« Ce matin-là, le violeur était assis à quelques mètres de la victime », dans cette salle de la Cour d’appel où était censé être jugé le mari de sa mère pour avoir, pendant les absences de celle-ci, abusé d’elle. De nombreuses fois. Alors qu’elle avait seulement sept ans.
Le 02/01/2023 à 11:49 par Mimiche
5 Réactions | 292 Partages
Publié le :
02/01/2023 à 11:49
5
Commentaires
292
Partages
Et le tremblement des mains de la Présidente n’était pas le seul signe de sa rage et de son impuissance quand, quinze ans après les faits, elle demanda pardon à la jeune femme de la grave injustice qui lui était faite en acquittant le pédophile pour prescription des faits découlant d’une « succession d’erreurs du système judiciaire ». Mais l’injustice était là : malgré la culpabilité avérée, le pédophile n’avait finalement purgé que quelques mois de prison.
Un lamentable, un innommable, un impardonnable échec.
Dans la salle, un homme se lève, quitte, avec la foule, ce simulacre de justice et s’évapore dans la ville après avoir quitté perruque, postiches et lunettes. En voiture, il rejoint une maison anonyme dans une rue quelconque, y pénètre par effraction et s’installe dans l’attente de l’homme qui habite là et qui vient de ressortir du tribunal acquitté.
Très peu de temps plus tard, Eva Croce, qui promène sa tignasse rousse dans la région de Belfast où elle passe des vacances, reçoit un appel téléphonique de Mara Rais, sa collègue de la Section Homicides à la Police de Cagliari, Sardaigne : une jeune femme a reçu, en cadeau devant sa porte, un sachet contenant vingt-huit dents ! Très certainement arrachées « de manière pas très orthodoxe » à son propriétaire… Lequel pourrait être le violeur acquitté de la jeune femme.
La perquisition menée par Mara dans la maison de l’homme la conduit à retrouver, sous un oreiller dans la chambre, une nouvelle dent « encore tâchée de sang » : une confirmation que ses soupçons avaient bien mis dans le mille !
À peine le temps de cette découverte passé qu’un message parvient sur le téléphone de Mara. Comme sur celui d’une quantité phénoménale de gens partout dans le pays ! Dans une vidéo, le pédophile apparaît ligoté et en sang pendant qu’un « justicier » masqué explique son geste : la justice du pays ne fait pas son travail, les coupables ne sont pas punis, alors, lui, il va donner la possibilité à tout citoyen de juger un malfaiteur en participant à un vote ! Oui ou non, le bourreau de cette malheureuse jeune femme (et de nombreuses autres d’ailleurs) doit-il être exécuté ? Le pays a trois heures pour donner son avis. Quel que soit le résultat du vote en ligne, alors il se fera l’exécuteur de la volonté publique…
Assez pour qu’Eva Croce jette la fin de ses vacances aux orties et saute dans le premier avion pour Cagliari.
Parallèlement, à Milan, le patron de l’Unité d’Analyse du Crime Violent, convaincu de l’intérêt que pourrait revêtir, pour son unité, d’avoir participé activement sur le terrain à la résolution d’une pareille affaire, a réussi à convaincre Vito Strega, un spécialiste d’envergure nationale du profilage criminel faisant partie de son effectif, de partir à Cagliari pour être intégré à l’équipe d’enquêtrices et leur apporter toutes ses compétences et capacités de psychologue et de criminologue.
Et finalement, l’arrivée de ce bel homme fait rapidement tomber les objections que Rais et Croce auraient pu avoir en voyant débarquer quelqu’un ayant pour mission de marcher, un peu, sur leurs plates-bandes… Près de deux cent mille Italiens ayant validé, par leur vote, la condamnation à mort, toutes les bonnes volontés seront les bienvenues. Surtout de cette trempe !
Piergiorgio Pulixi s’empare, avec brio, d’un sujet terriblement dramatique qui mine le système judiciaire italien lequel, accumulant retards, « système saturé », « effectifs exsangues » et erreurs donne de lui-même une image totalement négative « en gravant dans le marbre les injustices et les inégalités […], en foulant aux pieds la dignité humaine et en anéantissant les victimes » sans « protéger les citoyens contre toute forme de violence perpétrée sur un individu ».
Et il est terrible ce vote organisé au tout début du livre par le kidnappeur qui a déjà « puni » sa victime en lui arrachant toutes les dents sans ménagement, mais qui demande à chacun, derrière son ordinateur, si cette punition est suffisante et, si elle ne l’est pas, si une « condamnation définitive » doit s’y ajouter. Une consultation terrible où la vox populi, n’écoutant que son ressentiment et ses tripes, confirme l’application d’un talion « plus dur » encore que le jugement que la Justice d’État aurait dû prononcer.
Aux commandes pour tenter d’enrayer cette entreprise de sape du système judiciaire italien orchestrée par un manipulateur habile et particulièrement efficace dans l’utilisation des arcanes du net, les enquêtrices Rais et Croce qui avaient déjà fait une éclatante apparition dans le premier roman de Piergiorgio Pulixi paru chez Gallmeister (le magnifique L’île aux âmes) où leur duo de choc a déjà fait merveille malgré (ou à cause) de leurs innombrables différences qui ne trouvaient de convergence que dans leur volonté inébranlable de pousser leur réflexion et leur travail toujours plus loin, avec toujours plus d’acuité.
