De temps à autre, il nous faut prendre un peu de distance afin de pouvoir revenir, afin de pouvoir être à l’écoute, afin de pouvoir aimer à nouveau. J’ai déserté depuis quelques semaines, voire quelques mois, les colonnes de ce vénérable journal, et je vous présente mes plates excuses. Une licorne, aussi, a ses moments de doutes, de remise en cause et de questionnements existentiels.
Le 29/11/2018 à 10:48 par La Licorne qui lit
Publié le :
29/11/2018 à 10:48
Il devient parfois difficile de parler d’écriture, de littérature, de chefs d’œuvre, alors que le moment est à l’introspection, à l’analyse de soi et à son repositionnement dans le monde. Je n’ai au grand jamais cessé de lire, oh non. Mais je le concède : la rentrée littéraire m’oppresse, m’angoisse, me plonge dans une inquiétude qui n’a pas un impact très productif sur ma créativité. La surabondance de livres, partout – dans les rayons des librairies, dans les colonnes des quotidiens, sur les écrans de télévision, sur mon fil Facebook — me tétanise.
Alors, j’ai pris une marche à la recherche de nouvelles nuances, de ressentis inconnus, de tonalités inédites. Après de longues heures de vol, parfois très down the hill, j’ai posé mes quatre petites pattes sur un sol givré recouvert de quelques centimètres de neige fraîche. Fissa, j’ai mis mes mitaines, enfilé mes hugs et enveloppé mon cou velu d’un foulard en cachemire : Montréal me voila ! Quoi de mieux pour me remettre d’aplomb qu’une tour de pancakes au sirop d’érable, quelques bleuets dans mon granola et un cornet de frites au fromage qui fait pouic-pouic en compagnie d’une bande d’orignaux et de caribous à l’accent chantant.
Ayant revêtu mes habits « humano-civils » et dissimulé ma protubérance sous une tuque, j’ai arpenté les allées du Salon du livre. Une indicible joie a envahi mon cœur au contact de cette énergie communicative, ces enfants qui se pressent devant Elise Gravel et Simon Boulerice et ces files de visiteurs qui attendent sagement que leur écrivain favori leur griffonne un petit mot. Moi aussi, j’ai fait la groupie…
Quelques minutes de line-up plus tard, Nadine Bismuth me tend son dernier roman avec la phrase suivante : « Les liens se font et se défont, mais le cœur s’accroche… » Elle est jolie Nadine Bismuth, mais ne vous fiez pas à ses airs de belle-fille parfaite. Un lien familial n’a rien du récit qui finira en « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », mais alors pantoute…
Le livre débute avec un ultimatum qui ne laisse que peu de place à l’interprétation : Sophie, la maîtresse, demande à Matthieu de quitter sa blonde, sinon tout est fini. Nous sommes le 10 août, et Matthieu a jusqu’à Noël pour répondre favorablement à l’injonction de Sophie. Banal, en somme… Un lien familial, c’est avant tout l’histoire de Magalie, qui n’est autre que la femme trompée. Matthieu et Magalie ont tout pour être heureux. Ils sont les parents d’une adorable petite Charlotte.
Ils habitent dans un beau condo dans le centre de Montréal. Il est avocat, elle est designeuse de cuisine. Ils forment donc un couple presque idéal, jusqu’au jour où elle découvre un paquet de condoms dans un sac de sport oublié dans une valise de voiture. Un couple en apparence heureux, si évidemment on ne gratte pas trop le vernis brillant dont nous recouvrons tous notre réalité pour la rendre plus lisse, plus conforme aux attentes, plus en phase avec nos rêves d’enfant. Car Magalie trompe aussi Matthieu. Comme si rétablir un équilibre dans l’adultère permettait d’adoucir la blessure initiale.
