça va de soi.
Ils n’ont pas de rôle particulier dans le Conseil des Anciens dont ils font partie. Ils doivent prêter serment tous les mois aux éphores afin de se rappeler que tout roi qu’ils sont, ils doivent avant tout œuvrer pour le bien commun. « La royauté des rois de Sparte n’est donc pas pleinement souveraine, mais fondée sur la loi. […] Les Spartiates ont “un maître, la loi.” »
Les gérontes
Ils composent le Conseil des Anciens, la gérousie. Selon Plutarque, ils doivent avoir plus de 60 ans, sont élus à vie et par acclamation. Leurs fonctions semblent plus importantes dans le domaine judiciaire bien que leurs rôles soient plutôt consultatifs, voire arbitraux. Ce qui n’enlève rien à leur importance, car ils reflètent la vertu, la sagesse et le courage. N’ont-ils pas dépassé les 60 ans dans une cité guerrière ?
Les éphores
Ils représentent les citoyens, sorte de porte-parole. Assimilables au pouvoir exécutif, ils sont « renouvelés tous les ans, sans pouvoir se succéder à eux-mêmes. » Ils gèrent des domaines variés tels que la justice, la police, les finances, l’administration, la mobilisation des troupes pendant la guerre et leur approvisionnement, etc. De vrais petits tyrans en puissance sauf que… « une fois sortis de charge, ils devaient être amenés à rendre des comptes sur leur action devant le collège qui leur avait succédé ».
Les citoyens
Ou homoioi, peuvent accéder à l’assemblée du moment qu’ils ont plus de 20 ans et peuvent y prendre la parole une fois passé 30, sauf ceux qui ont failli au combat, naturellement. « Il est probable qu’à l’époque classique l’assemblée se réunissait chaque mois au moment de la pleine lune. » Ils peuvent aussi être convoqués par cette même assemblée pour participer au bien commun, comme voter, par exemple. « C’est donc un système politique complexe, et équilibré, qui serait né dès l’époque archaïque à Sparte. »
Toute cette organisation sociale n’a qu’un but, servir l’armée. La phalange où « chaque soldat aurait, de son bouclier (hoplon) tenu au bras gauche, protégé le flanc droit de son voisin de gauche » est le miroir de cette société où chacun doit œuvrer pour le bien de tous, le primat de la société sur l’individu en somme.
Cette conscience collective nécessite que l’individu ait reçu une éducation drastique. Celle-ci commence à 7 ans, elle concerne le physique, mais également l’intellect et les filles n’en sont pas totalement exclues. Cette éducation est en partie basée sur la privation afin que les hommes deviennent des soldats plus endurants à la souffrance.
À force de rigueur « les Spartiates ont joui d’une grande réputation militaire : ils étaient considérés comme des guerriers sinon invincibles, du moins redoutablement efficaces ». Toutes autres activités, terriennes par exemple, leur étaient interdites. Toute l’attention d’un soldat devait être focalisée sur sa carrière militaire.
L’histoire est connue, grâce au film 300 même si le protagoniste n’était pas Léonidas, roi de Sparte partant avec ses 300 guerriers mourir glorieusement aux Thermopyles (vers 480 av. J.-C.). Non, selon Plutarque, c’est le roi Agésilas, vers 337, qui aurait demandé parmi ses alliés, qui se plaignaient « de devoir fournir le gros des troupes de la Ligue du Péloponnèse », aux potiers de se lever, puis aux maçons, aux charpentiers, etc. « Tous les alliés, où peu s’en fallut, se levèrent donc, mais personne du côté des Lacédémoniens : il leur était en effet interdit d’exercer et d’apprendre un métier manuel. Alors, Agésilas se mit à rire et à déclarer : “Vous voyez, Messieurs, combien nous envoyons beaucoup plus de soldats que vous !” »
« Spartiates, quel est votre métier ?! »
Cette cité qui nous semble presque parfaite, basée sur une société égalitaire et une armée quasi invincible a pourtant sombré au IVe siècle avant notre ère, pourquoi ? Ce livre y répondra et je ne crois pas me tromper en disant que la raison (principale) vous surprendra.
Nicolas Richer – Sparte, Cité des arts, des armes et des lois – Perrin – 9782262039356 – 25 €
Paru le 15/03/2018
478 pages
Librairie Académique Perrin
25,00 €
Commenter cet article