La disparition, le 13 septembre dernier, de Jean-Luc Godard, fut celle de l’ultime représentant de la « Nouvelle Vague ». 5, comme les Power Rangers, importants cinéastes français, tous très différents, mais réunis autour d’une revue, les Cahiers du Cinéma. Grasset édite un documentaire romancé de Patrick Roegiers, de passion pour passionnés.
Le 16/05/2023 à 09:22 par Hocine Bouhadjera
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16/05/2023 à 09:22
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« Il n’y a pas de nouvelle vague, il n’y a que la mer. » D’un côté, les glorieux précédents : Jean Renoir, Jacques Tati, Robert Bresson, Jean Cocteau, Abel Gance, Max Ophuls, Jacques Becker, Jean Vigo, Rossellini…
De l’autre, les bêtes noires, « le cinéma de papa » : René Clément, Marc Allégret, Marcel Carné, Claude Autant-Lara, René Clair, Julien Duvivier, Christian Jaque, et même Henri-Georges Clouzot… La bande des Cahiers rejoue la révolution surréaliste, en séparant le cinéma en deux comme Moïse : les créateurs et les fonctionnaires. Jean Delannoy, c’est Anatole France.
Quel est le problème ? Les conventions, l’absence d’audace, d’idées, les studios, les vedettes affectées, les perpétuelles adaptations de classiques du théâtre et de la littérature… Pas assez de cinéma, de méditation sur sa substance, ses spécificités, son langage propre. En réponse, des préceptes : l’improvisation, des acteurs singuliers, des décors naturels, un montage inventif, un budget réduit, « action très peu, règles comme la vie, pas de règle ».
En réalité, la seule chose qui lie ce club des 5 du cinéma, c’est un passage du journalisme à la réalisation. Chacun plus ou moins artistes, comme Baudelaire, et, comme ce dernier, prouvent que les créatifs (ici en puissance) sont les meilleurs critiques. « Éruption de la théorie ». Jean-Luc Godard regarde 5 films par jour, Jacques Rivette 5 fois le même, Rohmer quasiment aucun avant 27 ans. Godard, c’est le virtuose, le philosophe, en perpétuelle expansion, à la recherche des limites. François Truffaut, c’est le plus classique ; Éric Rohmer, le grand frère, le plus singulier, le plus concentré. Claude Chabrol, le bourgeois ambigu, et Jacques Rivette, le plus radical et mystérieux. Lame secrète du groupe…
Mystérieux, ce dernier le restera après la lecture de l’ouvrage de Patrick Roegiers puisqu’il a décidé de ne l’évoquer qu’en passant. Les mauvaises langues diront qu’il n’a lu aucun livre sur le réalisateur pour pouvoir en parler… Il semblerait qu’il soit trop hermétique pour Roegiers.
Un des cinéastes préférés de Pacôme Thiellement, Jacques Rivette, pour des films comme Céline et Julie vont en bateau. Les autres sont mis en scène et confondus à travers leurs oeuvres importantes : À bout de souffle, qui révéla un certain Jean-Paul Belmondo et sublima le charme de Jean Seberg.
L’improvisation, souffler le texte pendant que ça tourne, « une idée par plan », une écriture elliptique. Godard fait pour savoir. Le mystique Jean Parvulesco interprété par Jean-Pierre Melville : « Quelle est votre plus grande ambition dans la vie ? Devenir immortel. Et puis mourir… » « C’est très beau », réagit Sartre, « Je n’ai jamais vu ça ! » ajoute Aragon. « Une merveille » pour Cocteau.
Godard n’est pas d’un abord aisé. Il ne dit ni bonjour ni au revoir. Il ne sait jamais ce qu’il va dire, les mots comme les idées lui viennent en parlant. Très introverti. D’aspect négligé. Ni séduisant ni sympathique.
- Nouvelle Vague, roman, de Patrick Roegiers
Baisers volés de l’anti-Godard, François Truffaut, et ses « films du samedi soir » : « Godard écrivain raté, Truffaut libraire raté. » Des films secs à la Rossellini. Rejette à la fois la fantaisie de Federico Fellini et l’intellectualisme d’Antonioni. Le cinéaste rive droite. C’est aussi Jean-Pierre Léaud, dont on ne peut découvrir la véritable dimension qu’à travers le prodigieux La maman et la putain de Jean Eustache, et certainement pas dans la peau de l’agaçant Antoine Doisnel. Les deux réalisateurs se méprisent l’un-l’autre.
