Dans son Et l'évolution créa la femme, Pascal Picq esquissait déjà les évolutions que les dernières décennies ont amenées dans la figuration de la place de la femme, autour des feux de nos ancêtres, dans les grottes préhistoriques. Avec Lady Sapiens, Jennifer Kerner, Thomas Cirotteau et Éric Pincas bousculent notre vision occidentale du rôle de la femme dans la préhistoire.
Il y a quelques semaines a été diffusé, sur une grande chaîne généraliste française, un documentaire intitulé Lady Sapiens dans lequel les auteurs questionnent les découvertes archéologiques récentes et les évolutions notables (permises par les tout derniers développements analytiques) dans la vision des archéologues (es !!!...) quant à la place de la femme dans les sociétés humaines du Paléolithique Supérieur.
Avec ce livre, Jennifer Kerner (enseignante en préhistoire au département d’anthropologie de l’Université de Paris-Nanterre) couche sur le papier les découvertes que Thomas Cirotteau (réalisateur) et Éric Pincas (rédacteur en chef de la revue Historia) ont compilées dans ledit documentaire lequel s’appuie sur les informations collectées auprès de plus de trente grands spécialistes mondiaux (préhistoriens [ennes], anthropologues, archéologues, ethnologues, généticiens [ennes],…) qu’ils ont consultés en bénéficiant de l’appui et du soutien scientifique de Sophie Archambault de Beaune (professeure à l’Université Jean Moulin de Lyon III).
Parmi toutes ces sommités, ne « connaissant » qu’elle, je ne citerai que Marylène Patou-Mathys (Directrice de recherche au CNRS et rattachée au département préhistoire du Muséum National d’Histoire naturelle) que j’avais incidemment croisée lors d’une visite de la magnifique exposition relative à Néandertal au Musée de l’Homme, dont l’ouvrage léger Madame de Néandertal, journal intime m’avait fort amusé (derrière un sujet et un ton badins, elle y développe les théories les plus récentes quant aux connaissances actuelles sur son héroïne) et dont les cycles de conférences accessibles sur internet m’ont passionné tout au long des longues journées de réclusion forcée lors des différents confinements…
Ces références à la qualité des sources des auteurs du documentaire ne sont pas gratuites ni anecdotiques pas plus qu’elles ne sont inutiles. En effet, les informations que présentent tant le film que le livre, secouent tellement le cocotier des idées enfoncées dans nos crânes par des années d’anthropologie canalisée dans un carcan socioculturel datant de la fin du XIXe siècle et du (large) début du XXe que certaines méritent de rappeler et de bien intégrer le curriculum vitae des personnes qui les professent pour s’abstenir, après les avoir entendues, de crier au canular !!!
Analyser la constitution des dents des crânes retrouvés lors de fouilles permet, aujourd’hui, d’avoir une vision précise des conditions d’allaitement des enfants notamment en termes d’âge de sevrage.
Analyser la dimension respective des doigts sur les silhouettes des mains (positives ou négatives) sur les murs des grottes ornées permet, aujourd’hui, d’associer ces formes au sexe du propriétaire de la main et donc d’affirmer que les hommes n’étaient pas seuls à s’enfoncer dans le ventre de la terre et que les femmes accédaient, elles aussi, à ces espaces fermés !!! De là à considérer (les gravures étant associées ??? à des activités à caractère religieux) que des femmes puissent, aussi, être des chamanes, cela ne fait plus aucun doute pour nombre des scientifiques sollicités dans le cadre de la réalisation du documentaire.
Analyser les squelettes associés à des hommes ou à des femmes permet, aujourd’hui, d’affirmer que les statures étaient fort semblables et, quel que soit le sexe, parfaitement adaptées au lancer de traits, flèches, lances et donc de conclure qu’il n’y a plus de raison objective pour considérer que les femmes ne participaient pas aux grandes opérations de chasse au gros gibier, comme les hommes.
Analyser les ossements objectivement féminins permet, aujourd’hui, de les associer à des TMS (troubles musculo-squelettiques bien connus des personnes responsables de l’amélioration des postes de travail), eux-mêmes associés à la mouture des graines de céréales sur des meules. Or les ethnologues qui ont travaillé auprès des peuples premiers encore peu (mais un peu tout de même, ce qui impose de prendre des précautions extrêmes pour envisager des extrapolations au sujet de nos lointains ancêtres) « pollués » par des contacts avec nos sociétés occidentalisées ont montré l’importance des apports caloriques liés aux activités féminines de collecte des graines et de chasse au petit gibier, conduisant à la conclusion que les activités des femmes étaient à l’origine de plus de la moitié des apports caloriques au groupe. Quand on connaît le taux de réussite des chasses des grands prédateurs, on peut effectivement imaginer que nos ancêtres ne mangeaient pas, à tous les repas, du steak d’éléphant : il fallait donc bien des fournisseurs (fournisseuses en l’occurrence) d’autres sources alimentaires.
De là à imaginer que cela puisse être une femme qui aurait pu observer la germination inopinée d’une graine collectée et, en la répétant, ouvrir la porte à la culture, à l’agriculture… !!!
Etc., etc....
Ainsi, page après page, le livre déconstruit l’idée d’une société paléolithique où la division du travail découlait du moule prégnant des sociétés patri-dominantes des premières années de l’archéologie à la fin du XIXe siècle, pour proposer une autre vision, qui ne renvoie pas le balancier dans l’exact contraire ultra-féministe, mais tend à équilibrer les apports des deux sexes dans un groupe où la survie est associée à la Communauté et où la disparition accidentelle de l’un ou de l’autre des membres ne doit pas créer un risque de désorganisation de nature à mettre le groupe survivant en péril.
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Nos scientifiques, avec les moyens d’investigation qui sont mis à leur disposition, n’ont pas fini de nous étonner et, même s’ils ne s’accordent pas toujours sur toutes les nouvelles hypothèses, de converger vers une vision plus équilibrée du groupe dans lequel Lady Sapiens quitte son image de fragile potiche juste bonne à « torcher » les enfants pour devenir un membre à part entière du collectif et, comme aujourd’hui cela est le cas, ne recule devant aucun des métiers qu’un mauvais pli de la société avait pu la dissuader (sinon lui interdire !!!…) de pratiquer.
Ce livre est un point d’étape vers un futur de connaissances accrues passionnantes. Sa lecture, fluide et sans aucune difficulté technique intéressera tous ceux qui s’interrogent sur nos origines lointaines.
Par Mimiche
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 09/09/2021
247 pages
Editions Les Arènes
19,90 €
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