Les éditions Poesis ont publié ce 4 novembre John Keats, La Poésie de la terre ne meurt jamais : un recueil d'extraits des correspondances du poète romantique anglais et de choix de poèmes. Une correspondance traduite par Thierry Gillyboeuf, et les poèmes par Cécile A. Holdban. Les éditions dirigées par Frédéric Brun continuent à s'intéresser au romantisme de la fin du XVIIe-début XIXe, après une édition consacrée au poète allemand Novalis, en 2015.
Le 09/11/2021 à 11:24 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
09/11/2021 à 11:24
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« Oh ne te soucie pas du savoir : je n’en ai aucun / Et pourtant le soir écoute. Celui qui s’attriste / À l’idée d’oisiveté ne peut être oisif, / Et il est réveillé celui qui croit être endormi. » (Vers tirés d’une lettre à John Hamilton Reynold , le 19 février 1818.)
Alors que l’on a célébré, le 30 octobre, le bicentenaire de la naissance du romancier des souterrains de l’âme, Fiodor Dostoïevski, l’Angleterre célèbre de son côté un poète. Un autre bicentenaire : celui de la mort du poète John Keats le 31 octobre 1821, archétype du poète romantique, mort à 26 ans. Presque dans le club des 27. On mourait alors plutôt de tuberculose.
John Keats a été l’un des précurseurs de ce romantisme qui va parcourir tout le XIXe siècle européen, fait de fatigue, de sensibilité, de nationalisme, et d’expression de l’individualité poétique. La poésie de Keats tire néanmoins encore sa source dans les motifs de la nature et de la mythologie. Le peintre de vie moderne viendra plus tard et le voyant aux archipels sidéraux bien après. John Keats est un contemporain de Lord Byron, de Wordsworth, de Coleridge, de Chateaubriand, mais également de Hölderlin : tous des aînés qui lui survivront. Des visions à la Caspar Friedrich sont l’arrière-fond de cette période.
Des idéalistes, des anti-Dostoïevski. Rousseau est dans les esprits : l’idée serait de revenir à l’état de nature, dans un temps où l’industrie s’impose. Le russe narre l'ambiguïté de la nature, violente et parfois divine, quand le romantisme se souvient d’une enfance disparue.
En rendant hommage à l’auteur de Bright star, Frédéric Brun, chargé de la conception, du choix des textes et de l'avant-propos, a souhaité mettre en résonance l'œuvre poétique de Keats et l’écologie : sujet plus que jamais au centre des préoccupations imposées par la réalité et l’esprit du temps.
« Il n’y a rien de moins poétique qu’un poète »
Un avant-propos, parfois un peu creux, ouvre l'édition : « derrière sa profonde attirance pour la Nature se cache un questionnaire permanent sur lui-même et sur les hommes ». « John Keats demeure un grand poète, même quand il écrit ses lettres ». On y trouve une petite biographie de Keats, mort tôt, consacrant la plupart de ses heures à l'écriture. Comme tout poète au sens fort du terme, c’est à l'immortalité qu’il aspire.
La première partie est consacrée à sa correspondance avec ses amis, sa famille, sa fiancée Fanny Brawne, connue pour beaucoup à travers le film Bright Star de Jane Campion. Des réflexions sur la création, la poésie : « ces pensées me sont venues, mon cher Reynolds, grâce à la beauté du Matin agissant sur un sentiment d'oisiveté ». Ses conceptions, son travail, ses axiomes, sa quête de l'évidence en poésie, son ambition de renouveler la poésie, son rapport à la vie, au quotidien, au futur, à l'amour, au mariage, à la solitude…
« Ce matin, la poésie s’est imposée : je suis retombé dans ces abstractions qui sont ma seule vie. » On suit son évolution vers la maladie, et ses insuccès de poète qui le rendent amer : « Peu d’hommes pensent par eux-même. » Il évoque ses auteurs fétiches, Shakespeare, Milton, se compare : « Vous parlez de Lord Byron et moi. Il y a cette grande différence entre nous. Il décrit ce qu’il voit ; je décris ce que j’imagine. Ma tâche est la plus dure. » La mort préside les dernières lettres du poète, et pensant sa dernière heure arrivée, c’est sur Fanny Brawne que ses sentiments les plus profonds se fixent.