Un autre anti-intello, c’est Claude Chabrol. Son grand projet : pourfendre la bourgeoise. On ne sait jamais si c’est extrêmement subtil ou s’il n’y a rien. Un jouisseur débonnaire, « cinéaste du péché », « moraliste caustique ». Peintre des passions tristes, de la mesquinerie, du mensonge.
Enfin, l’important Éric Rohmer et des films comme Ma nuit chez Maud ou le radical Perceval le Gallois : austère, stoïque, croyant, indépendant, cultivé, travailleur conséquent, royaliste, méticuleux, responsable, inventif, anti-naturaliste, timide, bafouilleur, gauche discoureur, végétarien, auto-produit, entrepreneur, mélomane, à la messe tous les dimanches, ne branche pas de prise électrique ni ne conduit. La liberté et le conservatisme.
Simplicité dans la vie comme dans ses films, où le verbe est action et parole mouvement. « La diction entraîne le sentiment. » Marivaudage. Il fait beaucoup de choses lui-même. Aime les petites équipes, une prise unique. Il publia un seul roman chez Gallimard, sous le pseudonyme de Gilbert Cordier, en 1946, et s’appuya sur toutes ses nouvelles non éditées pour en faire des chefs-d’œuvre, comme Conte d’été. Reconnu à 50 ans passés, quitte sa chambre meublée de l’hôtel de Lutèce à 37, après s’être marié. Le fils de sa mère.
Ces 5-là, qui traversent Paris, ne sont qu’une face de l’ouvrage de Patrick Roegiers. L’auteur ratisse large pour parler d’un certain cinéma français de la seconde partie du XXe siècle. C’est Agnès Varda qui ouvre le bal, qui aime Virginia Woolf et Nathalie Sarraute, suivie de l’opaque Louis Malle, du peintre des petits rien, du prix de l’existence, Claude Sautet ; de l’autre virtuose, Alain Resnais.
Autour de tous ces cinéastes, les acteurs, producteurs, collègues, techniciens qui s’entrelacent dans le petit monde du 7e art à la française : Brigitte Bardot, le compère génial de Godard, Raoul Coutard, le cabotin téméraire Jean-Claude Brialy, Sami Frey, Michel Piccoli, le producteur Jacques de Beauregard, Bertrand Tavernier, Jacques Doniol-Valcroze, André Dussollier, Pierre Arditi, Jean-Pierre Bacri, Fabrice Luchini, Delphine Seyrig, Maurice Ronet l’alcoolique lettré qui cite de mémoire des extraits d'Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry…
Mais encore Paul Gégauff, le provocateur assassiné, Michel Audiard, renommé par les Cahiers « Tempête dans un verre d’eau », Anna Karina, Maurice Pialat, Jacques Dutronc, Jean-Loup Dabadie, Michel Piccoli, Romy Schneider, Philippe Sarde, Yves Montand… Et même Robert Dalban, Noël-Noël, Noël Roquevert, Alfred Adam…
Ce « roman » qui ressemble beaucoup à un montage savant de documents épars, comme le faisait Godard à la fin de sa vie avec un autre esprit, vaut pour la synthèse qu’elle représente. Pas besoin d’être spécialiste pour connaître déjà beaucoup de ce qui nous est exhibé, mais les anecdotes et tous ces détails qui mettent en relief ces figures disparues pour la plupart aujourd’hui, donnent sa dimension à l’ouvrage.
Patrick Roegiers mise tout sur le montage et ne s’embarrasse pas du style. Des réflexions solennelles sont envoyées sur la mort, le temps, le cinéma… Un lyrisme gratuit. Manque le charme d’un sujet qui n’en manque pas : nostalgie, romantisme de Paris, de tous les personnages qu’il met en scène. Même leur snobisme ne transparaît pas. Trop du lyrisme de Truffaut, pas assez de Godard, Eustache ou Resnais. On apprend une expression rare, « peigner la girafe », qui signifie effectuer une tâche longue, fastidieuse et inutile.
Les analyses de films confinent finalement à l’anecdotique, et le regard sur les cinéastes reste en surface. Pas de pénétration, d’illumination, mais une connaissance sûre de son sujet. Un livre grand public qui se lit sans déplaisir.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 26/04/2023
432 pages
Grasset & Fasquelle
24,00 €
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