Souvenez-vous : vous avez 9 ans, vous avez eu l’autorisation exceptionnelle de dormir chez votre copine Mathilde et vous vous préparez à cette super soirée-pyjama. C’est une nuit de pleine lune, les loups-garous crient à la mort et les zombies ne sont pas loin…
Le 20/06/2018 à 17:25 par La Licorne qui lit
Publié le :
20/06/2018 à 17:25
Vous vous asseyez sous un immense drap blanc, simplement illuminé par une lampe de poche et votre unique objectif est de vous raconter des histoires de morts-vivants, de tueurs à la hache et de fantômes en robes blanches. Mathilde, vous, moi, on a tous joué à se faire peur, ce qui nous a valu quelques nuits blanches et des traumatismes non résolus (genre les clowns pour moi !)
D’où vient ce besoin de nous faire peur ? Pourquoi ce léger sentiment de malaise, d’insécurité, d’inconfort nous procure-t-il quand même du plaisir ? Certains regardent des films d’horreur, d’autres sautent en parachute, il y a ceux qui participent à des émissions de télé-réalité perdus sur une île déserte avec pour seule compagnie une famille de boas constricteurs, ou encore ceux qui s’adonnent à des séances de spiritisme « tables qui tournent ». Nous ne manquons pas d’imagination quand il s’agit de nous donner cette poussée d’adrénaline et d’activer nos amygdales, organe générateur de la peur — oui, oui, j’ai fait mes recherches…
Alors, j’ai bien essayé de me faire peur cette semaine, et j’ai même osé faire un classement des choses les plus effrayantes. Et croyez-moi, ce monde, quand on y pense, est capable du pire. Des milliers de migrants entassés sur un bateau faisant le tour de la Méditerranée à la recherche des frontières qui accepteraient de s’ouvrir ; une crise humanitaire qui décime le Yémen et à laquelle personne ne semble vraiment s’intéresser ; le chef de la soi-disant plus grande démocratie du monde qui rencontre le chef de la dictature la plus brutale du monde, en nous affirmant en toute simplicité que Kim est vraiment un « smart and courageous guy » et qu’il réalise un « great job » ; la photo de cette jolie femme blonde posant triomphalement devant une girafe qu’elle vient d’abattre lors d’un safari ; le montant versé par le PSG pour acquérir Neymar qui permettrait de nourrir plus de 5 millions d’enfants pendant une année, argent qui n’a apparemment pas été employé en soins capillaires ; la menace d’expulsion par les autorités françaises d’un homosexuel guinéen, expulsion qui le conduirait vers une fin quasi certaine…
Dépitée, accablée, j’ai finalement renoncé à ériger le palmarès du truc qui fout le plus la pétoche à ma corne. Non, au lieu de me lamenter sur cette sordide actualité, j’ai décidé de lire, de lire un livre qui fait peur, mais alors très peur. Autant que ce soit de la fiction, qui certes parfois peut rattraper la réalité…
Il est rare que je chronique deux fois le même auteur, mais voyez-vous, moi je l’aime bien Franck Thilliez (relire avec délectation ma chronique de Sharko). Parce qu’il a beau nous enfoncer dans un univers d’ultra-violence, de déviances perverses, de cruauté sans limite, et bien, un roman de Frankie, quand on le commence, on ne le lâche qu’à la dernière page, même si parfois, on doit arrêter pour aller vérifier qu’une poupée aux cheveux rouges portant une salopette ne se cache pas dans l’armoire à balais.
Le manuscrit inachevé ne déroge pas à la règle. Un gros pavé de 525 pages, des morts, du sang qui gicle de partout, un flic attachant sur la corde raide, des enquêtes qui s’entrechoquent et une immersion dans les bas-fonds de l’âme humaine.
Oui humaine, car dans le monde enchanté des licornes, hormis quelques petits coups de sabot de temps à autre, on ne s’amuse pas à prélever les membres, les organes, la peau de jeunes filles, afin de recréer un pseudo-homme de Vitruve. On ne s’amuse pas à violer des personnes mortes. Et on ne s’amuse juste pas à tuer des gens, comme cela, pour rien ! Car c’est bien cela que Vic Altran, et son coéquipier Vadim Morel vont trouver dans la cave de l’épouvante…
Suite à la découverte d’un cadavre et d’une paire de mains dans le coffre d’une voiture volée aux alentours de Grenoble, notre duo est replongé au cœur d’une affaire dont le principal protagoniste croupit en prison. Le Voyageur a assassiné 8 jeunes filles. Il a jusque-là révélé à la police l’emplacement de 7 des cadavres, mais se refuse à dévoiler où est enterrée Sarah, disparue il y a 4 ans.
