Le grand comédien et pensionnaire de la Comédie française, Denis Podalydès, est également écrivain, et a publié en octobre aux éditions du Seuil, Les Nuits d’amours sont transparentes. L’acteur y narre la création de la pièce de Shakespeare, La Nuit des Rois par l'auguste institution théâtrale dont il est sociétaire : du casting à la première représentation dans la grande Salle Richelieu.
Le 13/12/2021 à 09:16 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
13/12/2021 à 09:16
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« Désir, ah tu débordes tellement de formes/le comble de la magie, c’est toi. » Le duc d’Orsino dans La Nuit des Rois, Acte I.
En 2018, la Comédie française avait en effet programmé une version très personnelle de la comédie de Shakespeare, La Nuit des Rois, mise en scène par le fantasque Thomas Ostermeier. Le directeur de la Schaubühne de Berlin en avait proposé une vision transgenre et d’une grande sensualité, dont la réception critique fut mitigée, certains jugeant la mise en scène trop démonstrative.
Deux singes qui accompagnent l’entrée du duc d’Orsino qui ouvre la pièce, ou encore des acteurs en slip toute la durée de la représentation, sont deux illustrations des choix du metteur en scène.
« Déchirer le voile de la convention »
Dans la pièce, Podalydès est le duc Orsino : souverain de l’antique Illyrie, sorte de terre fantasmée située dans l’actuelle Albanie, plus barbare que les grandes cités voisines. Il est amoureux de la comtesse Olivia qui le repousse. Pris de mélancolie amoureuse, il n’est plus capable de régner et se passe en boucle le Lamento della ninfa (dans la mise en scène d’Ostermeier), « la seule partenaire qui me comprend. »
Viola et Sébastien, deux jumeaux, font naufrage proche des côtes du duché. Viola, à présent seule, se présente à la cour, et sans la protection de son frère, se déguise en homme pour se soustraire à sa condition. Elle se présente alors au duc sous le nom de Cesario. Orsino la prend comme page, et voyant en elle un homme, lui révèle ses tourments. Elle tombe alors amoureuse du duc. « Elle voit la faiblesse du roi et tombe aussi amoureuse de sa bêtise. » Olivia, de son côté, tombe amoureuse de Cesario/Viola, alors qu’il a été envoyé pour convaincre la comtesse d’accepter les avances du duc. Apparaît Sébastien, dont la ressemblance avec Cesario trompe tout le monde. Après une série de quiproquos, le duc épouse Viola et Sébastien, Olivia.
Dévoiler les coulisses, montrer et faire comprendre l’art d’un metteur en scène, assister au miracle d’une mise en scène qui prend corps, décrire les étapes de la prise d’un rôle, voici le but que s’est fixé Denis Podalydès. Dans l’humilité qui caractérise tout le récit, il aspire aussi à révéler l’art de ses camarades de la Comédie française, mais surtout louer le travail et le talent du metteur en scène, Thomas Ostermeier, qu’il admire pour son ambition de « déchirer le voile de la convention. »
Denis Podalydès confie, au début de son livre, avoir toujours rêvé de monter La Nuit des Rois, pièce pour laquelle il conçoit une véritable fascination. Comme une sorte d’éternel acte manqué, il n’y est jamais arrivé, mais tel une exorcisation de cette ambition, il a noté ce qui se déroulait durant les répétitions pour nous en offrir un récit, et à travers ce dévoilement des coulisses, un instantané de l’acteur de 55 ans, comme une méditation sur l'art théâtral.
Au contact de l’approche de Thomas Ostermeier, c’est la dimension politique de la pièce qu’il découvre. Ce n’est pas qu’une pièce sur l’amour, mais sur l’opposition entre celui-ci et le pouvoir. L’amour menace le pouvoir, et inversement : ce sont deux forces antinomiques.
Les personnages secondaires de la pièce sont des figures de la cour d’Illyrie, alcooliques et brutales. Il y a également Malvolio, intendant d’Olivia et figure du puritain assoiffé de pouvoir, qui finira mystifié. Pour chacun des personnages, Denis Podalydès porte un regard critique qui se précise et s’affine au fil des répétitions et des propositions d’Ostermeier.
