ROMAN FRANCOPHONE – Vanessa Schneider, journaliste politique et romancière, signe avec Tu t'appelais Maria Schneider un récit émouvant et terriblement attachant ; avec des mots, tendres, sincères, difficiles parfois, le parcours de sa cousine aînée, mais aussi celui d'une actrice, au destin tragique, marquée à jamais par le rôle de sa vie, celui de l'éternelle « scandaleuse » des années 70. Qui était Maria Schneider ?
Pour la plupart des jeunes, ce nom ne signifie pas grand chose. Pourtant, Maria Schneider a été l'héroïne d'un film culte : « Le Dernier Tango à Paris », un rôle qui a marqué sa carrière, et plus encore, sa vie. En chapitres courts, des instantanés photographiques, où l'ordre chronologique n'est pas toujours respecté, Vanessa Schneider nous retrace avec beaucoup de pudeur et une cruelle sincérité le parcours souvent chaotique d'une icône déchue, d'une « sacrifiée ». Et le "tu", cette adresse directe à sa cousine disparue, place d'emblée le lecteur dans une relation intimiste avec l'actrice.
« Tu étais libre et sauvage. D’une beauté à couper le souffle. Tu n’étais plus une enfant, pas encore une adulte quand tu enflammas la pellicule du Dernier Tango à Paris, un huis clos de sexe et de violence avec Marlon Brando.
Tu étais ma cousine. J’étais une petite fille et tu étais célèbre. Tu avais eu plusieurs vies déjà et de premières fêlures. Tu avais quitté ta mère à quinze ans pour venir vivre chez mes parents. Ce Tango marquait le début d’une grande carrière, voulais-tu croire. Il fut le linceul de tes rêves. Tu n’étais préparée à rien, ni à la gloire, ni au scandale. Tu as continué à tourner, mais la douleur s’est installée. »
« En quelques semaines, tu es devenue célèbre dans le monde entier, pour un rôle qui, tu le pressens, sera le linceul de tes rêves. » Et la narratrice de raconter comment enfant, elle portait un regard apeuré et admiratif sur sa cousine, cette fille belle et sauvage, au corps généreux et libre, à la chevelure bouclée et à la dégaine désinvolte. Maria Schneider avait cette beauté solaire qui correspondait si bien à l'époque.
Malgré leur différence d'âge - dix-sept ans les séparent - les deux cousines ont noué des relations très fortes à l'âge adulte. Maria Schneider voulait écrire sa biographie, revenir sur les événements, donner sa propre version. Mais pour certaines actrices, il est parfois plus facile de dévoiler son corps que de dévoiler son âme. Maria n'a pas osé aller jusqu'au bout de ce projet. Elle décédera peu après, le 3 février 2011 à Paris, à l'âge de 58 ans.
Raconter une histoire qui ne nous appartient pas n'est pas chose facile. L'auteure s'interroge. Est-elle légitime à dévoiler la vie de sa cousine ? « Souvent, je me dis que tu n'aurais pas aimé que je raconte cela, Maria. » Et pourtant, la vie de Maria Schneider, c'est aussi un peu la sienne.
Le grand public découvre l'actrice avec le film « Le Dernier Tango à Paris». De ce film, on n'a retenu qu'une scène. Une scène de viol dans une cuisine, brutale, obscène, dégradante. Le réalisateur, Bernardo Bertolucci, voulait une scène vraie et non pas jouée. Pour cela, il avait pris soin de ne pas prévenir la jeune Maria Schneider qui n'avait que 19 ans. Le résultat fut parfait. Les larmes et les cris de la fille plaquée au sol n'était pas ceux d'une actrice mais bien d'une pauvre fille affolée. On se demande...Un grand réalisateur a-t-il tous les droits ?... La création autorise-t-elle tous les excès ?