Là, avec la présence du vice-questeur Strega à leurs côtés, c’est à une nouvelle montagne qu’elles s’attaquent : un adversaire qui, telle l’hydre, donne l’impression de faire repousser chacune de ses têtes quand on croit l’avoir coupée. Une hydre tentaculaire qui a tissé une toile considérable et qui bénéficie de complicités infinies en particulier sur ce darkweb dont le seul nom semble porter en lui toute la puissance du Mal !
Les cris d’orfraie de la classe politique, les agissements (effrayants !) des médias (et de leurs animateurs(trices)) ne manqueront pas de pourrir la vie et le travail des enquêtrices(teur) qui vont cependant continuer à tirer les fils, patiemment, malgré la pression et les difficultés.
Ce roman est, comme le précédent, remarquable d’intensité, de complexité, et surtout d’ancrage dans la réalité assez effroyable d’un pays qui a bien du mal à se défaire de ses anciens démons.
Une fois la dernière page de ce roman policier tournée, de notre côté des Alpes, il doit nous alerter sur les effondrements à venir que nous promettent les détricotages ou sabordements passés, présents, successifs et de toutes origines politiques de tous les services régaliens de l’État, Enseignement, Santé ou Justice en tête.
Par Mimiche
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 01/09/2022
602 pages
Editions Gallmeister
25,90 €
Paru le 05/05/2022
560 pages
Editions Gallmeister
13,50 €
5 Commentaires
NAUWELAERS
02/01/2023 à 22:18
À la barbarie de la pédophilie en répond une autre, absolument abjecte et nauséabonde...
La loi du talion où des justiciers du web, ne sachant rien, décident du droit de vie et de mort sur des présumés coupables.
Question à Mimiche: comment arracher des dents «avec» ménagement plutôt que sans ?
Si c'est de l'humour, on rit jaune...
CHRISTIAN NAUWELAERS
Mimiche
06/01/2023 à 12:34
Pour ce qui me concerne, j'ai justement rendez-vous dans quelques jours pour me faire arracher une dent.
Si j'ai pu laisser planer un doute entre "sans" et "avec" ménagement dans mon propos, j'espère que mon dentiste ne jouera pas de cet humour...
isabelle
05/01/2023 à 11:39
Je ne suis pas certaine de lire ce dernier Pulixi, car j'ai été affreusement déçue par L'île des âmes.
Pulixi avait matière à faire un excellent polar (les rites ancestraux chez les Ladu; la beauté sauvage de l'île), et il a choisi la voie de la facilité; l'enquête s'achève sur un dénouement tiré par les cheveux, les deux enquêtrices rassemblent tous les poncifs du genre, et le comble c'est le fameux Vito Strega (qui débarque dans un autre polar) doté de toutes les qualités : beau, élégant, courtois mais un peu distant...
Je suis assez agacée de ne lire que des avis dithyrambiques sur L'île des âmes qui, finalement, se révèle être un polar assez médiocre qui aurait pu être excellent (lu en italien, je précise, donc il ne s'agit pas d'un souci de traduction !)
Mimiche
06/01/2023 à 12:50
Je suis étonné et désolé que vous n'ayez pas aimé "L'île aux âmes" que j'ai trouvé très bon.
Je n'ai pas pour habitude de mêler ma voix aux concerts de louanges quand je n'apprécie pas un livre. Or celui-ci, comme celui-là, je les aimés, même si je trouve "L'illusion du mal" un petit cran au dessous du premier. Et je vous concède que l'un comme l'autre ne se privent pas des ficelles des romans policiers (mais quand on lit, ou a lu, beaucoup d'ouvrages de ce type, n'est-on pas déjà saturé de celles-ci au point d'être trop facilement déçu d'en retrouver certaines dans un livre?).
En revanche, je ne suis pas d'accord avec vous sur un point: le contexte de chacun de ces deux livres est pour moi très agréablement et correctement présenté et utilisé pour faire vivre le lecteur une belle plongée en eaux troubles.
Et bravo pour une lecture directe en italien: une chose que je suis encore très loin d'envisager de faire.
Isabelle
07/01/2023 à 00:19
Comme je vis en Sardaigne les 3/4 du temps, j'étais enchantée de lire un polar sarde écrit par un sarde dont la trame se déroulait en Sardaigne. Je trouvais la couverture jolie.
Je suis également un grande consommatrice de polars. Assez exigeante...
D'où la grosse désillusion.
Je reproche à Pulixi d'avoir "surfé" sur la vague de la facilité. Ses personnages féminins sont totalement convenus (la milanaise, dont le look rappelle celui de Lisbeth Salander de Millenium, mais en nettement plus fadasse, non ?). Oublions le Strega à qui je collerais bien 2 claques pour être trop parfait :)
Je disais qu'il y avait matière à faire un excellent polar parce que tout ce qui se déroule en Barbagia, une région très sauvage de la Sardaigne, méritait d'être développé. Mais Pulixi nous laisse sur notre faim : des abrutis pétris d'archaïsme font des sacrifices humains, choisissent de tuer leurs propres enfants et personne ne s'intéresse à ce qui se passe dans ces contrées reculées ? Les meurtres rituels qui se perpétuent au fil des ans ne sont pas résolus. Tout le monde s'en tamponne, ah ben OK.
J'avais lu un très bon polar de cet auteur, Per mia colpa, nettement plus intéressant.
Plus ça va moins j'ai envie de lire le dernier PP.
Plutôt me refaire un bon Lehane, un Lemaitre, un Nesbo (même si lui aussi part en sucette dans les derniers), un Mankell, un Indridason, un Connelly, un PD James...la liste est - heureusement - longue des auteurs qui ne tirent pas que des grosses ficelles éculées.
Isabelle