Claire Marin, philosophe, écrivaine et enseignante, lauréate de prix prestigieux, est d’abord et avant tout une femme atteinte par la maladie dès son plus jeune âge, 20 ans. « Une maladie mystérieuse » qui affecte tous les sens et qui donne à penser juste, car il faut non seulement endurer, mais aussi comprendre l’essence de ce mal qui s’empare du corps tout entier.
Le 25/05/2020 à 17:06 par Jean-Luc Favre
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25/05/2020 à 17:06
« Il y a une ivresse de la douleur dans l’intensité de la crise et celle du soulagement lorsqu’elle cesse », dit-elle «avec lucidité et circonspection. » Le mal est enfin « l’expression d’une colère, que l’on pourrait également nommée injustice », mais sans préavis. Il sait en effet comment frapper ! Et il réclame toujours son dû : l’orchestration de la souffrance, lente et insidieuse, celle qui interpelle aussi l’esprit, et qui ne pardonne pas.
« Le discours de la maladie est presque toujours négatif, discours de la restriction et du renoncement. Il rappelle ce que l’on ne doit pas faire (…). La maladie réveille aussi une sensibilité qui s’était endormie. Tout devient plus émouvant », affirme-t-elle encore sereinement. Ou bien que la conscience soit bien présente, avec la capacité d’émettre les bons mots. « Les choses n’ont pas été prévues ainsi. »
Et il y a là, ainsi formulé, le caractère — comme en retour — de l’accidentation. Nul ne peut prévoir la naissance d’un mal, quel qu’il soit. À cet endroit il n’existe pas forcément de principe de précaution, hormis et c’est certain dans le domaine scientifique et médical, avec des limites toutefois. Preuve en est d’ailleurs aujourd’hui avec la crise sanitaire que nous traversons et l’apparition d’un virus meurtrier, presque incontrôlable. Brève parenthèse ! Mais de la maladie, il y a toujours des leçons à tirer, surtout lorsque l’on s’en sort. Ici la rémission prend tout son sens, elle agit avec éclat. Vaincre le mal est donc finalement possible. Ô ultime rédemption !
La grâce frappe à la porte. Elle vient là pour nous réconforter. Et cette sortie en douce (ou en douceur) Claire Marin l’a trop bien comprise. « Il y a toujours des schémas communs ». Et ? « Il y a des similitudes entre ce que pouvait vivre quelqu’un de malade, quelqu’un qui avait perdu un proche et quelqu’un qui avait perdu un amour » son emploi aussi. Mais quelle similitude au fond, capable de faire la distinction entre différents scénarios qui ne soient pas de l’ordre du modèle ou de la modélisation parcellaire, le langage utilitaire n’est pas égal pour tout le monde, soyons en certains, surtout lorsqu’il s’agit d’éclaircir l’expression du pire.
À cet égard Claire Marin, se veut parfaitement lucide, elle n’est pas la prêtresse d’un temps nouveau, mais plutôt une intermédiaire intelligente, qui ne garantit pas la guérison à qui veut bien le croire ou simplement l’entendre. Comme en témoigne son ouvrage intitulé, Rupture(s) dont l’apparente légèreté de ton laisse penser qu’il existe toujours une possibilité de sortir du tunnel avec ou sans dommage. Est-ce d’ailleurs si important que cela ?
Je n’en suis pas certain. Il y a toujours une incidence traumatique, même pansée, qui subsiste dans l’esprit humain. Rien qu’une petite trace — la moindre cicatrice — ouvre sur le champ béant de « l’anti sublimation » dont l’affectation considère que l’habitat (le Moi) a bel et bien été rompu (corrompu). Dans le domaine de la psychologie, je n’ai jamais vraiment cru aux miracles.
Et pour cause ! Qu’en est-il alors de la philosophie ? « Le propos de ce livre c’est d’étudier les différentes ruptures d’existence entre ce qui fait la différence entre un changement, une séparation, une évolution et une rupture. Je voulais insister sur le fait qu’il y a quelque chose comme une déchirure, un acharnement dans certaines épreuves de la vie qui nous transforment sans nécessairement que ce soit positivement, parfois ça nous éprouve, ça nous démolit, etc. Mais je voulais voir comment les maladies, le deuil, les ruptures amoureuses, mais aussi la naissance, le vieillissement sont les situations de la vie qui peuvent constituer une véritable cassure dans l’existence. »
Ça nous éprouve d’abord, et ça nous démolit ensuite ? Existe-t-il cependant un cadre propice à la réparation, qui intervient précisément après l’épreuve ? Et que reste-t-il après une démolition ? Un tas de gravats ? Ou l’espoir de reconstruire quelque chose de plus solide, et peut-être de moins intime (intimidant ?). « Certaines lectures un peu optimistes qui font de la rupture un principe presque automatique de renaissance, de nouvelle vie, plus belle, plus authentique, etc. Je les trouve simplificatrices .»
Là encore Claire Marin fait preuve de prudence verbale (qui n’est d’ailleurs pas un espace de résignation), de clairvoyance en somme, face à ce qui nous échappe, mais que nous connaissons trop bien. Face à la réalité, il est bien difficile de mentir n’est-ce pas ? À moins que : « Être dans la souffrance qu’une rupture provoque », et qui devient si familière, tant nous y sommes quotidiennement habitués. Les ruptures sont naturellement inscrites dans nos gènes ; qui pourrait raisonnablement en douter ?
« Ce sont aussi des cataclysmes intérieurs », avec ceux qui font du bruit et ceux qui n’en font pas. Les ruptures n’ont pas toute la même valeur, même si et quoi qu’il en soit « nous sommes tous des êtres rompus », avec toujours une perte à la clé, irrémédiable ou pas et qui provoque alors la violence du manque, « qui empêche de dormir, de manger, de travailler, de vivre, puisque la vie s’est interrompue brisée ».
Ainsi tout l’intérêt de cet ouvrage est de nous faire comprendre et admettre, qu’il existe dans toute condition humaine, une part incompressible d’impuissance, qui interpelle non seulement les épisodes de notre vie, mais aussi leur terme, au regard d’un environnement auquel nous sommes constamment arrachés — comme à « la chair du monde ». Ou bien encore « quitter la forteresse du moi qui débouche logiquement sur la peur et/ou l’exclusion de l’autre ». Un autre mode complexe de dévaluation ?
Cependant qu’il faille toujours se prémunir de la fatalité tant que le corps (notre) corps est vivant, ou fait semblant de l’être. « C’est le corps mort-vivant que définit Spinoza dans l’éthique », rappelle encore Claire Marin. « Personne n’a jusqu’à présent déterminé ce que peut le corps », pour reprendre la célèbre formule du philosophe. Comme si de loin en loin, la plaie restait toujours béante et finalement insurmontable. À lire également de l’auteure, Mon corps est-il bien à moi ?.
Claire Marin – Rupture(s) – L’observatoire – 9791032903360 – 16 €
Mon corps est-il bien à moi ? – Gallimard jeunesse – 9782075124560 – 10 €
Paru le 07/03/2018
204 pages
Editions de l'Observatoire
16,00 €
Paru le 05/03/2020
44 pages
Editions Gallimard
10,00 €
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