Fort de ses succès en librairie, Riad Sattouf lance une nouvelle série, dans laquelle il raconte le parcours de Vincent Lacoste, jeune étoile du cinéma français. Au même moment, Joub et Nicoby retracent les aventures cinématographiques atypiques de Patrice Leconte, l'un des rares réalisateurs à être parvenu pendant plusieurs décennies à alterner films à grand succès et projets plus personnels. Ces deux albums BD dévoilent les coulisses des tournages, les complications de production et les joies de la création cinématographique. Des cases qui donnent des envies de salles obscures.
On ne compte plus les films dont le scénario est tiré d'un album de BD, depuis les classiques comme les aventures d'Astérix et Obélix jusqu'aux projets beaucoup plus étonnants comme Les Olympiades, le dernier film de Jacques Audiard dont le scénario est adapté de plusieurs récits brefs d'Adrian Tomine (publiés par les éditions Cornélius sous le titre Les intrus). Certains font des flops monumentaux (faut-il évoquer par exemple le Valérian de Luc Besson ou les adaptations de Spirou (celle du Petit comme celle du grand) qui n'ont pas réussi à attirer le public en salle ?), d'autres des succès à répétition (ainsi Les profs cartonnent-ils en libraire comme au cinéma, sans parler des licences Marvel)...
Bref, si la BD et les comics servent de réservoir à idées pour les scénaristes de cinéma, le cinéma est aussi un sujet volontiers traité en bande dessinée. Biographies ou fictions autour d'Alfed Hitchcock ou de Marylin, biographie magistrale d'Alice Guy par Catel et Boquet, les projets ne manquent pas... Cet automne, pour varier les approches, deux projets de BD entremêlent plus intimement que jamais les rapports déjà étroits entre 7e et 9e arts.
Le parcours sinueux de Patrice Leconte
Joub et Nicoby font de la BD depuis longtemps, séparément et ensemble. On les avait notamment croisés côté à côte dans les planches du très exotique Manuel de la jungle. Ils partagent une admiration commune vouée à Patrice Leconte (réalisateur des deux premiers films des Bronzés, entre autres, mais aussi du Mari de la coiffeuse ou de Tandem) et que celui-ci est non seulement lecteur assidu de BD, mais a publié plusieurs albums à la grande époque du journal Pilote sous la houlette de Gotlib, c'est tout naturellement que le cinéaste accepte la proposition des deux fans bédéastes : dresser son portrait en cases et en bulles à partir de quelques rencontres et de longues discussions. La couverture résume le dispositif en une seule image, très parlante : tandis que Leconte monte les marches sur le tapis rouge, Joub l'enregistre pour le scénario et Nicoby le filme pour les dessins.
Au fil des planches, on perçoit l'immense respect que Leconte voue à la BD et l'attention qu'il porte année après année au parcours de nombreux artistes : si Le cinéma de Leconte (publié aux Editions Dupuis) est centré sur le parcours de cinéaste, les dialogues sont en revanche portés par un amour commun aux trois auteurs pour la force des histoires racontées en texte et images, que ce soit en projection sur un écran ou imprimées dans les planches d'un album.
On traverse la carrière du réalisateur, s'intéresse à ses projets avortés comme à ses succès populaires. Il en ressort un portait très subjectif, fragmentaire, qui permet de deviner une personnalité boulimique, hyperactive et qui mise beaucoup, après quelques erreurs de débutant, sur la bonne relation qui doit s'établir entre le metteur en scène et ses acteurs. Et on tourne évidemment la dernière page avec l'envie furieuse de revoir Les grands ducs ou d'enfin mettre la main sur un DVD des Vécés étaient fermés de l'intérieur.
Sattouf met à nouveau Lacoste en lumière
Je ne vous ferai pas l'injure de présenter Riad Sattouf, dont les deux séries phares, L'Arabe du Futur et les Cahiers d'Esther figurent chaque année pamri les meilleures ventes des librairies. Je me permets tout de même de rappeler que c'est avec ses projets centrés autour de l'adolescence (La vie secrète des jeunes ou Retour au collège) que l'auteur a démontré son talent exceptionnel et sa passion pour reproduire d'un trait impitoyable l'âge ingrat, les postures rebelles, les insultes de cour de récrés et tous les éléments qui, de manière générale, font le sel, le poivre et le piment de cette période de la vie, probablement moins glamour que les autres.
Le jeune acteur est le premier tome d'une série que le bédéaste a décidé de consacrer à Vincent Lacoste, acteur qu'on ne présente plus non plus, mais qui a été déniché par Riad Sattouf quand il cherchait le personnage principal de son premier long-métrage, Les beaux gosses.
En racontant le casting, puis le tournage de leur premier film en commun, et de leur premier film tout court, Sattouf fait une fois de plus des miracles : il est drôle, percutant, mais aussi émouvant. Grâce à son talent exceptionnel pour réduire les anecdotes à leur côté le plus humain, le plus misérable bien souvent, il transforme cette biographie de star en épopée d'ado qui passe de l'ombre à la lumière, vilain petit canard banlieusard projeté pour un temps dans un monde auquel il ne connaît ni ne comprend pas grand-chose. Et, jamais très loin de lui, Riad Sattouf tient le rôle de la marâtre, attentif, autoritaire, très parental, comme s'il redoutait que ce gamin, en qui il a cru voir son Jean-Pierre Léaud, ne finisse par tout gâcher en explosant en plein vol.
On pouvait redouter qu'avec un sujet pareil, Sattouf ne se perde dans les strass et les paillettes ; il n'en est évidemment rien. Même quand son héros débarque à Cannes, une fois le film tourné, les projecteurs ne sont pas braqués sur le tapis rouge, mais vers les coulisses, les petites manœuvres maladroites, les incompréhensions... et la séquence du retour dans l'appartement familial rappelle qu'un atterrissage en catastrophe suit inévitablement une montée fulgurante vers les étoiles.
A noter que pour ce nouveau projet éditorial, Riad Sattouf s'affranchit des éditions Allary, qui ont publié ses derniers albums, et porte sur les fonts baptismaux Les éditions du Futur, sa propre maison d'édition. À ce jour, elle n'a qu'un seul album à son catalogue, mais qu'elle réussite ! S'il y avait un César pour la meilleure BD de cinéma, ce premier tome du Jeune Acteur l'emporterait sans hésiter. Souhaitons à cette maison d'auto-édition toute fraîche, de connaître, comme Riad Sattouf et Vincent Lacoste, un parcours aussi fulgurant que durable.
Paru le 04/11/2021
144 pages
Les livres du futur - Riad Sattouf Productions
21,50 €
Paru le 24/09/2021
144 pages
Editions Dupuis
19,00 €
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