Dès les premières cases, on le sent bien, Soda, David Solomon de son vrai nom, n’est pas dans son assiette : ne le voilà-t-il pas en train d’étrangler sa mère pendant le sommeil de celle-ci devant les feulements désapprobateurs du chat !
Heureusement, le hurlement strident que pousse sa mère s’avère, dès la page tournée, ne pas être ce qu’il avait paru et n’être, en réalité, que le chuintement de la bouilloire qui signale l’heure du petit déjeuner.
Mal rasé, les yeux pas vraiment en face des trous, Soda rejoint sa mère pour partager ce repas matinal, la tête encore pleine du trouble semé dans son esprit par ce rêve tellement réaliste.
Mais Soda, en bon fils qu’il est, soucieux de la santé fragile de sa mère, continue de lui jouer une comédie invraisemblable que seul le manque total d’autonomie de la vieille dame permet : à ses yeux il est un pasteur tout ce qu’il y a de plus respectable alors que, en réalité, il est flic dans les rues agitées de New York.
Et en bon fils, il s’acharne à lui éviter tout désagrément qui pourrait faire dangereusement tressauter son vieux cœur malade !
Ce matin-là, détail troublant au moins autant que son rêve, la croix qui orne les revers de son costume de faux pasteur a disparu : l’aurait-il perdue ? Et où ?
Sans avoir eu le temps de se changer dans l’ascenseur comme d’habitude, c’est en tenue de pasteur qu’il rejoint ensuite sa collègue, la caporale Linda Tchaïkovski, qui, comme d’habitude, l’attend avec sa voiture au pied de son immeuble. Pour le conduire sur les lieux d’un homicide de la nuit : une probable prostituée a été étranglée dans une rue sordide.
Premier choc pour le faux-pasteur/vrai-flic : entre les mains de la victime, il trouve la croix qui manque au revers de sa veste.
Deuxième choc : les modalités de l’agression sont identiques à celles de deux autres homicides récemment répertoriés par la Police de New York.
Troisième choc : alors que le légiste arrive sur les lieux du drame, la victime revient du royaume des morts où tout le monde la croyait et, en hurlant, le visage défiguré par la terreur reconnaît en Soda, encore vêtu de son costume religieux, le pasteur qui l’a agressée !
Voilà qui fait beaucoup ! Aussi, dans la voiture qui les ramène au poste de police, Tchaïkovski s’inquiète de l’accusation portée par la victime et tente de distraire son partenaire de l’état d’absence dans lequel il s’est échappé.
Quiconque s’est déjà goulûment avalé les précédents tomes de cette série créée par Philippe Tome et Luc Warnant en 1987, n’aura qu’un instant de frisson. Certes Soda est un flic avec un gros calibre « Python 357 » qui, comme le disait la quatrième de couverture des premiers tomes, confesse que « les types qu’[il] arrête sont parfois un peu morts » ! De là à imaginer que ce fleuron de l’effectif du capitaine Pronzini puisse être un tueur en série, je n’y ai, bien sûr, pas cru une seconde. Même si le scénario pousse Soda à douter de lui-même.
Car je vous assure que l’histoire est assez bien ficelée pour laisser dans le doute quiconque n’aurait pas le palmarès de Soda en tête. Et, par voie de conséquence, la certitude qu’il y a là un loup que, même si quelque chose ne tourne pas rond comme on le devine dès la première page, son sens du devoir (mais « à sa sauce », le devoir...) ne pouvait pas avoir si totalement disparu.
Et, alors que le duo de la création a été totalement renouvelé (Warnant a disparu après le tome 2 et Tome est décédé en 2019), c’est bien le même esprit, le même trait de crayon, les mêmes repères graphiques ou de couleur que l’aficionado va retrouver dans cette nouvelle BD qui clôt une disparition des radars de presque 10 ans (au point que je m’étais résigné à n’en plus jamais voir paraître d’autres) ! Bruno Gazzotti, qui remplace Luc Warnant dès le tome 3, est toujours là avec Olivier Bocquet pour créer une nouvelle paire qui conserve à la série tout son cachet, toute sa saveur, avec, en prime, une histoire prolongée à 56 pages au lieu des 46 habituelles.
Alors, n’hésitez pas ! Comme le dit l’autocollant rouge, accrocheur, apposé sur la couverture « Faites vos prières, IL REVIENT ! ». Le flic/pasteur est parti pour vous régaler tout au long d’une belle BD.
Ceci ne m’empêchera pas de pousser un grand coup de g... e à l’attention de l’éditeur (Dupuis) qui, au-delà de la qualité que les auteurs ont conférée à cet ouvrage, n’en prend pas moins ses clients/lecteurs pour des gogos. Et ce depuis qu’il s’est mis à changer le format des Largo Winch.
Hé oui ! Le format des BD a augmenté de façon assez notable passant de 21,8 cm x 30cm à 24,1 cm x 32cm ! Cela représente plus de 17 % d’augmentation de surface de la page de couverture alors que, dans le même temps, la zone illustrée est seulement passée de 19,1 cm x 26,2 cm à 19,9 cm x 27,5 cm soit une augmentation d’à peine plus de 9 %.
Et je n’ai pas eu le courage de prendre en compte, en plus, les séparations entre cases qui ont diablement augmenté aussi : ce sont donc les marges blanches qui profitent le plus de cette augmentation de format !!! Dans le même temps, la largeur de la tranche est passée de 9 à 11 mm, ce qui va consommer un peu plus de place sur les étagères des bibliothèques…
Et quand je vous aurai dit que le poids des BD est passé de 420 g pour les premiers tomes à 640 g pour le dernier, soit une augmentation de plus de 50 % (que 5 malheureuses feuilles supplémentaires ne justifient pas) vous allez, comme moi, vous interroger sur la nécessité commerciale de couper plus d’arbres pour sortir ces ouvrages sans que, pour le lecteur, une réelle augmentation du confort de lecture soit perceptible ! Au contraire, en ce qui me concerne.
Et, cerise sur le gâteau, par la même occasion, le prix est passé de 12,95 € à 14,50 €. C’est à vomir !
J’en suis presque à regretter de vous avoir conseillé cet achat. D’ailleurs, si l’envie vous prend de vous constituer une collection complète, je vous suggère de chercher des occasions car la récente ré-édition des premiers tomes se fait dans le même nouveau format. Cherchez l’erreur : quand on ré-édite des livres, on les passe au format livre de poche pour diminuer le poids, l’encombrement : là, c’est l’option inverse qui a été retenue !
Ré-édition qui passe d’ailleurs sous silence le tome 13, Résurrection déjà paru sous la signature de Philippe Tome et Verlinden Dan en 2014 (!!!???…) puisque Le Pasteur Sanglant est présenté comme un tome 13 alors qu’il est en réalité, le 14e de la série ! Dupuis serait en train de nous refaire, à l’envers, le coup du tome 5 manquant de Gaston Lagaffe !?
N’importe quoi !
Paru le 09/06/2023
56 pages
Editions Dupuis
14,50 €
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