Bruna Husky est détective privée. Elle revient d’une enquête en « Zone Zéro » et se désespère de cette queue interminable devant le poste de contrôle où elle attend les vérifications lui permettant de passer la porte puis le sas de décontamination et enfin le contrôle des bagages.
Et c’est juste au moment où son tour vient qu’une vague humaine excitée se précipite sur le mur de clôture de la zone pour l’escalader malgré l’électrification sur la paroi. Celle-ci rejette implacablement tous ceux qui tentent de passer en force.
Mais cette manœuvre déclenche immédiatement l’intervention musclée et violente des Forces Spéciales de la Police, les Féroces, qui poussent, frappent la foule. Ils obligent tout le monde à s’agenouiller, au besoin à grands coups de crosse de leurs fusils.
Bruna est une réplicante de combat, une androïde programmée pour réagir avec une rapidité fantastique et une efficacité imparable à toute agression. Avant même d’avoir pu aller au bout de son geste, le Féroce qui voulait la frapper est étalé pour le compte. Un geste qui déclenche chez ses collègues une vague de peur dont seule la maîtrise de Bruna et son calme apparent permettent d’éviter le drame. Pour elle, si on en juge par les armes des Féroces braquées sur elle !
Pendant que les représentants de l'ordre vérifient ses fonctions, identités et autorisations, Bruna observe leurs manœuvre. Ils renvoient en Zone Zéro, avec brutalité, tous les gens qui sont, malgré tout, parvenus à passer le mur. Parmi eux, une enfant qui hurle entre leurs mains, sous l’œil des caméras installées sur les drones des chaînes d’actualités filmant la scène.
Bruna, prise d’un élan irréfléchi et spontané, affirme que la victime d’un kidnapping qu’elle est allée chercher en Zone Zéro pour son client est cette enfant qui hurle. Malgré le signalement pour faute que la chef des Féroces lui a infligé et qui lui vaudra, à coup sûr, des ennuis à son retour en Zone Un. L'androïde finit par passer le poste de contrôle avec Gabi à ses côtés se demandant, déjà mais trop tard, ce qui l’avait prise d’avoir agi ainsi ! Être plongée dans les ennuis administratifs n’était pas vraiment la fin attendue de ce séjour en Zone Zéro…
D’autant que Gabi n’est pas un cadeau… Heureusement qu’il y a Yannis, le vieil archiviste russe qui saura amadouer cette furie au passé visiblement difficile. Mais, de la même nationalité que lui, comme mentionnaient ses papiers d’identité, elle sera peut être sensible à ce point commun.
Elle pouvait aussi compter sur Lizard, un inspecteur de la police judiciaire qui faisait un peu office d’ange gardien autour d’elle…
Parce qu’elle en avait assez de la perspective de survie de « trois ans, dix mois quinze jours » que lui laissait l’espérance de vie les réplicants, pour lui saper le moral.
Apprendre que Gabi avait été exposée à des rayonnements nucléaires est une information qui ne ramène pas Bruna dans une situation d’apaisement. Où, pourquoi, comment ? Alors que l’énergie nucléaire est interdite sur la planète depuis 2059 ?
Des questions qui ne vont pas manquer de plonger cette dernière dans une enquête dont elle ne soupçonnait pas les tenants et aboutissants !
C’est un monde peu amène que nous promet Rosa Montero dans ce livre. Un monde où les problèmes de société qui pointent leur nez déjà aujourd’hui se sont exacerbés pour nombre d’entre eux ! Seule l’apparition d’une gouvernance mondiale paraît avoir permis d’éviter un grabuge total et fatal.
Mais elle s'est réalisée au prix de la création des « Terres Flottantes », des satellites artificiels monumentaux développés en orbite et où prospèrent des modèles socio-politiques délétères. Ils laissent persister des tensions encore lourdes avec la Planète originelle, la Terre, qui ne semble plus avoir grand chose de Bleu…
Dans ce 22e siècle de Rosa Montero, les relents xénophobes sont toujours présents, même s’ils se sont reportés sur les humanoïdes. La hiérarchisation de la société est de plus en plus prégnante et institutionnalisée. Les passe-droits et l’échelle de pauvreté s’avèrent exacerbés. Les forces de police sont toujours plus robocopisées et ne font pas dans la dentelle lors de leurs interventions au service des pouvoirs en place.
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La situation des femmes est loin d’être apaisée puisqu’elles sont toujours et plus que jamais sous le joug masculin notamment dans le royaume satellitaire de Labari. Bref, il ne donne pas furieusement envie ce 22e siècle ! Il aurait même tendance à faire douter des moyens qui subsistent pour parvenir à l’éviter…
Quant aux fameux réplicants qui sont loin d’être une innovation dans le monde de la science-fiction, l'auteure leur imagine une conception et une fabrication originale . Ils sont munis d’une mémoire fictive par des programmeurs qui leur inventent une enfance qu’ils n’ont évidemment jamais eue !
Mais surtout, ces humanoïdes ont une espérance de vie pré-définie qui leur laisse la conscience permanente de leur « reste-à-vivre » : une occasion terrible de faire dérouler un compte à rebours particulièrement stressant dont Bruna aura bien du mal à se départir, connaissant l’heure de l’apparition de sa T.T.T. (Tumeur Totale Techno) qui aura raison d’elle. Le supplice de la Peau de Chagrin !
L’enquête de Bruna est l’occasion d'emmener à la découverte de tout ce monde fictionnel créé et qui fait évoluer son héroïne subissant sans broncher la morgue des humains qui la méprisent, elle et ses semblables. L’être humain n’est pas prêt à accepter que ces créatures qui lui ressemblent, mais qui lui doivent tout, puissent, à un moment donné lui devenir supérieures en capacités. Encore et toujours le rejet de l’inconnu, de l’étranger, de celui qui est différent.
Les humains n’ont, pas d’autre credo que la recherche et l’ambition du pouvoir : lequel s’arrange avec toutes les petites compromissions nécessaires pour le posséder.
Pas facile de mener une enquête au milieu de toutes ces difficultés ! Et pourtant, Bruna, en bonne réplicante de combat, va mener la sienne jusqu’au bout. Loin de ses motivations initiales, pas seulement pour l’argent dont, bien sûr, elle a aussi besoin pour vivre, mais par « humanité ». Par une sorte d’engagement moral et sentimental qu’elle a spontanément pris lorsqu’elle a instinctivement décidé de prendre en charge Gabi, au contrôle d’entrée de la Zone Un. Un élan étonnant dans un corps d’humanoïde ! Dans une machine ?
Ce roman est une excellent moment de détente mais aussi de réflexion. Mieux vaut ne pas se lancer dans les aventures de Bruna Husky directement par le tome 2 (sur 3) ! Même si Le Poids du Cœur est excellent, il faut lire l'ouvrage précédent : Des Larmes Sous la Pluie (traduit par Myriam Chirousse, 2013, éditions Métailié).
Paru le 14/01/2016
356 pages
Editions Métailié
22,00 €
Paru le 09/01/2013
401 pages
Editions Métailié
21,00 €
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