POESIE - La biographie d’un auteur est souvent l’expression d’une hantise ou d’une révélation sur laquelle une œuvre se bâtit et dont les schèmes conducteurs puisent parfois dans la mémoire enfouie de ce qui reste ou restera de toute une vie. Traces indélébiles, conscientes ou inconscientes de l’esprit vacant. Repères s’il en est de l’existence en train de se faire ou se défaire aussi, marqués par les circonstances et les vicissitudes du temps qui passe. Comme c’est un peu le cas de la poétesse Lydie Dattas, née en 1949, considérée à juste titre comme l’une des plus grandes voix poétiques féminines de sa génération.
Le 30/09/2020 à 11:24 par Jean-Luc Favre
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30/09/2020 à 11:24
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Avec son père compositeur, Jean Dattas, également organiste de Notre-Dame-De-Paris et d’une actrice de théâtre, elle baigne très tôt dans cet univers « quasi religieux », aux sons des orgues, autant que des vitraux masqués, dont elle s’imprègne peut-être un peu malgré elle avec le sentiment d’un monde étrange qui lui échappe partiellement mais ont elle se sent pourtant naturellement proche.
Dans les églises en effet on ne trouve pas seulement que la foi, mais quelque chose qui lui ressemble ou qui demeure volontairement caché ou indistinct, qui forge cependant l’imaginaire juvénile. Il n’est donc pas étonnant, qu’elle se soit par la suite passionnée pour la figure symbolique de Shéhérazade (conteuse des Milles et une nuit) qu’elle idéalise à sa façon, échappatoire d’une jeune pré-adolescente déjà nourrie par la lecture, à la recherche de son propre monde.
C’est ainsi qu’elle écrit ses premiers poèmes à l’âge de treize ans, une précocité qui n’a rien de vraiment anodin. La très jeune poétesse fait déjà l’apprentissage de la solitude des mots, ceux qui isolent, et qui en même temps donnent consistance à la vie. Son premier vrai recueil intitulé Noone, un titre singulièrement évocateur paraîtra en 1970 au Mercure de France, à tout juste vingt ans, belle entrée dans le monde éditorial et littéraire pour cette toute jeune auteure qui semble d’ores et déjà rivée à la poésie - vouée à un ultime sacerdoce.
En 1972, elle épouse un dompteur de fauves, Alexandre Bouglione, appartenant à la grande dynastie des Bouglione. Là encore on peut s’interroger sur le choix d’une telle union qui considère un attrait certain pour les jeux du cirque, idéalisation d’une enfance partiellement refoulée mais qui trouve son assise psychologique dans le spectacle, « ombre et lumière » en somme, et autres fantasmagories puériles qui inévitablement fascinent.
Plus tard elle se lie d’amitié avec l’écrivain Jean Genet. Et c’est à la suite d’une dispute avec le poète, qu’elle écrit La Nuit spirituelle, recueil fondateur qui vient tout juste d’être réédité dans la prestigieuse collection Poésie Gallimard. D’autres amitiés naitront, avec Ernst Jünger notamment, mais surtout Christian Bobin plus tardivement aux abords des années 2000.
« Hier, ma beauté était un lilas aux yeux perçants à quoi aucun garçon ne résistait. La beauté que toutes les filles jalousaient » écrit-elle lucidement dans Carnet d’une allumeuse (Gallimard, 2017). D’emblée l’auteure donne le ton de ce qui profondément l’anime, et qui est aussi une sombre interrogation fondée en quelque sorte sur une différence naturelle.
La beauté en effet est don de la nature ! Elle appelle le désir de l’autre masculin, sa séduction – ou le besoin de conquête omniprésent considère différents aspects de la passion charnelle. Le désir est une contrainte, autant qu’il est parfois une saine libération. Désir narcissique cependant où les comparaisons sont souvent synonymes de jalousie plus que d’étreinte ou bien encore de récompense lorsque le désir semble atteint : « Qu’avais-je vu sinon la route infernale du monde ? (…) Tous leurs raffinements n’existaient que pour aboutir à un viol ».
Seulement voilà l’auteure promeut une toute autre vision, un autre ressenti, qui n’est pas contenu dans une exaltation des sens corporels, qui de ce point de vue relèvent ingratement d’un abîme migrateur qui ne trouve pas sa voie. Elle expérimente, le contraire d’une joie profonde, où l’accouplement serait roi. Le mâle devient alors l’insupportable prédateur, une sorte de détonateur à retardement qu’il faut impérativement fuir pour pouvoir survivre à sa féminité « pure ».
