Un rapide coup d’œil sur la page Wikipédia qui lui est consacrée vous en convaincra : François Sarano n’est pas le premier venu et les films auxquels il a participé, les ouvrages ou parutions qu’il a commis ou auxquels il a participé, les expéditions (notamment à bord de la Calypso du Commandant Cousteau) dans lesquelles il s’est engagé, les travaux qu’il a menés au sein d’équipes scientifiques, les associations dans lesquelles il est impliqué, les reconnaissances et récompenses diverses qui lui ont été attribuées, etc., etc. font de lui une figure incontournable parmi les grands noms de la connaissance du milieu marin et de ses habitants.
Ainsi, depuis plus de 30 ans, François Sarano sillonne les mers et océans du monde et plonge au milieu des requins qu’il étudie avec passion, contribuant à une meilleure connaissance de ces animaux auxquels est attachée l’image dégradée du « mangeur d’hommes » que le cinéma lui a accolé dans des films catastrophes ! Sans pour autant délaisser les autres habitants de grands espaces bleus puisque depuis 2013, il a entrepris un énorme travail collectif en vue d’approfondir la connaissance des cachalots.
En attendant, donc, il nage « épaule contre nageoire » avec une femelle de grand requin blanc dans une sorte de ballet aquatique déséquilibré ou la « confiance réciproque » se traduit par cette proximité physique incroyable entre un être vivant de 80 kg (il ne m’en voudra pas de cet arrondi, j’espère) et un autre de 1500 kg et plus de 5,5 mètres de long !
Ces rencontres, il les a vécues partout, quasi sans jamais se cacher derrière les cages grillagées utilisées pour délivrer de l’adrénaline à bon compte à des amateurs de sensations fortes dans des situations de confrontation provoquées pour le spectacle.
Avec d’autres plongeurs, tablette de notes en main, caméra au poing, il est allé à la rencontre de ces animaux mal aimés qui, comme les grands carnivores terrestres (loup, ours,…) concentrent à leur encontre les appréhensions et les préventions les plus excessives dans des positionnements où la rigueur scientifique est bien éloignée de tous les jugements et anathèmes énoncés.
Des îles Andaman (Océan Indien), à Raine Island (au bord de la grande barrière de corail), en passant par la mangrove du sud-ouest de Grand-Bahama (États-Unis), par le Banc Lawson (îles Marquises), la Playa des Carmen (dans la mer des Caraïbes) ou, encore et de manière non exhaustive, au large de la côte du Transkei (Afrique du Sud), c’est à un nombre de plongées incalculable que l’auteur nous invite.
Toutes sont le point de départ d’une réflexion sur notre relation à ces animaux que nous nous acharnons à vouloir faire disparaître du fait d’une pression de pêche insoutenable au regard de la longévité des requins les plus fragiles (et donc de l’âge tardif auquel ils atteignent la pleine maturité nécessaire à leur reproduction). Pêche provoquée par une demande invraisemblable de sous-produits consommés par l’industrie des cosmétiques, mais aussi par des croyances stupides quant aux vertus soi-disant aphrodisiaques d’autres parties de ces animaux quand ce n’est pas une pêche préventive destinée à « protéger » des zones d’activités aquatiques faisant fi de toute précaution à l’égard des habitants naturels des zones de loisirs.
Le constat est implacable : les géants de chacune des espèces sont en voie de disparition et sont « les premiers à disparaître dès le début de l’exploitation [d’une nouvelle zone de pêche]. Et ils ne seront plus jamais remplacés, car le rythme des prélèvements est tel que les jeunes n’ont plus le temps ni de vieillir ni de grossir ». Ni, non plus de se reproduire. Évidemment !
Et parmi les plus de 500 espèces de requins recensées, aucune n’est épargnée. Aucune n’échappe à la pression de prélèvement formidable, systématique et continu : depuis les requins-sagres, elfes dont la longueur n’excède pas 18 cm, jusqu’au requin-baleine dont la taille de l’œil (!!!) atteint 13 cm ! Tous, à un titre ou à un autre, sont menacés.
Alors que les Polynésiens avaient intégré à leur mythologie ces princes des mers (comme les Romains avaient placé Rome sous la protection de la louve…), alors que, au XIXe siècle, « es pêcheurs de thon appréciaient l’aide [involontaire] des requins » lors de leurs sorties de pêche, ils sont soudain devenus exclusivement Les Dents de la mer et, à ce titre, voués à toutes les gémonies, à l’exacerbation de toutes les folies meurtrières et destructrices.
Sandra Bessudo, qui a rédigé la préface de cet ouvrage, s’écrie : « Puisse ce livre nous faire comprendre toute la richesse de nos interdépendances. Puisse ce livre être le plaidoyer qui change les consciences et nous pousse à protéger cette biodiversité enchanteresse ».
C’est à cela que s’attache effectivement François Sarano qui multiplie les récits de contacts sereins, même très rapprochés, qui participe aux réflexions visant à protéger les requins ET les baigneurs ou les surfeurs, qui démolit l’image du monstre sanguinaire et met en évidence une merveilleuse création de la vie laquelle dispose de trésors de capacités physiques pour détecter, suivre, identifier une proie : ouïe, odorat, sensibilité aux champs électriques... ! Les capacités sensorielles des requins sont étonnantes et exceptionnelles ! À la taille de son rôle de prédateur ! Mais, et c’est là toute la différence étonnante avec les superprédateurs terrestres, les requins sont, à leur tour, des proies pour des prédateurs qui leur disputent la suprématie dans leur royaume et jouent un rôle de régulation naturelle que la vie sait si bien faire jouer.
Agrémenté de nombreuses illustrations (dessins, planches, photos…), ce livre est un plaidoyer magnifique pour cette préservation de la biodiversité qui devient chaque jour une « peau de chagrin ». Pour une politique de « l’égard, un outil diplomatique pour s’échapper des logiques dualistes imposées par le naturalisme moderne » chère à Baptiste Morizot. Un plaidoyer pour le « sauvage », pour « celui qui est différent ». Un cri d’alarme à l’égard de l’« amnésie écologique » qui « frappe celui qui considère comme situation originelle, l’état d’un milieu qu’il observe pour la première fois », oubliant trop facilement tous les bouleversements anthropiques qui ont conduit à son rétrécissement.
Une extraordinaire plongée en eaux profondes !
Par Mimiche
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 02/02/2022
304 pages
Actes Sud Editions
21,00 €
Paru le 16/03/2022
229 pages
Actes Sud Editions
7,70 €
Paru le 21/10/2022
237 pages
Delachaux et Niestlé
34,90 €
Paru le 22/01/2020
218 pages
Actes Sud Editions
21,00 €
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