En juillet dernier, le magazine Elle publiait un article qui faisait frémir d'un doux effroi :
Le 06/09/2012 à 10:03 par Clément Solym
Publié le :
06/09/2012 à 10:03
La fellation, ciment du couple ? Une interrogation toute rhétorique, qui dévoilait les pratiques sexuelles françaises, mettant en avant que 88,5 % des femmes de 35-39 ans, s'étaient aventurées sur le terrain de la fellation. Scandale, délicieux scandale, pour lequel il fallait remercier l'institut Ifop, à l'origine de ces statistiques.
Quelques semaines plus tard, la rentrée littéraire bat son plein et les maisons salivent d'avance, annonçant chez certaines des tirages forts, destinés à rassurer qui se sentait inquiet. Or, il semble que plusieurs auteurs des romans de septembre se soient, a priori, penchés sérieusement sur le cas de la fellation, tant cette rentrée regorge (profonde et chaude, bien entendu) de pipes en tous genres. On en trouve trace dans tous les titres de la rentrée, les plus mauvais, comme les plus inattendus, et chez les éditeurs les plus divers. Panorama, ad nauseam !
« Je me suis dans doute éraflé la joue. Elle me brûle. Ma mâchoire me fait mal. » Oh qu'il résonne superbement, cet incipit de Philippe Djian, introduisant «Oh...», publié chez Gallimard. Or, en dépit des apparences, fortement trompeuses, ce n'est pas ici une allusion sexuelle. Mais que l'on ne se voile pas la face : avec Djian, promis, on en aura pour son argent. En revanche, on est très sodomie, chez Djian. Mais ce n'est pas là notre propos. Nous verrons pour la rentrée 2013.
La reine de la pipe, c'est évidemment Christine Angot, à laquelle nous décernons sans hésiter le prestigieux Bookkake d'honneur. Une semaine de vacances, sa dernière parution, est un roman dont Le Monde s'offre tout de même d'en dire qu'« il interroge chaque lecteur sur le désir, nécessairement coupable ». Ce genre d'interrogation, qui devrait amener tout père de famille à se sentir un brin pédophile ? Coeur sensible, s'abstenir...
Il est assis sur la lunette en bois blanc des toilettes, la porte est restée entrouverte, il bande. Riant à l'intérieur de lui-même, il sort de son papier une tranche de jambon blanc qu'ils ont achetée à la supérette du village, et la place sur son sexe. Elle est dans le couloir, elle sort de la salle de bain, elle marche, elle prend la direction de la chambre pour aller s'habiller, il l'appelle, lui dit de pousser la porte.
— Tu as pris ton petit déjeuner ce matin ? Tu n'as pas faim ? Tu ne veux pas un peu de jambon ?
Elle s'agenouille devant lui, se met entre ses jambes qu'il a écartées pour la laisser s'installer, et elle saisit avec sa bouche un morceau de jambon, qu'elle mâche, puis qu'elle avale. Il remet le reste de la tranche dans le papier, et lui demande d'aller chercher des clémentines dans la cuisine, de caresser son sexe avec ses lèvres, puis de déposer des quartiers dessus, en équilibre, de venir les chercher en lissant son membre, et en faisant glisser la membrane de peau mobile si possible jusqu'à la garde, en tout cas le plus profondément possible. Parfois, il lui reproche d'avoir la bouche un peu trop petite. Il ne le lui reproche pas. Mais il s'étonne, il regrette. Il lui dit que c'est étrange, il lui demande de faire un effort, de ne surtout pas mettre les dents, que les femmes croient toujours que c'est excitant d'être mordillé, que ça ne l'est pas. Pendant qu'elle fait ce qu'il lui demande, il sourit, il reprend ses lunettes, qu'il avait enlevées et posées sur le dérouleur de papier hygiénique, il les reprend pour mieux profiter de la scène qui se trouve sous ses yeux, entre ses deux genoux écartés, il les ajuste sur son nez, pour bien voir les détails des lèvres serrant le goulot de la bouteille, avant de l'avaler plus loin, avec naturel, sans trop d'effort apparent, sans déformer les joues, mais quand même jusqu'à s'étouffer pour aller le plus loin possible comme il le lui demande, sans mettre les dents. Il lui dit de faire attention, car elle l'a mordillé, sans le faire exprès. Elle continue. Il lui dit de lever les yeux, juste un instant, et de le regarder. Il est entièrement nu, il n'a pas de chemise, pas de t-shirt, rien, juste son slip tombé au sol. Et ses chaussettes pour ne pas avoir froid aux pieds sur le carrelage. (incipit)
Tout le monde était prévenu : on pourra d'ailleurs profiter jusqu'à écoeurement de cet incipit en téléchargeant le premier chapitre, en PDF, à cette adresse.