Mais une fois la confiance rompue et le mensonge devenu la règle, rien ne sera plus comme avant. Et pour Magalie, rien ne sera non plus comme avant le décès de son père adoré, il y a 7 ans. Et alors que Magalie se résout presque à supporter cette situation, prétextant malhonnêtement que le bien-être et la stabilité de sa fille sont sa priorité, sa mère lui annonce qu’elle a un nouveau compagnon. Patatra, cherry on the cake aux canneberges. Nouveau beau-papa qui, en plus, a un fils, Guillaume, qui va fatalement tomber en amour de sa nouvelle demi-sœur. Nouveaux liens, nouvelle famille, le cœur doit être bien accroché aux bastingages pour ne pas sombrer.
Magalie va se battre pour préserver un semblant de normalité et maintenir le bateau à flot. Ce n’est point un hasard si elle a choisi comme métier la conception de cuisine qu’elle décrit elle-même comme « la pièce de la maison destinée aux moments à partager en famille et au bonheur de se retrouver ensemble ». Magalie prévoit, agence, construit un espace qui a pour vocation de souder, de réunir, de renforcer ces liens, ces liens familiaux, auxquels elle croit tant.
Elle a raison Magalie, la cuisine, c’est le lieu central de tout foyer. Ne vous est-il jamais arrivé d’organiser une belle soirée, dresser une table scintillante dans votre splendide salle à manger, allumer toutes les bougies, pour qu’au final, deux heures plus tard, vos convives soient tous agglutinés à jaser dans la cuisine fumant cigarettes, mangeant les restes de tourtière et débouchant le Margaux 1982 que vous aviez pourtant bien caché au fond de l’armoire.
Malheureusement, parfois, les circonstances font que nous devons sortir de cette zone réconfortante qui sent bon le pudding chômeur pour poser le pied sur le carrelage glacé de « la salle de bain, cette pièce dont la fonction principale fait en sorte que chacun préfère normalement s’y retrouver seul, la porte verrouillée, face à soi-même, et à la vérité qui pue ». La vérité, aussi honteuse et nauséabonde qu’elle soit, finit toujours par exploser, indépendamment du budget investi dans la cuisine.
Un lien familial n’est autre que le miroir de nos vies. Ce n’est autre que l’affligeant et triste constat que dans toutes les familles, on s’aime, on se trompe, on se ment, on se cogne, on s’épuise. On deal avec, on en souffre, on perd le souffle, puis, on n’a d’autre alternative que de briser certains liens quand ceux-ci serrent trop fort, quand ceux-ci sont trop abîmés pour empêcher l’effondrement de l’édifice que nous avons mis tant d’années à bâtir.
Nadine Bismuth, dans un style très contemporain et avec un humour tout québécois, nous offre sa vision des relations entre les hommes, les femmes, les enfants, les parents. Elle ne cache rien sous le plancher chauffant d’une cuisine hi-tech en granit. Non, elle fait sauter le couvercle de la vieille cocotte en fonte, pour nous mettre face à nos contradictions et nous rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour tout recommencer, autrement, ailleurs.
Alors que le roman s’achève sur une note relativement sombre, « l’amour est un phénomène, qui, peu importe notre histoire, doit rarement faire des heureux, et fabrique plutôt des dépossédés », deux touches d’espoir persistent envers et contre tout. D’abord, l’amour inconditionnel et le lien incassable qui unissent un parent à son enfant ne peuvent être défaits. Ensuite, contrairement à tout ce qui a été dit les filles, un ultimatum lancé à votre chum peut aussi mener à la victoire, donc n’abandonnez pas et imposez-vous !
Bonne nouvelle, j’ai ramené une petite pile de bouquins de mon voyage, ceci en sus d’une bouteille de cidre de glace destinée à me tenir chaud durant l’hiver. Il se pourrait bel et bien que je revienne plus vite que prévu. Un peu de littérature du grand Nord dans ActuaLitté ne fera de mal à personne ! Et soyez prudents avec votre char, ça glisse !
Nathalie Bismuth – Un lien familal – Boréal – 9782764625637 – 21 €
Par La Licorne qui lit
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 22/08/2019
317 pages
Boréal (Editions du)
21,00 €
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