Car en vérité le désir de l’autre brûle la virginité, il la corrompt dans ses recoins les plus intimes, il la détourne de l’essence du bien. Il n’y a plus rien de romantique dans ce jeu intriguant du désir et de la fausse passion. Le bien s’oppose au mâle ; le mal est souvent dominant. Et puis soudain « Les émanations éthérées de la poésie, qui arpentent les méandres obscurs de la métaphysique » ; comme d’un juste retour à la réalité souveraine, celle qui enjoint de ne pas se faire malproprement piéger. « La petite sœur des prophètes », comme elle s’intitule elle-même, n’est pas à prendre, elle doit rester libre et pure. « Découvrant mon royaume, j’ai agrandi le territoire de l’esprit », qui habilite toute forme de hantise indiscernable, mais aussi singulière nichée et dédoublée dans le regard des autres.
« J’étais la perle qui faisait mourir les hommes », écrit-elle encore inlassablement. « Le corps des filles n’est pas seulement leur corps, il est aussi leur pensée ». Une telle formulation consciente est-elle pour autant rassurante, en vérité, ce n’est pas certain. « Femmes quand vous empruntez le soleil, n’oubliez-pas de le remettre à sa place », paraitra plus juste au cœur du désir infécond, non pas cependant comme une fatalité, mais plutôt comme une caisse de résonance, à un tout autre appel, celui d’un amour absolu, qui ne serait pas qu’une idiote folie.
De l’angoisse à l’extase il n’y a qu’un pas à franchir, de là à y voir un besoin de transmission, c’est une toute autre affaire. « Le délice de se trouver jolie, si aucune charité n’y entre, n’est qu’un crime imbécile. Les filles sont la vitrine du monde. Que se passerait-il si elles décidaient de la faire voler en éclat pour exister enfin ? ». La question se pose ainsi à rebours d’une réponse impossible.
La vitrine n’est pas forcément le miroir. Elle ne découvre pas nécessairement les bonnes silhouettes. Il y a toujours du noir là-dedans.
« Ma jeunesse a été si absolument pure :
j’ai traversé la nuit sans craindre de mourir
quand la nuit n’était qu’absolument nuit,
j’ai marché dans la nuit sans douter de l’aurore
lorsque la nuit doutait de ses propres étoiles »« Je craignais la beauté plus que ma propre mort,
Je ne préférais rien à la beauté des anges.
La nuit jalousait la pureté de l’âme :
la neige me devait en partie sa beauté,
la neige qui laissait sa beauté dans mon âme. »
(Le livre des anges II, Arfuyen, 1995)
À ce titre, la lumière évanescente n’est pas un dû, même si la neige protège par sa blancheur innée. Mais à son contact la beauté peut aussi s’effriter – perdre de sa douceur journalière – « L’abîme des femmes exige une vision neuve », au-delà d’une quête insondable qui frôlerait le mysticisme mais qui serait faux à cause du drame sous-jacent. Se tourner vers dieu entérine la pacification de l’âme, comme le tourment l’en éloigne.
Il ne peut alors s’agir de se mentir à soi-même. Atteindre le firmament ne relève pas nécessairement de la beauté naturelle, ce serait évidemment trop simple, il s’exprime dans un tout autre ailleurs. « Mon drame n’est pas celui des femmes, c’est celui des penseurs, des voyants, des poètes », parait bien plus censé !
Lydie Dattas, préface de Christian Bobin - Le livre des anges suivi de la Nuit spirituelle et de Carnet d’une allumeuse – Gallimard, collection Poésie - 9782072891489 – 9.50 €
Paru le 04/06/2020
274 pages
Editions Gallimard
9,70 €
2 Commentaires
FRIGOLA Pierre
04/11/2020 à 18:50
Bonjour,
J'ai découvert Lydie Dattas grâce à l'atelier de poésie dont je suis membre depuis 10 ans à Pézenas et grâce à ma compagne qui a aussi dévoré ses livres. Il y a beaucoup de choses qui me fascine dans son œuvre et son chemin. Nous avons à peu près le même âge.
J'aurais aimé entrer en contact et communiquer avec elle.
Merci d'avance.
PF
Rémi Lobry
26/11/2020 à 06:54
Hello Lydie ! Long time no see !