L’édition numérique, une histoire de petits papiers… Le monde digital en place depuis le tournant des années 2000 explose en 2007 avec l’apparition de la première liseuse (Kindle by Amazon) et se popularise par la suite. Jusqu’alors cantonné au monde scientifique et universitaire qui s’en sert pour garder une trace des recherches et autres études sans devoir payer un coût d’impression, mais aussi sans leur allouer une place physique dans des locaux, l’édition numérique devient un projet viable pour l’édition littéraire.
Le 23/02/2021 à 14:32 par Auteur invité
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23/02/2021 à 14:32
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Tantôt fer de lance d’une nouvelle ère, tantôt grande destructrice de l’édition papier, l’édition numérique est longuement discutée et très souvent décriée par les professionnels du monde du livre. Elle finira toutefois par atteindre un rythme de croisière aux alentours des 5% des ventes éditoriales et connaîtra une croissance lente en comparaison de celle du livre papier, mais toutefois constante.
En 2019, selon le rapport du SNE (Syndicat National de l’Édition), la part du nombre des ventes éditoriales pour le secteur du numérique est de 8,7 %, soit une évolution de 0,3 % par rapport à 2018. Encore une fois, la tendance de différenciation entre papier et numérique se vérifie, puisque ce dernier a une part inférieure à 10 % des ventes totales de l’édition, ainsi qu’une croissance lente (+ 0,3). Elle représente près de 232,3 millions d’euros de chiffre d’affaires des éditeurs sur le total de 2,3 milliards d’euros.
En ce qui concerne les ventes, une partie très largement majoritaire est occasionnée par le secteur professionnel et universitaire, premier secteur à être passé de l’édition papier à l’édition numérique, avec plus de 70 % des ventes totales des ventes numériques, soit une valeur de 163 millions d’euros. En revanche, la littérature est très largement désertée sur le numérique puisqu’elle n’en représente que 13 %. Mais le plus grand gagnant de ces dernières années est le scolaire avec plus de 11 % de hausse des ventes sur l’édition en format numérique, passant de 11 millions d’euros à 24 millions d’euros.
Publie.net est une maison d’édition numérique créée en 2008 par l’écrivain François Bon. Son éclosion sur le marché français peu ouvert au numérique s’explique par trois grandes raisons. Tout d’abord, 2008 est un moment de changement tant technologique, avec l’arrivée en France de la liseuse, que de pratiques de lectures qui se diversifient notamment vers le numérique, créant ainsi un nouveau marché qu’il faut exploiter.
Ensuite, le constat effarant, et de plus en plus d’actualité, que « la littérature marchande est partie dans un mouvement de plus en plus frénétique avec de plus en plus de titres, de plus en plus l’accent mis sur les best-sellers et de moins en moins de temps en librairie », ce qui laisse un grand pan de la littérature disparaître des tables des libraires que Publie.net souhaite voir s’exprimer à nouveau au travers de nouveaux supports.
Enfin, un constat pragmatique que « beaucoup d’auteurs ont commencé à s’approprier les outils du web et du numérique et à expérimenter avec » ce qui permet l’apparition d’une nouvelle littérature que la maison d’édition veut porter sur le devant de la scène littéraire.
D’abord tournée vers le numérique exclusivement, elle est obligée de se plier au marché en 2012 en devenant une maison d’édition hybride (papier et numérique). Afin de garder une ligne éditoriale proche des enjeux initiaux, elle se spécialise dans « les auteurs ou les projets ayant une résonance avec le web et de la fiction hybride des formes éloignées du roman » pour conserver son lien étroit avec le « web » et le numérique tout en laissant le choix au lecteur de choisir le format qui lui correspond le mieux. La maison d’édition se retrouve avec un catalogue multiple compilant éditions papier, éditions numériques et éditions transmédia.
Avant 2020, l’édition numérique reste assez marginale face à l’édition papier qui prime. C’est d’ailleurs le constat d’évidence qu’a fait la maison d’édition Publie.net en 2012 lorsque, pour permettre de fonctionner, elle a dû se constituer maison d’édition hybride (papier/numérique) et ce malgré les changements et les évolutions du monde du livre, de l’objet livre et des pratiques de lecture. En effet, il semblerait que le numérique tende à être un mode de lecture « par défaut », un mode de lecture que l’on ne choisit pas vraiment ou que l’on est forcé de choisir dans certaines circonstances.
Cette progression très lente est expliquée notamment par plusieurs freins qui sont intrinsèquement liés à l’unicité du marché du livre français notamment grâce à un double effet : l’attachement fort des lecteurs pour les librairies indépendantes et la tarification des livres numériques presque calquée sur celle des livres papier qui n’a que peu de sens.
