Au sortir de la lecture de Birthday Girl (trad. Hélène Morita) avec laquelle Haruki Murakami m’avait ravi, j’ai voulu poursuivre ma découverte de ses autres écrits. Sur les conseils de mon libraire, je suis donc reparti avec, dans ma poche, Des Hommes Sans Femmes, un recueil de nouvelles (trad. Hélène Morita) de cet auteur dont j’avais tant apprécié les talents de narrateur.
Le 04/10/2021 à 09:49 par Mimiche
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Publié le :
04/10/2021 à 09:49
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Le hasard fait (parfois) bien les choses : la première des nouvelles dans laquelle je me suis plongé est Drive my car, que j’avais prévu d’aller voir au cinéma quelques jours plus tard, sans préméditation ! Or, il s’avère que j’ai toujours préféré lire un livre avant d’aller voir le film dont il est inspiré !
Ce huis clos magnifique dans l’habitacle d’une voiture m’a immédiatement captivé (comme l’avait fait Birthday Girl) retrouvant avec plaisir l’écriture fine, efficace, douce et attendrissante de l’auteur qui use d’un stratagème diabolique pour mettre, dans cet espace confiné, sans échappatoire, ses deux personnages débordés de solitude : un homme d’âge mûr et veuf et une jeune fille orpheline. Lui, ne peut plus conduire parce qu’il est atteint d’une dégénérescence visuelle.
Elle, est conductrice professionnelle et a été engagée pour l’emmener partout où son travail de metteur en scène le demande. Lui, quelques années auparavant, a perdu sa femme atteinte d’un cancer alors qu’il avait le sentiment de l’avoir déjà un peu perdue après avoir découvert ses infidélités conjugales. Elle, n’a que très peu connu son père et perdu sa mère dans un accident de la route où, prise d’alcool comme trop souvent, elle avait trouvé la mort.
Le silence s’établit entre deux répétitions auxquelles, lui, s’exerce dans un pseudo dialogue avec une cassette audio glissée dans le lecteur de la voiture. Pendant ce temps, elle écoute, se tait et conduit. Entre eux, de rares échanges sur leur solitude réciproque. Entre eux, deux mondes que la maladie de l’un et le métier de l’autre, seuls, ont rapprochés.
Tout cela est décrit, est écrit, avec ce que j’imagine être l’âme ou la sensibilité japonaise (pure conjecture de ma part, n’ayant aucune culture extrême orientale), avec une totale retenue des sentiments, un contrôle des gestes, des expressions faciales, des mots, qui confine à la froideur et à l’insensibilité, mais qui ne doit être qu’un écran protecteur face à des ressentis totalement refoulés, enfoncés au plus profond de soi. Pour ne laisser paraître aucune faiblesse ? Par pudeur ?
Et je me suis demandé comment, avec seulement ces quelques mots échangés entre eux pour replonger, un peu, dans le passé qui les a meurtris tous les deux, un réalisateur pouvait monter un film d’une durée de trois heures quand la nouvelle ne fait pas plus de 48 pages !
Je vous laisse le soin de le découvrir, car, malgré quelques libertés prises par le scénario à l’égard du texte, le film en reste très proche et les silences sont presque les mots d’Haruki Murakami.
Les six autres textes du recueil sont tous sur le même registre. Ils ont tous, à peu près, la même longueur, une cinquantaine de pages. Ils ont tous le même sujet, Des Hommes sans Femmes !
Des relations tellement compliquées (ou que peuvent rendre compliquées entre eux un homme et une femme). Des hésitations. Des croisées de chemins où l’un prend à droite et l’autre à gauche. Des situations potentiellement sans issue quand l’un est marié et l’autre pas. L’état d’esprit de l’un ou de l’autre au moment où une rencontre se noue, au moment où elle se termine…
Haruki Murakami décortique ses personnages aux côtés desquels il y a toujours un observateur plus ou moins impliqué, plus ou moins extérieur, pour contribuer à l’analyse de leur relation, pour participer à ce décryptage, pour tenter d’ajouter des indices contribuant à leur apporter plus de relief, plus de profondeur, pour ouvrir des réflexions quant à leurs motivations profondes.
Comment un médecin réputé et quelque peu volage dans ses relations habituellement sans réel lendemain devient-il soudain, à un âge avancé, fou d’amour jusqu’à provoquer son auto-destruction quand il sent l’objet de sa passion s’éloigner inexorablement, définitivement ?
Comment une femme, telle une Shéhérazade des temps modernes, qui occupait une sorte de poste de gouvernante chez un homme seul, mais dont la relation a progressivement glissé vers une relation beaucoup plus intime, va-t-elle maintenir celui-ci dans une sorte de dépendance totale, non pas dans la seule relation sexuelle, mais plutôt dans ces conversations qui meublent à l’infini, l’espace-temps d’après l’amour physique ?
Que se passe-t-il dans l’esprit et dans le cœur d’un agent commercial efficace et performant qui, des années durant, a sillonné le pays pour vendre les produits de l’entreprise qui l’emploie et qui, rentrant chez lui une journée plus tôt que prévu dans sa tournée de rendez-vous, découvre les infidélités de son épouse avec un de ses meilleurs amis au sein de l’entreprise ? Divorcer ? Certes. Reprendre une autre vie ? Oublier ? Mais comment ? Et à quel point ?
Ainsi, dans chacune de ces nouvelles, Haruki Murakami pénètre avec perspicacité dans l’âme de ses personnages et, avec délicatesse, nous dévoile les tourments dans lesquels ce quelque chose d’intangible que nous tentons d’habiller avec des mots comme sentiments ou amour va plonger irrémédiablement les protagonistes, au fur et à mesure qu’ils en subissent les assauts insidieux et déstabilisants !
À lire. Et surtout à relire de temps en temps ! Posément...
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2 Commentaires
kelticLago
05/10/2021 à 14:15
J'apprécie beaucoup votre compte-rendu pour cet ensemble de nouvelles, qui gagneront encore à être relues dans quelques temps!
Pourquoi en rester là? sur le "mode" Birthday girl, il y a les attaques de la boulangerie ou L'étrange bibliothèque. On peut augmenter l'épaisseur aussi: rêver avec Kafka sur le rivage (attention au cauchemar!), changer de monde pour La fin des temps, s'immerger dans Les chroniques de l'oiseau à ressort...
Mais surtout, depuis que HM a réautorisé la publication des ses deux premiers romans, pourquoi ne pas attaquer cette remarquable trilogie du rat? Ecoute le chant du vent, Flipper 1973 pour arriver à la fabuleuse course au mouton sauvage... (le quatrième mousquetaire Danse, danse, danse étant, à mon avis, en retrait. Surtout après avoir mangé le mouton!)
Et puis, que peut-il bien se passer à l'ouest de la frontière pendant le passage de la nuit?
Mimiche
05/10/2021 à 17:57
Merci pour vos suggestions.
Je n'ai pas l'intention de lire toute la production de HM mais j'ai bien prévu de poursuivre quand même un peu de chemin dans ses univers.