Visionnaire, la série de romans U4 publiée conjointement par les éditions Syros et Nathan racontait en 2015 une France dévastée en dix jours à peine par un redoutable virus, qui éliminait presque toute la population, n'épargnant que les ados entre 15 et 18 ans. Ces jeunes orphelins cernés par la mort, étaient forcés de s'adapter à une survie autonome à laquelle rien ne les avait préparés. 4 romans et un recueil de nouvelles permettaient de suivre le parcours de quatre héros, que l'histoire finissait par faire se rencontrer.
L'adaptation en bande dessinée sort aujourd'hui chez Dupuis, visant en 5 tomes à donner corps à ces héros de l'après-pandémie. Un pari audacieux. Depuis le tour de force de leur série Alter Ego (11 tomes publiés eux aussi par les éditions Dupuis) Denis Lapière et Pierre-Paul Renders ont pris goût aux scénarios ambitieux et aux intrigues croisées. Comme dans leur projet précédent imaginé à quatre mains, chaque album se concentre sur un personnage et les trames narratives s'entremêlent, de sorte que le héros d'un titre apparaît comme personnage secondaire dans les autres volets de la série. Le récit aboutissant, ici, dans le cinquième tome Khronos encore à paraître, à une conclusion commune à tous les personnages.
C’est amusant, c’est habile, mais le procédé paraît moins porteur cette fois que dans Alter Ego, peut-être parce que les hasards semblent forcés et plus artificiels. En effet, dans Alter Ego, les destins croisés étaient le fondement de l’intrigue, les rencontres n’étaient jamais dues au hasard ; ici l’errance à travers une France dévastée n’explique pas pourquoi tous les gentils ados croisés sur la route des héros sont aussi les joueurs les plus aguerris du même jeu vidéo en ligne avant l’épidémie... Le choix narratif posé d’emblée se sent trop. Comme je n’ai pas lu les quatre romans et le recueil de nouvelles pour ados dont ces albums sont l’adaptation (un succès de librairie, dû aux plumes d’Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor et Vincent Villeminot), je ne sais pas si ces coïncidences un peu suspectes étaient déjà présentes dans les romans ou si elles y étaient mieux justifiées.
Ici, on a du mal à avaler qu’un ado assis à une pompe à essence soit justement le partenaire de jeu en ligne que l’héroïne n’a jamais rencontré. C’est à la fois peu crédible dans le monde réel et improbable dans la réalité des jeux en ligne... Par rebond, l’univers autour des personnages paraît trop désertique et les rares personnages secondaires semblent trop liés entre eux. Même réduit de 90 % de sa population, la France reste un vaste territoire. On aimerait que les images donnent à voir les camps de rassemblement et la survie d’autres protagonistes que les héros, mais on n’en verra que de rares esquisses. Les adversaires et les dangers sont au final assez répétitifs quand on dévore les quatre tomes d’affilée.
Reste que le pari narratif est réussi. On peut lire dans le désordre les 4 volumes, découvrir tour à tour les aventures de Yannis, Jules, Koridwen et Stéphane, et suivre avec anxiété le parcours qui les mènera de leur maison familiale jusqu’à l’île de la Cité, au cœur de Paris, où le mystérieux Khronos leur a donné rendez-vous le soir de Noël pour remonter le cours du temps et empêcher la propagation du virus. C’est violent et dur, bien sûr, on est dans le registre du récit post-apocalyptique, mais les émotions sourdent aussi sous la cuirasse de ces ados forcés à jouer les durs. Et c’est là évidemment que le récit est le plus juste et le plus touchant.
Si le public cible est clairement constitué par les ados, on peut comprendre le choix d’Adriàn Huelva aux dessins, mettant avant tout l’accent sur les formes des corps et les silhouettes des personnages. Mais sa palette d’émotions sur les visages n’est pas à la hauteur de nombreuses nuances défendues par le scénario. Les décors parfois très sommaires sont eux aussi en dessous de ce qu’on attendrait d’un projet qui évoque tantôt les paysages de Bretagne et les rives de Lyon, les égouts de Paris, le centre de Marseille et plusieurs bâtiments historiques comme l’hôpital de la Salpêtrière... On sent que le budget à la planche a été négocié au plus bas, pour permettre aux quatre albums de paraître simultanément, et que le temps consacré aux décors et aux détails en a souffert...
Les jeunes lecteurs ne s’en soucieront peut-être pas, mais on peut regretter qu’une série aussi ambitieuse n’ait pas bénéficié d’une équipe graphique plus étoffée, comme Alter-Ego y avait eu droit. La mise en couleur, souvent très réussie (due à la palette de Crespo Cardenete), rend parfois certaines planches si sombres que la lecture de quelques vignettes est ardue, sans y regarder de très près. Mais la tonalité sinistre ajoute une couche de désespoir pertinente à un faisceau d’histoires très noires, dans un monde sans électricité ni eau courante, rarement illuminé par les flammes d’un incendie...
Jusqu’ici porté par l’énergie pessimiste d’un récit d’anticipation très noir, situé après l’effondrement de notre monde, U4 connaîtra sans doute un rebondissement étonnant dans le dernier volet, qui pourrait faire basculer la série dans un registre plus SF ou Fantasy... Il faudra encore patienter quelque temps pour le savoir, très précisément jusqu'au 6 mai de cette année. À moins de plonger sans attendre dans les romans originaux que les lecteurs ont plébiscités, année après année, et qui sont désormais disponibles au format poche chez Pocket.
Paru le 07/01/2022
144 pages
Editions Dupuis
15,50 €
Paru le 07/01/2022
132 pages
Editions Dupuis
15,50 €
Paru le 07/01/2022
144 pages
Editions Dupuis
15,50 €
Paru le 07/01/2022
133 pages
Editions Dupuis
15,50 €
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