Et il s’avère qu’une neuvième victime, Apolline, malvoyante, est peut-être toujours en vie. Peu à peu, Vic, flic hypermnésique en instance de divorce qui tente de récupérer l’estime de sa fille en cette veille de Noël, réalise que le Voyageur n’a pas agi seul. Ce n’est pas deux, mais trois « tout grands malades », qui ont travaillé ensemble pour kidnapper, torturer et exécuter ces adolescentes.
Sarah, c’est aussi la fille de Jullian et Léane Morgan, couple à la dérive, qui survit depuis ce jour tragique où Sarah s’est fait enlever. En raison de l’agression de Jullian et la perte de mémoire qui en résulte, Léane se voit contrainte de délaisser sa vie parisienne pour revenir à Berck et affronter les embruns, les bourrasques et les dangereux précipices du Nord–Pas-de-Calais.
Elle découvre que son mari n’a pas abandonné sa quête de vérité et qu’il est sur le point de comprendre ce qui est arrivé Sarah. Dans une ambiance grise et humide, où les marées effacent les traces, Thilliez nous offre un roman comme il sait si bien le faire, et mieux encore, celui qui glace les os, celui qui nous force à nous mettre la tête sous l’oreiller. Mais au-delà du suspense, des surprises, des frissons, l’auteur questionne.
En effet, « Le manuscrit inachevé » constitue une mise en abîme à plusieurs niveaux. D’abord, la préface est signée par un certain J.-L. Traskman, fils d’un célèbre écrivain, qui trépasse sans terminer son dernier livre. Sous la pression de la maison d’édition, le fils se décide à rédiger les pages manquantes. Ledit manuscrit est donc l’histoire que nous raconte Thilliez. Ensuite, Léane Morgan est elle-même une célèbre auteure de roman noir, qui écrit sous l’étrange pseudonyme de Enaël Miraure, dont le dernier roman, et pour lequel elle accusée de plagiat, met en scène un autre auteur, Janus Arpageon, séquestré par sa femme qui l’oblige à finir son roman, qui lui-même parle d’un auteur qui tue des adolescentes…
Si vous ne suivez pas, concentrez-vous un peu, ce n’est pas si compliqué, saperlipopette. En résumé, je crois que Frank Thilliez essaie de trouver la réponse à mon interrogation initiale : pourquoi cherchons-nous tous à nous faire peur ? Et pourquoi, lui, aime-t-il tant nous faire peur ?
Et ce n’est pas les succès des Granger, Nesbo, Läckberg, Coben, Vargas, Carrisi, Del Arbol, qui vont démentir la triste conclusion à laquelle je suis arrivée : nous sommes inconsciemment et inexorablement attirés par le mal. Comme si le voir, le toucher, l’appréhender était un moyen de conjurer le sort et une manière de se convaincre, que malgré certaines de nos failles, on s’en sort plutôt bien. Et pour vous, amatrices et amateurs de sensations fortes, j’ai une bonne nouvelle, « Le manuscrit inachevé » n’est pas achevé. Jubilez, riez, virevoltez, nous aurons la chance de lire une suite. Voilà donc une occasion supplémentaire d’avoir peur et ainsi, se rassurer sur notre propre santé mentale.
Bon, mes licornettes et mes licorneaux, il demeure que la vie est et doit rester une fête, et bien que je m’offusque devant les sommes déboursées pour acheter un joueur de foot brésilien, je suis la première à revêtir le maillot de mon équipe préférée et faire la pom-pom girl en soufflant dans ma vuvuzela. Réunissez-vous, sortez vos paquets de chips, et égosillez-vous ! Parce que, croire ensemble que l’on va gagner, est déjà une victoire en soi. Oui, c’est bon d’oublier la dureté de la vie pendant 90 minutes… mais pensez tout de même à lire entre deux matchs. À tout bientôt, je reviens très vite promis, corne de bois, corne de fer, si je mens, je reste sur mon nuage !
Franck Thilliez – Le Manuscrit inachevé — Fleuve noir – 9791036600456 – 21,90 € | Ebook 9782823860573 – 17,99 €
Par La Licorne qui lit
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 07/06/2018
1 pages
Lizzie
25,90 €
Commenter cet article