Les Amoureux, de Sophie Avon, publié au Mercure de France, joue à contre-pied de la tendance découverte au fil des pages, et fait dans l'apprentissange ce qui lui vaudra un Prix Déflore bien mérité. Sonia, amoureuse folle d'un homme, alors qu'elle n'a que 18 ans, fait face à un petit couac dans cette idylle : Alexandre aime les hommes, comme elle. Mais dans leurs relations sexuelles, la fellation n'est pas absente. Ou plutôt, si, mais pas tout à fait.
Il ne vint pas à l'esprit de Sonia d'essayer encore ou de varier ses approches, de prendre le sexe d'Alexandre dans sa bouche, par exemple, et de le sucer patiemment. Elle n'était pas assez expérimentée et trop prude sans doute. Elle articula juste, ce n'est pas grave, ça viendra, mais elle avait les larmes aux yeux, car tout à coup, son amour lui revenait sous la forme d'un aveuglement obstiné. Elle avait beau redire, ce n'est pas grave, ça viendra, elle avait l'impression de vivre une défaite. Et Alexandre, qui n'était pas du genre à dissimuler ses émotions, lui donna le coup de grâce en répétant, jusqu'au bout cette fois : chassez le naturel, il revient au galop. (P. 164)
Après tout, nous sommes dans les années 80, et l'on peut comprendre qu'une certaine pudeur s'empare d'une jeune adolescente amoureuse d'un garçon bisexuel, non ?
Chez Guillaume de Sardes, auteur de Le Dédain, qu'ActuaLitté avait tendrement etrillé, on touche au splendide. Alors que le personnage principal, Marceau, et sa cousine, Lili, jouent avec le feu, leurs ébats, en plein milieu de la forêt de Fontainebleau, recouverte de neige, sont des plus sensuels. Lili décide qu'elle a envie d'uriner et s'éloigne, à peine, pour un instant d'intimité. On lui attribue volontiers lePrix Inceste de citron...
Lilli fait cinq ou six mètres, baisse son pantalon en se tortillant, relève son manteau sur ses hanches et s'accroupit pour pisser. Quand ses fesses blanches touchent la neige, elle se relève vivement avec un petit cri. Cette manière de jeune bête au bois excite Marceau. Lili exagère ! Elle aurait pu aller plus loin. Ne sait-elle pas ce que c'est qu'un homme ? Pris d'une envie subite, il la rejoint. Lili est encore accroupie, quand il se place devant elle. Non mais dis donc, plaisante la jeune fille, surtout ne te gêne pas ! Tu n'as qu'à me la mettre directement dans la bouche, pendant que tu es.
Seconde de suspens, dont le lecteur ne sera pas dupe...