Cette synergie se précise lors du premier confinement. Le lecteur, enfermé chez lui, ne peut plus se procurer de livres puisque les librairies sont fermées. De ce fait, nous constatons une explosion des ventes numériques pendant les trois mois du premier confinement. Ainsi Publie.net enregistre des augmentations du chiffre d’affaires pour le numérique de 20 % en mars, 119 % en avril et 33 % en mai par rapport à ces trois mêmes mois en 2019. Il est clair que l’impossibilité d’acquérir les livres en format papier ont poussé les lecteurs à diversifier encore plus leurs pratiques.
Même si l’édition numérique semble profiter pleinement de la crise sanitaire pour s’étendre, nous pouvons voir, dès la fin du premier confinement, que cet engouement s’essouffle puisque les 119 % d’augmentation du CA pour le numérique redescend à 33 % en mai (mois du déconfinement). De plus, cette « exception sanitaire » ne se renouvellera pas sur le second confinement puisque Publie.net enregistrera des chiffres similaires à ceux de 2019.
Ainsi, les nouvelles mesures (non-fermeture des librairies et mise en place du « Click and collect »), permettant au lecteur de continuer à se fournir en livres papier, délaissent à nouveau le format numérique.
Sur l’année, le numérique, qui enregistre habituellement une croissance d’environ 5 % chaque année, a connu un bond de 30 % en 2020, la crise et le premier confinement poussant les lecteurs vers le format numérique plus facile d’accès. Il est donc normal de se demander si le numérique vient, ou non, d’acquérir son public.
Même si les chiffres de 2020 sont encourageants pour le secteur du numérique, les professionnels n’en gardent pas moins la tête sur les épaules. L’espoir est de mise puisque le confinement a poussé le numérique dans les chaumières, mais l’amour des Français pour le papier et les librairies risquent de lui retirer ce que la Covid a bien voulu lui céder. Actuellement, aucun chiffre ne permet, aussi tôt et encore en pleine crise, de dresser un état des lieux de l’édition du numérique, mais il est possible d’en deviner les coutures.
Guillaume Vissac (Publie.net) exprime son inquiétude que « tant qu’il n’y aura pas des exemples faits de la part des “locomotives” de l’édition (les grands groupes) à avoir de bonnes pratiques (prix, usage des DRM) la population n’aura pas d’intérêt à les utiliser ». Et montre du doigt les tâtonnements encore trop précaires des grands groupes d’édition à vouloir dissocier édition numérique et édition papier dans sa mise en vente et l’établissement du marché, mais aussi le grand pouvoir prescripteur que ces grands groupes ont sur les marchés du livre.
Malgré tous les appels à la solidarité que l’on a vu fleurir en 2020 pour aider les librairies et essayer de soutenir le marché du livre, que monsieur Vissac se réjouit de voir « porter ses fruits », il note l’emphase indésirée de l’effet de surconcentration des achats sur moins de livres et moins de maisons d’édition, se traduisant par de super-ventes sporadiques et l’emballement du phénomène de « best-sellarisation ». Et cette nouvelle ligne prise par le marché du livre risquerait de grandement nuire aux maisons d’édition indépendantes.
Au final, 2020 a mis encore plus l’accent sur des problèmes déjà existants et l’on ne peut que s’inquiéter de l’emballement que ces problèmes prennent d’année en année (surproduction, hyperconcentration des ventes, marché dominé par les grands groupes d’édition, durée de vie du livre de plus en plus courte…).
Par Ludovic Giraud
Article publié dans le cadre des travaux du master de Villetaneuse, Métiers du livre
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
2 Commentaires
LOL
24/02/2021 à 09:27
« à avoir de bonnes pratiques (prix, usage des DRM) la population n’aura pas d’intérêt à les utiliser ».
C'est archi-fondamental.
Personne ne veut acheter cher un truc inexploitable qu'on ne peut lire que sur certains outils. Ou alors à un prix dérisoire (du genre quelques centimes).
Payer dix balles pour un truc qu'on ne peut lire que sur un écran, prisonnier d'autres outils par ailleurs (il faut avoir un pécé sous Windows ou un Mac !)... Aucune chance d'avoir du succès !
Liseuse vicieuse
25/02/2021 à 07:49
Sans compter que les atouts du numérique ne sont qu'à peine utilisés ; dico d'une pauvreté absolue, pas de traducteur ou de dico étranger, les notes de renvois sont tellement pénibles à utiliser qu'on évite de les lire, etc.
Bref, on sent bien que le produit est ce qu'il est : un truc torché vite fait mal fait, histoire de pigeonner le client., que ce soit la liseuse ou bien le document numérique (quand je pense qu'un éditeur m'a dit qu'il lui fallait beaucoup de temps pour produire l'e-pub à partir du manuscrit numérique, je suis tombé sur le c. ! Il me faut exactement dix secondes pour faire ce boulot (sans le DRM bien sur !)... Et encore le résultat que j'obtiens est meilleur que le sien !)
Le problème, c'est que le pigeon, pardon le client, finit par s'en apercevoir.
On peut tromper mille pigeons une fois, pas mille fois un pigeon.