HISTOIRE - Expropriations, humiliations, privations, spoliations, travail forcé, tortures, fusillades massives, trains de la mort, sous-alimentation dans les camps de concentration, et dans les chambres à gaz des camps d’extermination, fours crématoires… Tel fut le triste sort de millions de Juifs d’Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale, avec environ six millions de personnes, femmes, hommes, vieillards, enfants, éradiqués dans le cadre de la solution finale promulguée par les nazis à partir du 31 juillet 1941.
Le tout sur un ordre signé par le sinistre Hermann Göring, numéro 2 du régime nazi, et appliqué froidement à sa suite, par Heinrich Himmler et Reinhard Heydrich, mais qui en vérité commence dès 1933 avec l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler en Allemagne, avec un silence presque total des puissances européennes. Belzec, Sobibor, Treblinka, Maidaneck, Auschwitz-Birkenau, Dachau, Mauthausen, résonnent encore dans nos oreilles comme la pire insulte commise à l’égard de l’humanité tout entière et à la dignité humaine. Certains pays, pour ne citer que la Pologne, l’Ukraine, la Biélorussie, joueront un rôle majeur et décisif, dans l’élaboration macabre de la Shoah, d’autres se montreront plus discrets au sein d’une organisation implacable et efficace — alors que certains pays, comme la Bulgarie par exemple, qui tenteront de s’opposer à cette sourde infamie.
Un pays cependant n’échappera pas aux prétentions hégémoniques du chancelier Adolph Hitler. C’est d’ailleurs le 1er mars 1941, sous la pression de l’Allemagne qui souhaite consolider sa position dans les Balkans après l’échec de Mussolini, dans la guerre contre la Grèce, que la Bulgarie rejoint les puissances de l’Axe en signant le Pacte tripartite, et déclare la guerre au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais étrangement sauf à l’URSS, et ne participera d’ailleurs pas à son invasion aux côtés du Troisième Reich ; un choix qui s’avérera judicieux par la suite.
Après la capitulation de la Grèce et de la Yougoslavie, l’armée bulgare pénètre dans les territoires conquis par l’armée allemande en annexant du même coup la Macédoine et la Thrace occidentale. Environ huit mille soldats bulgares seront tués ou blessés dans les combats de la Yougoslavie, et de la Grèce. Environ trente-deux mille Bulgares ont été tués ou blessés dans les combats contre l’Axe. De juin 1941 à la fin de 1943, les partisans bulgares exécutent environ 2200 actes de sabotage. Les forces armées et la police bulgare engagent des milliers d’actions en essayant de détruire les mouvements résistants par de nombreuses opérations militaires et actions de pacification. Lourd bilan en effet !
De son côté le roi Boris III, refuse de livrer ses sujets juifs au Troisième Reich, une décision non sans risque cependant, afin de mettre lui-même en application sa propre « solution à la question juive ». Aussi refuse-t-il de persécuter les Juifs citoyens de son pays. Seuls les Juifs macédoniens ex-yougoslaves et les Juifs grecs des territoires annexés par la Bulgarie, au détriment de la Yougoslavie, ou occupés par la Bulgarie ; en Grèce particulièrement, furent livrés aux Allemands. Un choix sélectif qui n’est évidemment pas sans conséquence sur le plan diplomatique et qui prête évidemment politiquement et humainement à caution, alors que les pressions exercées par les nazis, sur le roi Boris III, sont quotidiennes.
Et bien que le Parlement bulgare ait adopté une législation antisémite dès décembre 1940 dénommée « loi de protection de la nation », publiée au journal officiel le 23 janvier 1941, et conçue selon le modèle nazi de la « loi protection du sang et de l’honneur allemands ». Ses dispositions privant les Juifs bulgares de droits civils, économiques et politiques. Le 4 mars 1943, la quasi-totalité des Juifs de la Thrace occidentale est arrêtée et envoyée aux camps de détention provisoire de Gorna Djoumaya (Blagoevgrad) et Doupnitsa en Bulgarie du Sud-Ouest. Les dix-huit et dix-neuf mars, ils sont acheminés par train dans les camps d’extermination en Pologne, où périrent quatre mille deux cent vingt et un d’entre eux.