La dernière phrase prononcée d'un ton différent, étranglé. Quelque chose entre eux vient de changer. C'est comme un basculement ou le franchissement d'une frontière invisible. Marceau, qui connaît bien Lili, son goût de la provoncation et la liberté de ses faiçons, hésite un instant. Mais comme Lili le regarde de ses grands yeux bleus, soudain très sérieuse, il déboutonne son pantalon. Tout en pissant, Lili tend le cou, tandis que Marceau lui dépose la bite sur la langue. (Editions Grasset, pp.192-193)
Après, il y a les mentions spéciales : ainsi, on peut saluer Acharnement, de Mathieu Larnaudie, qui paraît chez Actes Sud, et qui remporte haut la main la palme Chibre de l'année dans la catégorie Sucettes à l'anis d'Annie, avec cette séquence hautement fellationique, toute en subtilité et en finesse :
J'observais, dans une coupelle posée entre le directeur de cabinet et moi, le mélange des cubes de sucre blancs et roux, émaillé de petits cristaux de candi brun dont les éclats étaient taillés comme des pierres précieuses. Du bout de ma cuiller, j'attrapai l'un de ces bonbons et le portai à ma bouche, le laissant fondre sur ma langue ; sa suavité se diffusait progressivement, d'abord anguleuse, ténue, minérale, puis, à mesure que le caillou diminuait et se liquéfiait sous mon palais, de plus en plus forte, pâteuse, jusqu'à l'écœurement. Je bus vite une gorgée de café pour la faire passer. (p.145)
On distinguera également et sans aucune discrétion, le livre de Jérôme Enez-Vriad, Shuffle, qui sort aux éditions Dialogues. Mention Obut, le pro de la boule, comme on dit chez les joueurs de pétanque. Ici, pas de chichis : une pipe, c'est une pipe, et pas question de tourner sept sa langue dans sa bouche. In medias res, illico presto, et pour notre personnage, c'est direction la main à la braguette, et en avant pour la petite gâterie, avec quelques marques d'attention.
Heureusement Éverest est négative. Tiens, me dit-elle en sortant de son sac un papier jaune, la prise de sang date de la semaine dernière, tu peux me faire confiance. Je reste un long moment, nu derrière la fenêtre ruisselante, à deviner les passants sous leur parapluie. À me dire qu'il manque un « l » à pluie pour faire pilule. Éverest mime une approche de funambule. Me passe la main dans les cheveux. Glisse l'autre autour de ma taille. Sa jambe droite se faufile entre les miennes. Je sens sa langue courir le long de ma joue. Effet Velcro sur la barbe. Elle prend mon sexe en bouche, tire sur les couilles et passe ses ongles entre mes fesses avec la tentation de faire une nouvelle fois le plein de gamètes blonds aux yeux bleus.
Et quitte à s'en offrir une première dose de vérité crue, autant déguster un second passage, tout aussi franco :
06 h 30. Le soleil hurlait entre les persiennes. Turgescent jusqu'au nombril, je me retournai sur le ventre, embarrassé d'un rêve toutefois enchanteur dans lequel un tout jeune homme profitait du sommeil de son cousin pour le sucer jusqu'à éjaculation en bouche. Au petit-déjeuner, RV s'enfila un demi-litre de lait froid à même la bouteille sous les réprimandes de sa mère. « Au moins ça, c'est du lait », dit-il, « pas comme cette nuit, j'ai pris une tétée visqueuse et amère, la première fois que j'avalais un truc pareil. » Je blêmis. « Tu as dû confondre avec le Kéfir », lança sa mère, attestant que personne n'échappe à la naïveté, « j'en ai acheté pour faire avec les concombres ce midi. » Mes vœux de bonne journée transmis à la cantonade, je quittai la table en direction de la cuisine. Le Kéfir de jument était dans la porte du frigo entre une plaquette de beurre et un Muller Milch à la banane. Je désoperculai la fine couche d'aluminium imprimée puis jetai dans l'évier l'équivalant d'un demi-verre. Derrière moi, une présence statufia ce qu'il me restait de bonne humeur. RV, adossé dans l'encoignure de la porte, mimait une fellation avec sa langue en tambourin contre la paroi interne de sa joue.
Le reste de l'ouvrage est dans la même veine, saillante, si l'on peut dire, et tout à fait délicieuse.
Gourmande et longue en bouche, cette rentrée littéraire - comme on dit dans le milieu oenologique.
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Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
Paru le 05/09/2012
135 pages
Flammarion
14,00 €
Paru le 29/08/2012
206 pages
Grasset & Fasquelle
15,00 €
Paru le 13/09/2012
164 pages
Editions dialogues
18,00 €
Paru le 18/08/2012
237 pages
Editions Gallimard
18,50 €
Paru le 22/08/2012
384 pages
Mercure de France
22,00 €
Paru le 22/08/2012
205 pages
Actes Sud Editions
19,00 €
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