Les saisons pré-électorales sont régulièrement l’occasion de voir fleurir des ouvrages de futurs candidats, voire de candidats à la candidature. Noël Mamère n’est cependant rien de tout cela puisqu’il ne brigue plus de mandats. Aurait-il donc sorti son livre longtemps avant l’échéance nationale de 2022 pour se démarquer du flot de ces parutions qui ne vont pas manquer de couvrir les étalages des librairies ?
Ambitionne-t-il un rôle de « vieux sage » susceptible de provoquer, parmi les divers courants (torrents ???…) écologistes un sursaut salutaire pour enfin consolider une pensée politique largement répandue qui, depuis René Dumont, a crû dans tous les milieux politiques, sociaux, philosophiques... sans jamais parvenir à crever un plafond de verre ?
Sorti deux ans avant la prochaine échéance, on peut l’imaginer compte tenu des gesticulations cacophoniques qui font florès d’un extrême à l’autre de notre paysage politique, sans réellement sembler capables ni de conduire à des rassemblements ni de déstabiliser les sondages qui continuent de prédire l’avènement renouvelé du même baril de lessive qu’un très performant battage médiatico-communicant nous a efficacement fait acheter !
Et c’est certainement avec une espérance de cette nature que j’ai débuté la lecture de L’Écologie Pour Sauver Nos Vies il y a seulement quelques jours : je n’ai pas été déçu, même si ma lecture m’a, sans conteste, largement étonné.
J’ai ainsi découvert un Noël Mamère un peu différent de l’image que j’en avais : profondément marqué par une rencontre fondatrice pour lui avec un penseur du Sud Ouest, Bernard Charbonneau, dont il ne cesse, au fil des pages, de regretter l’oubli, sinon l’ignorance, de la pensée « écologiste » avant-gardiste et de mettre en évidence les propos quasi prémonitoires sur une incroyable variété de sujets même si, alors, la notion de « dérèglement climatique » n’avait pas encore éclos.
Partant des « Visionnaires » (chap.1), dont B. Charbonneau, mais aussi J. Ellul, E. Reclus ou, bien sûr, H.D. Thoreau, dont les lectures commenceront à forger sa vision critique du « mythe du progrès » et son humanisme écologiste qui réintègre l’homme dans la nature dont il ne peut être dissocié, Noël Mamère s’applique à enfoncer le clou du « Seul monde » (chap.2) dont nous disposons (loin, bien loin, de la Planète B) et sur lequel « nous avons déjà détruit les mondes d’autres peuples », ce dont « il nous faudra bien régler l’addition ».
Et ce n’est pas La fuite en avant (chap.3) dans laquelle nous nous précipitons qui nous permettra d’« échapper à l’enfer alors que nous ne faisons rien pour en sortir » ! Il est dommage, dans ce chapitre où il s’élève contre « le business de la surveillance », que son ouvrage n’ait pas eu le temps de prendre en compte les incidences de l’actuelle pandémie et de se positionner vis-à-vis de leur caractère prétendument (c’est mon point de vue) liberticide. Alors qu’il s’insurge avec raison (c’est aussi mon point de vue) des dépenses pharaoniques de la conquête spatiale [ou du militaire, mais c’est un autre point de vue personnel] alors que l’argent fait défaut pour lutter contre les mégafeux ou le dérèglement climatique ou la pauvreté.
HISTOIRE: En 1912, un article pointait les causes du réchauffement climatique
Même si Les rebelles [chap.4] s’insurgent et manifestent, « cette mobilisation sans précédent arrive-t-elle trop tard » pour ébranler Le système [chap.5] dont les forces internes et les relations obscures, mais tentaculaires [ce fameux lobbying dont Nicolas Hulot a fait les frais] minent le terrain du changement et « contribuent sciemment à mettre en si grand danger la planète » ? Quand la « manipulation et l’omerta » ne conduisent pas à la falsification des informations diffusées [petit croche-pied sans concession aux lobbies nucléaire ou de la chasse] dont Le cynisme [chap.6] contribue « à faire voler en éclats la confiance, ciment indispensable de la vitalité démocratique » et n’est pas étranger, par les trahisons idéologiques qu’il a autorisé, « à planter des clous sur le cercueil de la gauche ».
Car Les imposteurs [chap.7] sont légions qui, comme J. Chirac, ont vu la maison brûler, l’ont clamé haut et fort et continuent à laisser faire, voire à s’abaisser à des propos désobligeants face à la ténacité et au parler droit de G. Thunberg pour « faire diversion » et discréditer au bénéfice « d’un système économique, le capitalisme, fondé sur l’exploitation de l’homme et des ressources ». Alors que « notre “système” est d’autant plus vulnérable et fragile qu’il est global ». Alors que « les pays riches se sont soulagés de leurs risques sur les pays […] pauvres [... et] s’exonèrent de leurs responsabilités politiques en sous-traitant les phénomènes migratoires à des dictateurs ».
Le jour d’après [chap.8] qui se dessine est tétanisant tant la pandémie a exacerbé les inégalités et les injustices, l’impréparation et les mensonges, les catastrophes et les bouleversements de cette machine infernale pour laquelle « il n’existe pas de bouton Stop » ! Et parce que « le monde d’aujourd’hui a préempté le monde de demain ».
Alors Quelle écologie [chap.9] peut-on imaginer pour « se refonder » ? Celle qui, comme le proclame Naomi Klein dans son Vaincre l’inégalité climatique et sociale affirme le lien étroit entre les problèmes écologiques et sociaux ? Celle qui persiste à remettre en cause « les sacro-saints dogmes de la croissance et du progrès » ? Celle qui, écologique et solidaire, « sera capable de redonner espoir aux enfants de ce siècle » envers et contre tous Les intégristes [chap.10] qui font les choux gras sur « notre peur de fin du monde » ?
En conclusion, Noël Mamère garde des « raisons d’espérer » sans céder au catastrophisme, à la xénophobie ou à un réformisme de la « bourgeoisie dirigeante […] qui après l’abondance [gérerait] la pénurie et la survie […] en sacrifiant cet autre fluide vital : la liberté ». « L’histoire nous a appris que les humains sont capables de conjurer des fatalités promises », dit-il. Ce qui est cependant loin de suffire pour être un programme.
Ainsi, de chapitre en chapitre, Noël Mamère égrène expériences personnelles, intéressantes et engagées, analyses du paysage politique débordant largement de nos petites frontières ou encore positionnements sociétaux susceptibles de défriser plus d’un lecteur [moi le premier, mais peut-être aussi certains de ceux dont il souhaite cependant provoquer le rassemblement politique salutaire], que l’exercice de l’écrit n’ouvre ni à la contradiction ni à l’exhaustivité du propos. Le politique et le journaliste se présentent respectivement sous des éclairages plutôt avantageux même s’ils n’omettent pas de relever quelques travers et erreurs [autoabsous !] auxquels ces positionnements peuvent conduire et bien vite éclipsés par la rhétorique !
L’exercice reste une belle lecture mettant en lumière un éternel militant.
Paru le 04/06/2020
160 pages
Les Petits Matins
14,00 €
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