Une position enviée et peu enviable
Le 16/03/2019 à 14:22 par Nicolas Gary
Publié le :
16/03/2019 à 14:22
La notion de métier, dans le cas des auteurs, éprouve quelques difficultés à entrer dans les esprits. Certainement parce qu’elle est également liée à l’idée de professionnalisation — encore peu en vogue. Le Centre national du livre accueillait une table ronde sur ce sujet, éminemment d’actualité.
Étaient présents pour une table ronde à Livre Paris Denis Bajram (vice président de la Ligue des auteurs professionnels - au micro), Pascal Ory (Président du CPE), Louis Delas (membre du bureau du SNE) et Nicolas George (ministère de la Culture). Pour la première fois, la question de la « profession » des auteurs et autrices était posée entre plusieurs organisations représentatives du secteur.
En introduction, nous l’évoquions, Samantha Bailly a fait une intervention remarquée sur les problèmes d’égalité qui concernent les autrices (36 % d’autrices affiliées à l’AGESSA, 28 % d’écart médian dans les revenus entre les hommes et les femmes selon l’Observatoire à l’égalité), insistant sur le fait « qu’une création reflétant une véritable diversité sociale, et pas uniquement les voix d’un certain milieu, cela passe par un métier reconnu et protégé ».
Immédiatement, Pascal Ory a apporté un éclairage historique sur la condition de l’auteur : « Gide était un rentier. On oublie que quand Baudelaire n’avait plus ses rentes et était fauché, il a été journaliste. Il y a moins de rentiers, mais beaucoup d’écrivains ne vivent pas de leur plume [Ndlr : de leur clavier, plutôt]. Mais il y a un changement de rapport entre l’écrivain et l’ensemble de la société. On prend de plus en plus des agents. Je sens bien qu’il y a un changement structurel, qui n’est pas économique, et aboutira à une professionnalisation, mais pas de la majorité. »
Et d’ajouter : « D’où le fait que le CPE, une confédération d’une vingtaine d’organisations représentatives, est là pour faire circuler le débat. Rappelons qu’en 1979, le CPE a été le lobby qui a permis de voter la loi Lang. Par ailleurs, la question de la profession s’est aussi posée chez les journalistes. Le Syndicat National des Journalistes s’est créé en 1918 autour de la notion de travailleur intellectuel. À l’époque, beaucoup de journalistes parlaient uniquement de vocation. Cela a été une bataille pour le statut des journalistes. »
Denis Bajram poursuit : « Les auteurs BD sont professionnalisés depuis longtemps, en fait, à l’époque des revues. Ils sont restés majoritairement des professionnels. Pour créer une BD, il faut bien un an à plein temps. Les auteurs jeunesse rencontrent souvent les mêmes problématiques, ces deux milieux sont les plus professionnalisés, même si l’historique est différent. Ces dernières années, on a été fragilisés coup sur coup. Cet été, on s’est vraiment posé la question de choisir de parler du professionnel. »
Car, pour les auteurs de métier, s'ils encaissent une augmentation des cotisations de 10 %, ils perdront alors 10 % de leurs revenus parce que ce sont leurs seuls revenus.
Pascal Ory revient alors sur la question des réformes successives : « Je crois que les pouvoirs publics ont joué un rôle dans cette prise de conscience, qui peut être douloureuse, qui se traduit par des revendications comme les 10 % minimum portés par les États généraux du livre tome 2. À savoir que les initiatives prises récemment ont appuyé là où ça faisait mal, et en particulier un point qui paraît évident : un certain nombre de réformes ont été faites sans la prise en compte des conditions spécifiques du métier d’auteur. »
Ce n'est pas que l'on a « voulu assassiner les auteurs, mais je pense qu’il manque une conscience des spécificités de ce qui est de plus en plus un métier, mais qui ne sera pas non plus un métier pour tout le monde. Voilà pourquoi on fonctionne à géométrie variable, y compris cet après-midi ».
Mais alors, peut-on définir “l'auteur professionnel” par le seul biais économique, à savoir vivant de son travail, interroge le modérateur ? Réponse de Denis Bajram : « La question de ce qu’est un professionnel est très ouverte. En créant la Ligue avec d’autres organisations d’auteurs, on s’est posé la question ? En fait, elle n’est pas si importante. On se bat pour les professionnels au sens où on se bat pour la professionnalisation. Dans nos adhérents, il y a des auteurs et autrices qui aspirent à devenir professionnels. »
L'aspect économique importe, insiste-t-il, mais encore faudrait-il qu’un auteur qui gagne sa vie avec ses créations cette année la gagne l’année suivante, « ce qui vu le contexte actuel n’est pas si simple. Ce qu'interroge la Ligue, ce sont les modalités aujourd’hui pour la professionnalisation. Par exemple, aujourd’hui, est-on capable de soutenir la création française à l’échelle mondiale sans soutenir des professionnels ? L’idée n’est pas de faire de distinguo entre auteurs, l’idée est de soutenir ceux qui peuvent, veulent, doivent en vivre ».
