J’ai les ailes en berne et ma corne a perdu quelques-unes de ses paillettes dorées. Cause évidente : ces deux paires de superbes yeux bleus qui ont rejoint les anges. Nous aussi les licornes, nous adorions que Jean nous dise que la vie est belle. Nous aussi les licornes, nous aimions que Johnny nous promette une histoire différente des autres. Certains diront que l’on en fait trop, d’autres s’insurgeront devant le manque de pudeur de ces adieux.
Le 11/12/2017 à 10:36 par La Licorne qui lit
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11/12/2017 à 10:36
Certes, des drames se déroulent tous les jours. Des enfants ont faim, des sans-abri meurent de froid, des présidents décident unilatéralement de réveiller la colère des peuples. Mais voilà, ces deux hommes, par leur talent et leur audace, nous faisaient sourire, pleurer, réfléchir. Nous avons besoin d’étoiles, de héros, de succès, de génie. L’un et l’autre, chacun dans son domaine, incarnait ce que parfois nous rêvons d’être. Alors merci, Messieurs, et amusez-vous bien là-haut.
Dans ce genre de moments, on cherche du réconfort, de la sécurité, de la proximité. Dans ce genre de moments, on veut un bon gros blockbuster, qui s’est vendu à des millions d’exemplaires. On est certain de ne pas être trop déçu. Flânant dans les allées d’une librairie tenue par un gnome un tant soit peu revêche, je tombe sur le livre qui m’arrachera à ce tourment mélancolique. Marc Lévy, Guillaume Musso, Mary Higgins Clarke, Camilla Läckberg ? Pour ma part j’ai opté pour Michel Bussi. J’avoue : j’ai lu absolument TOUS les livres de Bussi, et je ne compte pas m’arrêter là.
L’univers de Bussi ? Des personnages traînant un passé qui les rattrape un jour ; des enquêtes qui nous font tourner les pages sans voir les heures passer ; des histoires de famille que l’on préférait oublier, et une constante : un dénouement qui amène son petit lot de surprises inattendues. Et sous couvert de son statut d’écrivain grand public, Bussi réussit toujours à nous rappeler des petites vérités que l’on a tendance à cacher sous l’oreiller et à réveiller le petit morceau d’humanité que nous possédons tous. Alors, Bussi, je prends, je dévore, j’achète. Pardon, j’ai regardé Danse avec les stars hier soir, vraiment mes plates excuses pour cette référence si peu littéraire !
On la trouvait plutôt jolie raconte le destin de Leyli Maal, ravissante femme originaire de Ségou, petite ville sise à 100 kilomètres de Bamako au bord du fleuve Niger. Leyli se bat pour obtenir un appartement un peu plus grand pour que ces trois enfants puissent grandir dans des conditions décentes. Leyli vit à Port-de-Bouc et vient d’obtenir un CDI de femme de ménage à l’Ibis du coin. Alors elle y croit la jolie Leyli, elle qui collectionne les hiboux et les lunettes de soleil multicolores.
Pourtant, Leyli cache un secret, « davantage qu’un secret… C’est une malédiction » dont elle porte la responsabilité. Ses enfants sont condamnés et elle n’a qu’un seul espoir que l’un d’entre eux échappe au sortilège. Pendant quatre jours et trois nuits, on suit la famille Maal, en prenant conscience que quelque chose ne tourne pas rond. Un ressenti d’incohérence, d’absence, de manque de véracité, qu’il nous est impossible d’expliquer.
Leyli s’impose une obligation : rentrer tous les soirs à 19 h 30 pour dîner avec ses trois enfants. Il y a le grand et fort Alpha, mêlé à des affaires obscures ; la fille, Bambi, belle comme sa mère, peut-être plus encore, qui disparaît mystérieusement le soir venu ; et le petit dernier, Tidiane, qui ne pense qu’au foot et à son ballon porte-bonheur. À l’instar des autres romans de Michel Bussi, chaque chapitre inclut des flash-back qui permettent ici de retracer le chemin de Leyli, du Mali jusqu’à la Côte d’Azur.
Le périple d’une migrante, l’aventure, parfois tragique, d’une guerrière, qui a voulu fuir sa réalité, croyant à la promesse d’un avenir plus ensoleillé dans les tours des Aigues Douces. « On a la plage, on a la mer, cela aide à supporter le reste ». Leyli est l’incarnation de toutes ces femmes et de tous ces hommes, prêts à risquer leur vie pour s’échouer sur les rives faussement séduisantes de l’Europe.
Une série de meurtres est commise. À chaque fois, l’acte est perpétré dans la chambre d’un établissement Red Corner ; à chaque fois, la cible est un homme lié de près ou de loin à l’Association Vogelzug, organisme d’aide aux réfugiés ; à chaque fois, l’assassin procède à une prise de sang sur la victime. Les pièces du puzzle se mettent progressivement en place, on comprend le rôle de chacun, les relations entre les protagonistes. L’aube fait tomber les masques et révèle les fautes, les mensonges et les coupables.
Lentement, le lecteur finit par saisir les raisons de son malaise. La vérité sera plus forte que le terrible secret de Leyli. Et comme d’habitude, les rouages de l’intrigue sont parfaits, le rythme n’est ni trop lent, ni trop rapide et l’épilogue nous laisse sans voix !
Michel Bussi a affirmé qu’il n’a pas voulu écrire un livre politique, mais un roman humaniste. Évidemment, il y a de l’humain dans On la trouvait plutôt jolie. Néanmoins, l’auteur dénonce : il met en lumière les absurdités administratives, qui imposent une situation précaire et intolérable à certains, qui remplissent pourtant tous les devoirs envers leur pays d’accueil ; il décrit le quotidien de milliers d’individus, qui ont tout quitté, qui se sont déracinés, et qui n’obtiennent pas mieux qu’une citoyenneté de deuxième classe ; il condamne un racisme violent qui gangrène nos sociétés occidentales, qui s’apprêtent hypocritement à célébrer les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Politique ou humaniste, le terme importe moins que le constat. Alors que nous préparons les réjouissances de fin d’année, la dinde farcie, l’avalanche de cadeaux, les chants de Noël devant la cheminée, juste à côté de nous, il y a des Leyli, qui luttent pour vivre, survivre et nourrir leurs petits.
Je conclurai ma chronique en citant mon cher Jean d’Ormesson, que je viens de croiser virevoltant dans les nuages tenant ce joli crayon offert par le petit Emmanuel. Quand une journaliste (dont je tairais le nom) évoquant la notion d’identité nationale lui demanda s’il croyait plutôt à l’identité heureuse d’Alain Juppé ou à l’assimilation de Nicolas Sarkozy, Jean lui répondit simplement : « C’est vraiment le genre de questions qui me fait chier. »
J’acquiesce, je confirme, je plussoie : l’identité nationale nous fait vraiment chier. Licornes, gnomes, humains, nous avons tous un cœur et nous méritons tous les mêmes égards, indépendamment de notre race, notre couleur, notre sexe, notre langue, notre religion, nos opinions politiques ou toute autre opinion, notre origine nationale ou sociale, notre fortune, notre naissance ou toute autre situation. (Article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et article 3 de la Déclaration des droits et liberté des êtres merveilleux).
Pensez-y, faites-en un post-it rose et collez-le sur votre frigo !
Séchez vos larmes et réjouissez-vous des deux prochains livres de Jean et des bacs débordant des best of de Johnny ! Je reviens vite, promis !
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