La jeune fille restera à jamais marquée au fer rouge. Il y a des blessures qui ne cicatrisent jamais... Bertolucci dira plus tard, en parlant d'elle : « Et je pense qu'elle nous a haïs, moi et Marlon Brando, parce que nous ne lui avons rien dit de cette séquence, de ce détail, l'utilisation du beurre comme lubrifiant. Je me sens très coupable de ça.»
Mais dans la vie de Maria Schneider, « Le Dernier Tango à Paris » n'explique pas tout.
Maria Schneider est la fille illégitime d'un mannequin roumain et d'un grand acteur français : Daniel Gélin. Très jeune, Maria a dû faire face à l'abandon. Pour des raisons floues, sa mère l'éloigne à quinze ans. Et lorsqu'on parle des débuts de Maria Schneider au cinéma à son père, celui-ci s'emporte, la renie et crie : « Faux [...] c'est une comédienne qui débute ! ». Plus tard, séparé de la comédienne Danièle Delorme, il la reconnaîtra et tentera de se rapprocher d'elle en se rachetant une bonne conduite.
Maria n'a pas d'attaches. Elle n'a pas de vrai domicile ni de vraie famille. Pourtant, elle fera de belles rencontres. Généreuse et protectrice, Brigitte Bardot l'accueillera dans son appartement de l'avenue Paul Doumer. Alain Delon, qui partageait sa vie avec Mireille Darc, lui servira de parrain. Il l'aime comme une petite sœur et il lui donnera sa chance au cinéma. Il sera là, à son enterrement, au premier rang.
La jeune femme trouvera refuge, quelques temps, dans la famille de son oncle maternel, Michel Schneider, l'essayiste et psychanalyste, père de la romancière. Vanessa n'est pas encore née lorsque Maria pose ses valises dans l'appartement familial du 7e arrondissement de Paris. L'actrice ne vivra pas longtemps chez son oncle. Vanessa vient de naître. Et Maria doit déjà partir. Elle reviendra souvent.
La narratrice reste hantée par le souvenir immuable de ses visites régulières et imprévisibles. Car les Schneider forment une étrange famille... « Mes parents ont une vie que je ne comprends pas très bien, je grandis dans un monde poétique et flou. » De nos jours on parle volontiers de familles recomposées. Pour les Schneider, comme pour les Gélin, il s'agit plutôt de familles décomposées.
Maria Schneider a tourné dans plus d'une trentaine de films. Mais un seul film a vraiment compté : « Profession reporter » réalisé en 1975 par le cinéaste italien Michelangelo Antonioni, dans lequel elle a tenu le rôle principal aux côtés de Jack Nicholson. Quelques années plus tard, l'actrice sauvage et rebelle, n'intéresse plus les réalisateurs.
Elle ne parvient plus à se concentrer sur une scène, elle ne peut plus retenir un texte. Elle a sombré dans la drogue, sa peau est violacée, elle est « trouée de partout. » Pour elle, c'est désormais « Voyage au bout de la défonce.» Et à chaque page, même si l'on croit déjà connaître la fin, l'héroïne nous fascine autant qu'elle nous inquiète.
A la fois biographie, autobiographie, mais aussi chronique des années 70, époque où un peu partout dans le monde, porté par le mouvement étudiant, on pensait que tout était possible et qu'on allait refaire le monde en levant tous les interdits, tous les tabous, Vanessa Schneider parvient à peindre un univers où les êtres humains finissent par hurler comme des bêtes sauvages.
Et de Maria Schneider, il restera la chanson de Patti Smith : I knew you/When we were young/I knew you/Now you're gone.
Maria Schneider, un prénom et un nom à l'étrange résonance tragique...
Dounia Tengour
Chercheuse en litterature et chroniqueuse litteraire
Vanessa Schneider - Tu t'appellais Maria Schneider - Grasset - 9782246861089 - 19 €
Par Dounia Tengour
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 16/08/2018
249 pages
Grasset & Fasquelle
19,00 €
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