Louis Delas, directeur général de l’École des Loisirs, représentant le Syndicat national de l'édition, rebondit : « Tous les bouleversements évoqués, ces réformes en cascade, il est évident que les éditeurs sont et doivent en être solidaires. Apparemment ça a été fait, mais peut-être pas été assez fait : il faut agir plus. En tant que premier partenaire, ce soutien me paraît naturel et logique pour un combat légitime. »
Une réponse de la part des éditeurs qui tomberait sous le sens, mais les propos de l'éditrice Héloïse D’Ormesson sur France Inter, dans l'émission Boomerang d'Augustin Trapenard, restent en mémoire. Le fait que les revendications des auteurs étaient pour elle « une énigme » avait provoqué une vive réaction de la Ligue des auteurs professionnels, et notamment de Joann Sfar qui avait rappelé quelques fondamentaux.
Louis Delas continue au sujet des revendications des auteurs, qu’il contextualise : « En Europe, il y a des dangers qui guettent sur la directive droit d’auteur. Des choses graves peuvent se passer par rapport à la création. Mais je veux mettre deux points en avant. Le risque est que des discussions avec certaines entités de l’État, – car il faut bien distinguer Culture, Affaires sociales, ou Éducation nationale qui ne sont pas la même chose – ait un effet de report sur la chaîne du livre. La chaîne du livre est fragile. Soyons attentifs aux effets pervers. »
Le second point, reprend-il, serait de prendre garde à ne pas globaliser la réflexion. « L’édition n’est pas un bloc, il y a différents secteurs : littérature générale, jeunesse, BD, et les problématiques sont différentes. Chez les éditeurs, il y a des petits, des moyens, indépendants, qui appartiennent à des groupes. Du coup il y a différentes typologies y compris chez les auteurs, par exemple des livres de commande, ceux qui ne sont pas de commande. Dans ce bouleversement actuel, il faut saisir l’occasion de mettre à plat les choses, de clarifier, d’améliorer, d’actualiser certaines pratiques, qui tiennent compte de la diversité dont j’ai parlé. »
En effet, déjà à l’époque de Balzac, sans employer le terme de surproduction, il se disait il y avait trop de livres. Or, à notre époque, s'ajoutent la baisse des tirages et des ventes moyennes.
Louis Delas développe : « Oui, les librairies ne sont pas extensibles, le temps de visibilité des livres en librairies diminue, les ventes au titre aussi. Les maisons d’édition doivent prendre leurs responsabilités, et les auteurs doivent aussi accepter la sélection que fait l’éditeur. Un éditeur c’est quoi ? Un éditeur et un auteur sont deux partenaires qui se choisissent. »
Et sur la généralisation des agents, le PDG de l’école des loisirs poursuit : « Mais c’est le choix de l’auteur s’il exprime d’avoir besoin d’un intermédiaire. Moi personnellement ça ne me choque pas. À l’auteur de décider. » Le modérateur insiste : « Ça complexifie la relation ? » Réponse de Louis Delas : « Ça fragilise un peu plus la chaine du livre. »
Quid alors de l’intervention des pouvoirs publics ? Pour Nicolas Georges, directeur adjoint de la Direction générale des médias et des industries culturelles (liée au ministère de la Culture), rien de nouveau dans ces questions, car l’industrie créative comporte des risques.
Cependant, plusieurs nouveautés ont fait surgir ces discussions « mises en exergue de façon assez récente. L’étude du ministère de la Culture de 2016 a en tout cas montré que les générations qui entraient aujourd’hui dans le métier d’auteur auront sans doute une carrière plus difficile qu’auparavant. C’est le plus dur pour les “auteurs du milieu”, ceux qui sont totalement investis dans leur métier, mais qui incontestablement aujourd’hui en vivent plus durement que les années passées ».
C’est ce moment qu’on est en train de vivre qui se traduit par la réflexion sur le caractère professionnel des auteurs.
« Profession, professionnalisation, c’est une question très connue des sociologues qui réfléchissent sur cette question. La tradition romantique du XIXe siècle anime toujours clairement le débat, la question de la vocation. Le ministère de la Culture, de toute façon, sa politique va en direction des professionnels. La question se pose pareillement sur les intermittents du spectacle. Aujourd’hui, il y a un statut des auteurs, qui passe par la loi de 57 sur le droit d’auteur, c’est fondamental : c’est très important dans son expression. »
Or, depuis 70, on passe par un certain nombre de règles dérogatoires de la sécurité sociale, qui assimilent l’artiste auteur à un salarié. « C’est une forme de statut… nos prédécesseurs, quand ils ont fait ces lois, souhaitaient manifester un soutien de la nation. »
Un « effort positif », estime-t-il, car bien que relevant de l’administratif, les questions politiques se posent entre ministères. Enfin, « la situation assez catastrophique des discussions entre les pouvoirs publics et les artistes auteurs ces dernières années, vient pourtant d’intentions positives ». Comprendre : la tentative de mise en œuvre d’un rapport d’inspection de 2013 qui était relatif à la consolidation du régime.
La table ronde fut arrêtée à cet instant pour permettre à chacun d’assister à l’allocution de Franck Riester, sur l’espace Agora.
Un discours qui devait dévoiler plusieurs pistes de travail pour la rue de Valois : d’abord, une mission prospective sur le statut des artistes auteurs, confiée à l’ancien président de la BnF, Bruno Racine. Ensuite, la création d’un grand prix de traduction, en lien avec la Société des Gens des Lettres. Et surtout, un appel du ministre aux éditeurs, pour régler la question épineuse des directeurs de collection. Ces derniers auront à proposer « une définition claire, argumentée et raisonnable des situations », dans le « respect historique du droit d’auteur ». Lourd chantier.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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