Malvolio ? Il aime le pouvoir, mais n’est-ce pas là le masque de sa déception amoureuse ? Un Malvolio qui finit pendu, en jarretière croisée, bas jaune et énorme sexe d’or. Le duc Orsino ? Il est peut-être plus poète que souverain ? Un amoureux de l’amour plus que d’une femme. La thèse de cette pièce : Nul n’échappe au désir…
La querelle des Anciens et des Modernes
Plus profondément, le projet d’Ostermeier est de mettre en évidence l’ambivalence qui traverse toute l’œuvre de Shakespeare, et cette pièce en particulier. Cette ambiguïté qui donne sa profondeur et sa subtilité à tous les chefs-d’œuvre de la littérature. Ici, l’ambivalence religieuse, sexuelle, existentielle, cachée. Un Shakespeare à la quête de la duplicité des hommes et des choses. Lui-même tellement protéiforme que certains doutent même encore de son existence, à l’instar de Molière dont d’aucuns ne peuvent imaginer qu’il ait pu produire une œuvre aussi large.
Ce texte est l’occasion de découvrir la méthode Ostermeier : « Au début, j’expliquais point par point comment une pièce devait fonctionner. J’ai appris que des consignes trop strictes donnent des résultats rigides, gauches et austères. J’ai complètement changé. » À présent, le metteur en scène utilise par exemple la technique du Storytelling : jouer une situation définie, pour comprendre, par l’expression vécue grâce à la scène, à quelle émotion il faut s’arrimer. Un exercice décrit par Podalydès permet ainsi aux comédiens de comprendre que « la psychologie, c’est le contraire de la théâtralisation des émotions. La réalité s’exprime sur un mode moins émotionnel. »
Un principe qui rejoint la nouvelle querelle des Anciens et les Modernes au théâtre. Le style à l’ancienne, la déclamation forte, face au style « réaliste », dont l’objectif est de rendre « un cœur chaud, parole froide ». Denis Podalydès fait bien la distinction entre le style réaliste et le style « naturaliste », pensé comme l’affichage d’une pseudo-vérité de carton-pâte. Le comédien nous immerge dans les débats du théâtre contemporain, en mettant en perspective le contexte actuel avec l’époque de ces débuts.
Il suffit d’écouter une lecture de Robert Hirsch ou un enregistrement d'un Molière des années 50, disponibles en podcast dans l’émission Les Nuits de France Culture, pour se faire une idée claire de la phraséologie précédente. L’excès inverse n’est pas éludé par Denis Podalydès : dans le style réaliste, devenu norme, on a parfois du mal à entendre les comédiens, comme on pourra regretter un parler jugé par trop « familier ».
Il évoque également la place du metteur en scène : « On voit les êtres, on finit par tout savoir d’eux, de cette masse de données secrètes. Un metteur en scène peut faire beaucoup. Il peut faire du bien et du mal, jeter le trouble ou inspirer confiance, modifier, transformer quelqu’un, le détruire ou le révéler. »
Ce beau texte, écrit sans prétention, vaut encore finalement pour les confessions de Denis Podalydès, qui se révèle d’une grande modestie, au point où on n’imaginerait pas sa carrière et ses distinctions. On notera un passage émouvant où l’acteur évoque la maladie de son frère, Bruno Podalydès, ou le temps qui passe et la vieille mère « presque indifférente à force de solitude et d’anciennes dépressions ».
Durant la première représentation, Thomas Ostermeier, avant que les comédiens ne montent sur scène pour le dernier acte, leur énonce : « Au cinquième acte, le sous-texte de chacun doit être : je ne comprends rien ; le monde n’est pas ce qu’il est ; c’est une illusion »....
Paru le 14/10/2021
272 pages
Seuil
21,00 €
1 Commentaire
Falsetto
14/12/2021 à 13:49
Comment faire confiance à un type qui se complait dans la tauromachie et autres torture animal?