Il y a quelques mois, L’Association, qui compte parmi les éditeurs historiques ayant émergé dans les années 90, relançait sa fameuse collection Patte de mouche, revenant aux sources de leur catalogue. Le principe de cette collection est simple : un même format (A6), un nombre de pages relativement constant (oscillant autour de 32 pages), une impression en noir et blanc.
Le 01/12/2021 à 17:59 par Jean-Charles Andrieu de Levis
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01/12/2021 à 17:59
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Toutes ces caractéristiques matérielles permettent alors un prix de vente très abordable fixé à 3 €. Cette simplicité de fabrication n’empêche pas une grande ambition artistique et de grands noms de la bande dessinée livrèrent une ou plusieurs Patte de mouche tandis que de jeunes dessinateurs y firent leurs premières armes. Espace d’expérimentation pour le moins enthousiasmant, de très nombreux titres se révèlent particulièrement réjouissants et audacieux. Le retour de cette collection constituait ainsi une grande et belle nouvelle, qui était assortie de six volumes très réussis. Mais si ces derniers avaient été réalisés par des habitués de la maison d’édition, les nouveaux livrets sortis récemment laissent place à des auteurs plus rares qui s’approprient pleinement ce format singulier.
Chaque titre de cette nouvelle fournée est une véritable réussite et étonne par la capacité qu’ont les auteurs à condenser en quelques pages des histoires originales qui nous font vivre une expérience de lecture intense. Mais parmi ces six nouvelles Patte de mouche, celle qui se démarque immédiatement est Les lettres d’Hilda Dajc d’Aleksandar Zograf.
Le dessinateur serbe, qui avait déjà dessiné Vestiges du monde (2008) et Bons baisers de Serbie (2000) publiés chez le même éditeur, propose un récit d’une grande profondeur : il raconte l’histoire d’Hilda Dajc, enfermée volontaire dans un camp de concentration serbe qui fut finalement assassinée par les nazis dans un camion à gaz, comme 6000 enfants, femmes et personnes âgées juifs emprisonnés à Belgrade. Mais plus que raconter son parcourt terrifiant, il reproduit et illustre des extraits de lettres que la jeune femme âgée d’une vingtaine d’années, infirmière volontaire à l’hôpital juif, réussi à faire envoyer clandestinement.
Elle y raconte le quotidien des prisonniers du camp de concentration, leur déplorable condition de vie et les brimades récurrentes qui augurent des mises à mort imminentes : en somme, l’horreur à l’état brut, rapportée de l’intérieur des camps, au moment où les atrocités se déroulent. Le dessinateur raconte et adapte cette histoire avec une grande pudeur, une sobriété qui permet de mettre quelque peu à distance l’enfer décrit sans pour autant le déguiser. Son dessin ne tombe jamais dans l’obscénité et accompagne avec subtilité ce témoignage bouleversant. Bien entendu, l’émotion ébranle d’autant plus que l’on connaît le funeste destin de l’autrice de ces lettres.
Mais Aleksandar Zograf ne tombe jamais dans le pathos et préserve une retenue qui essaie de ne pas rajouter d’affect à ce qui en déjà lourdement chargé. Il conclut le récit par quelques notes expliquant notamment l’importance qu’ont pu revêtir ces pages de bande dessinée dans le travail de mémoire réalisé par la Serbie. Elles ont notamment été distribuées gratuitement dans tous les lycées du pays et, en 2018, l’ouvrage intègre les archives de la bibliothèque Yad Vashem de Jérusalem dédié aux publications traitant de la Shoah.
Il était temps que le public français puisse découvrir cette œuvre saisissante, d’autant plus poignante que la dernière page reproduit une photographie de la jeune Hilda Dajc. Incidemment, la présence de cette bande dessinée dans la collection Patte de mouche peut interroger. D’une part on est amené à se demander si l’ouvrage n’aurait pas mérité une plus grande attention formelle afin, peut-être, de mieux signifier son importance. Mais d’autre part, son prix modique et sa simplicité permettent de le mettre entre toutes les mains et ainsi de rendre ce travail de témoignage pleinement opérant. Il reste que Les lettres d’Hilda Dajc, dessiné par Aleksandar Zograf, est une œuvre forte, d’une rare intensité.
Après ces quelques lignes à propos de cette œuvre bouleversante, voici quelques mots sur chacune des nouvelles sorties.
La bouteille de Lewis Trondheim et Alfred se révèle aussi amusant que tendre. Le dessin du second met toute sa douceur au service d’un récit humoristique mettant en scène un imbroglio existentiel comme sait si bien les écrire Lewis Trondheim. Entre poésie et cynisme, cet album promet un moment de lecture particulièrement savoureux.
Avec Richard et Dieu, Trondheim s’amuse à dessiner le fidèle ami de Lapinot se lancer dans une joute verbale réjouissante, mais peut-être moins délirante qu’elles ne pouvaient l’être dans les premiers volumes. On sent l’auteur en pilotage automatique et, aussi agréable que soit la lecture, elle étonnera moins les fidèles lecteurs du dessinateur.
Anders Nilsen, auteur rare et précieux, propose avec Grand Canyon des extraits de carnet réalisé durant un trip dans le grand canyon en compagnie d’un joyeux groupe d’aventuriers alcooliques et escaladeurs. Célébration de l’anecdote, ce livre nous propose une pause contemplative dans des décors majestueux et dans l’écriture toute en finesse du dessinateur.
La boucherie parisienne retrace le quotidien estival d’une boucherie à Fort-Maon-Plage, près de la manche. Gala Vanson, qui travaille principalement pour l’illustration jeunesse, raconte avec tendresse le souvenir de ses parents, propriétaires de la boucherie, et de l’agitation qui entourait ce lieu d’activité particulièrement animé durant les périodes estivales. La simplicité du trait et de la narration apporte une certaine chaleur à ce récit court, mais charmant.
Jean-Michel Bertoyas gratifie la collection Patte de mouche d’une seconde contribution, après Sphinx Song (2013) réalisé en collaboration avec Léo Quiévreux. Cockey, la fuite est, comme toute production de Bertoyas, jubilatoire, fou, sans cesse inventif, extrêmement dynamique, improvisé, trouvant dans les heurts diégétiques une saveur poétique singulière et particulièrement fertile. Chaque bande dessinée de Bertoyas est une expérience unique, un concentré de fraîcheur qui stimule et vivifie.
Ainsi, avec les Patte de mouche, et particulièrement avec ces derniers titres parus, tout lecteur peut se procurer pour seulement quelques euros des œuvres d’une grande richesse. À noter que de nouveaux titres arriveront prochainement et promettent aussi de très belles surprises, regroupant des auteurs davantage historiquement proches de l’Association, tels que Trondheim (encore lui, la productivité et l’inventivité de cet auteur n’a donc aucune limite !), Marc-Antoine Matthieu, Vanoli, Étienne Lecroart ou encore Alex Baladi.
Par Jean-Charles Andrieu de Levis
Contact : jeancharles.andrieu@gmail.com
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