Ce sont moins d’une centaine de déportés qui survivront à l’horreur ! Le 11 mars, les Juifs de la Macédoine du Vardar sont arrêtés à leur tour et sont regroupés massivement et sans aucun ménagement à Skopje pour être déportés à Treblinka, les 22, 25 et 29 mars 1943. Ainsi presque tous les juifs macédoniens, environ sept mille cinq cents personnes ont trouvé la mort dans les chambres à gaz, avec à peine seulement cent quatre-vingt-seize survivants. Au total, ce sont plus de onze mille trois cent quarante-trois Juifs des nouveaux territoires qui ont été sacrifiés par le gouvernement bulgare pensant ainsi avoir payé de cette façon sa dette envers le régime nazi.
C’est dans ce contexte d’une rare complexité, et finalement quelque peu « rocambolesque » dans les faits, que René Arav, avec la collaboration de Jeanne Montagnon, rescapé de cette triste période, née en 1928 et âgé aujourd’hui de 93 ans, nous livre un témoignage particulièrement inédit et émouvant, dans un ouvrage intitulé Diplomates et espions français, héros oubliés, Balkans 1940-1945, accompagné d’une préface éloquente de l’Ambassadeur honoraire Alain Pierret. Il rétablit en quelque sorte la vérité sur ce sujet, dans un langage concis et sans travestissement aucun, se voulant plutôt comme un récit autobiographique, mais intégrant scrupuleusement les schèmes de l’histoire au quotidien, vécue au jour le jour, avec parfois des anecdotes cinglantes et réalistes qui invitent au respect.
Car comment mettre en doute la parole d’un homme lui-même confronté à de tels événements, et ayant survécu par miracle à l’oppression humaine et dont la lucidité reste exemplaire à plus d’un titre malgré le temps écoulé ?
J’ai poursuivi toutes mes études, de la maternelle au bac, au collège catholique appartenant aux Frères des écoles chrétiennes disséminées dans le monde entier. Les familles devaient avoir les moyens financiers suffisants pour faire face à une scolarité onéreuse. La journée commençait avec la prière et se terminait avec une seconde prière avant le retour à la maison. Parmi les souvenirs très variés qui me reviennent, j’ai appris dans cet établissement, la solidarité, le respect des règles de la démocratie, de la tolérance. La pratique de la religion se faisait dans la discrétion et heureusement pour moi Française, j’ai toujours bénéficié de la protection directe et chaleureuse des enseignants bulgares et français .
Un rappel qui n’est pas anodin, et qui va vraisemblablement permettre au jeune Arav de comprendre les méandres de la guerre et certainement et plus habilement, apprendre à survivre face à la menace permanente de la déportation. « Nos amis chrétiens ont montré de la solidarité pas seulement à la fin de la guerre quand tout était perdu pour l’Allemagne nazie, je me dois de le souligner, mais dès le début des persécutions nous concernant. Seuls quelques lâches, psychopathes et autres malveillants en profitaient pour nous insulter, essayaient de nous bousculer en toute impunité », relate-t-il encore.
Avec un attachement très marqué à la France de l’époque. « La culture française dominait dans cette partie du monde ». « Les différents messages transmis grâce à la Révolution française s’étaient propagés dans le monde entier et en particulier en Europe et dans les Balkans. C’est la France avec la Révolution française qui a transmis son message de liberté, de tolérance et de fraternité. Sa culture humaniste a rayonné. Quant à l’Allemagne nazie, son ambition était de détruire cette influence ». Et pour cause ! L’hégémonie allemande nazie n’a pas pour creuset naturel le sens de la liberté et de la fraternité entre les hommes, elle emploie au contraire un message de haine pour diviser l’humanité. « Frères contre Frères » en somme !
De cela René Arav est bien conscient dès les premières heures du conflit mondial et il choisira rapidement son camp, au moins pour sauver l’honneur de toute une communauté martyrisée jusqu’au dernier souffle de vie. « Tout a commencé à se dégrader à partir de la défaite de la France en juin 1940 ». Un récit donc qui se veut à la hauteur de salutaires convictions et s’acharnant à vaincre la duplicité des hommes, en faveur d’une conscience plus souterraine d’une liberté durement acquise au cours des siècles, et sans jamais remettre en cause son lumineux message d’espoir.
Et en dépit des apparences, le présent ouvrage ne s’établit pas en insondable réquisitoire, où la revanche serait de mise. René Arav a préféré contourner habilement cet écueil comme une ultime sagesse, en privilégiant plus adroitement le devoir de mémoire. Merci à lui !
René Arav, coll. Jeanne Montagnon - Diplomates et espions français, héros oubliés, Balkans 1940-1945 - Éditions Les impliqués. 9782343185675 - 18.50 €
Par Jean-Luc Favre
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 03/10/2019
174 pages
Editions L'Harmattan
18,50 €
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