On trouve cette sentence : « il n’y a rien de moins poétique qu’un poète », affirmation reprise dans le superbe film de Jane Campion dans les « cours » de poésie qu’il donne à Fanny Brawne. Avant d’ajouter : « Le poète n’est pas lui-même, il n’a pas d’être. Il est tout et rien. Il n’a pas de caractère ; il apprécie l’ombre et la lumière ; il goûte la vie qu’elle soit belle ou grossière, noble ou indigne, riche ou pauvre, médiocre ou élevée (...) Ce qui choque le vertueux comble le poète caméléon. » Une acception de la poésie qui s’éloigne de l’image d'un art qui se voudrait l’expression personnelle d’une sensibilité exacerbée, alors qu’elle est celle d’une lucidité démiurgique et visionnaire. « Le poète jouit de cet incomparable privilège, qu'il peut à sa guise être lui-même et autrui », disait Baudelaire.
La correspondance du poète révèle un romantique au dernier degré, à la hauteur de sa neurasthénie. Depuis Nietzsche, on sait que d’abord, il y a le corps. Né en plein romantisme en 1795, ce fils de palefrenier aura révélé, en revanche, une grande force en construisant une œuvre étendue en peu de temps, colorée des jeunes années dans lesquelles il les a façonnées. Un poète phtisique et malingre qui aura prouvé une énergie peu commune. Signe d’un grand artiste : il a toujours jugé la littérature comme quelque chose d’inférieur. Par la Beauté, il aura travaillé à se soustraire au temps.
Une sublimation de son monde intérieur
Le choix de poèmes se conclut par son plus célèbre, Bright Star, précédés de certains moins connus, mais également d’extraits de longs poèmes, comme Hypérion et Endymion. Une poésie des grands mots : l'Éther, le Paradis, l’Enfer, les Ténèbres… Une Nature avec un grand N, comme une sublimation de son monde intérieur. John Keats a annoncé son époque, et est resté pour avoir exprimé ce que les hommes ont tous en eux, de manière plus ou moins éloignée de leur conscience, héritée de leur jeunesse : il n’y a que dans l’absolu qu’il est possible de respirer.
Une poésie réculée, et dont la traduction de Cécile Holdban creuse un peu plus le gouffre qui nous en sépare, en poétisant. Prenons par exemple le célèbre Bright Star : « Brillante étoile, que ne suis-je aussi immuable que toi (...) À observer, mes paupières éternellement ouvertes… » ou encore à la fin du poème « Et vivre ainsi jamais - ou bien défaillir dans la mort. » Sa traduction me semble également desservir une possible musicalité des vers de Keats en français.
Une belle édition à couverture verte, avec quelques dessins noirs et blanc qui parsèment le livre. Un titre tiré de son poème, La sauterelle et le grillon. « Une nature d’une horrible morbidité » qu’il tente de sublimer, comme de rédimer par la poésie. Un long poème : Sommeil et poésie, de 1816, s’achève par deux vers qui rappelleront l’irradiante vérité des derniers vers de l’Hymne à la Beauté de Baudelaire : « De la Poésie : elle doit être une amie qui, / Allège les soucis et élève les pensées des hommes. »
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 04/11/2021
128 pages
Poesis Editions
16,00 €
2 Commentaires
FAVRE REYMOND
10/11/2021 à 05:39
Très bel article, reconnaissons le !
René Molincier
13/11/2021 à 22:28
J'ai beau me creuser, je ne parviens pas à comprendre, au fond, votre très laborieuse critique.
C'est entendu, vous admirez - et c'est parfaitement compréhensible - ce cher vieux Fiodor. Mais que diable vient-il faire ici, par deux occasions au moins ? Les dates, les hommages, vos préférences : parfait ! Mais encore ?
Vous mentionnez les extraits de correspondances : très bien ! Mais c'est à la portée du premier copiste venu. Qu'en avez vous réellement retenu ? Je cherche encore (sinon quelques lieux communs sur le premier romantisme, un Nietzsche mal digéré, ou des remarques plus ou moins wikipedienne).
Puis, vous détruisez - sans d'ailleurs oser aller jusqu'au bout de votre désintérêt, voire de votre dégoût : le narrateur des carnets du sous-sol en rit encore - la traduction trop poétisante, affirmez-vous, de ces textes. Parce quoi ? Vous eûtes peut-être pu préféré un slam ? Ou bien preferâtes-vous (sic) une plus becheuse universitaire version ? Je cherche, là encore, les motifs de votre trop superficielle critique (dezingage ?), Sauf celui-ci : vous n'aimez foncièrement pas la poésie de Keats - ce qui est votre plus absolu droit -, mais il vous faut toutefois une victime expiatoire : la traductrice. Coupable d'être elle-même poète. Et, je le pense quoi que ce ne soit qu'un bien personnel et modeste avis, assez sensible tout autant que douée du sens profond des mots pour transcrire en notre langue celle d'un lointain correlegion aire