« Sapiens », le brillant essai fleuve de Yuval Noah Harari, ce best seller mondial qui raconte sous un jour nouveau l'histoire de l'Humanité, prend à nouveau d'assaut les tables des librairies dix ans après sa première parution en hébreu, en bande dessinée cette fois. Le deuxième tome, toujours aussi réussi, met en lumière les mécanismes qui ont permis aux homos sapiens de s'établir, de coopérer et, petit à petit, de faire société à grande échelle, notamment grâce au recours à des fictions collectives comme l'argent, les divinités ou les empires. Un récit en cases et en bulles qui, comme l'Homo Sapiens il y a 70000 ans, part à la conquête du monde entier.
Si la parution du nouvel album des aventures d’Astérix a été saluée dans les médias comme un record, avec un tirage colossal et une publication simultanée en 17 langues cumulant à peu près 5 millions d’exemplaires imprimés, le deuxième tome de l’adaptation en bande dessinée du best-seller de Yuval Harari, « Sapiens » par David Vandermeulen et Daniel Casanave est lancé sur le marché en pas moins de... 37 langues d’un coup ! Une opération extraordinaire et probablement inédite pour un album en langue française.
Détail amusant, bien que ce soit la version française qui ait été scénarisée à l’origine, ce n’est pas elle qui sert de matrice à toutes ces traductions publiées dans le monde, mais l’adaptation anglaise de la BD française, préparée en parallèle à l’édition originale et supervisée par les trois auteurs (et l’équipe éditoriale personnelle de Harrari en collaboration avec les éditions Albin Michel). Un projet colossal, à la hauteur du best-seller qu’est devenu Sapiens à travers le monde, mais qui a si bien fait ses preuves sur le premier tome, que le deuxième volet dès sa sortie connaît plusieurs dizaines de lancement à travers les continents.
Le premier tome nous avait permis de faire connaissance avec cet homo sapiens qui donne son titre à la série et tisse, à travers sa longue histoire, la toile de fond des civilisations humaines telles que nous les connaissons, celles d’aujourd’hui comme celles qui ont disparu. Ce deuxième volume prend le temps d’expliquer en détail l’importance capitale de la révolution agricole, à l’origine de la sédentarisation des fourrageurs et de leur transformation rapide en esclaves au service de la terre, c’est-à-dire en agriculteurs.
L’album développe ensuite l’idée fondatrice du travail d’Harari : le rôle majeur joué par l’imaginaire collectif pour cimenter les communautés humaines et leur permettre de dépasser la taille d’une famille ou d’une tribu pour atteindre l’échelle d’un état, d’un empire, voire aujourd’hui, celui d’une planète entière. Les religions, l’économie ou des valeurs plus abstraites comme l’égalité, sorties tout droit de l’imagination humaine, se font rapidement passer pour des vérités absolues. Présentées comme naturelles et incontestables, elles sont partagées par tous les membres de la société. Si quelques individus peuvent les contester (et passer la plupart du temps pour fous aux yeux de leurs congénères), le groupe en revanche doit les considérer comme essentielles et fondatrices. Car c’est sur ce partage de valeurs essentielles que peut se déployer le fonctionnement des sociétés humaines.
Comme dans le premier tome, on suit les discussions entre quelques personnages versés dans l’une ou l’autre matière (la biologie pour la professeure indienne, les arcanes de l’administration pour le docte Franz K., l’histoire pour Harari en personne, la méfiance et le doute pour l’inspectrice Selena...) et le doctor Fiction, superhéros spécialiste des fictions partagées, dont les thèses sont critiquées par les multiples intervenants. Les chapitres explorent tour à tour les nombreuses facettes de l’édification et de la complexification des sociétés humaines.
À nouveau, l’humour insufflé par David Vandermeulen fait mouche et les dessins, limpides, de Daniel Casanave sont aussi légers et fluides que dans le tome précédent, facilitant l’assimilation des nombreuses informations divulguées par le livre, les rendant surtout à la fois visuelles, mémorables et souvent amusantes. Le recours aux registres illustrés variés faisant irruption dans le récit (faux comics vintage, articles de presse, publicités, affiches, etc.) permet des moments de répit dans la lecture des dialogues didactiques, mais aussi des récapitulatifs bienvenus et des synthèses habilement camouflées. C’est malin et c’est bien pensé.
La recette du succès de cette adaptation repose sur une formule qui fait ses preuves depuis des lustres : « la science amusante ». N’était-ce pas déjà le titre du best-seller de Tom Tit au XIXe siècle, qui invitait à comprendre les principes de physique et de chimie à travers des expériences concrètes à reproduire avec les invités autour de la table à la fin du repas... On ne change pas une formule qui rafle tout sur son passage.
En vulgarisant en BD un essai majeur du début de ce XXIe siècle, l’équipe de Sapiens rend son contenu accessible à un public toujours plus large et propage ses idées à une audience plus étendue que jamais. Désormais, non seulement des millions de lecteurs ont compris que c’est le fait de partager des fictions qui soude les citoyens, mais ils sont à leur tour convaincus que les idées de Harari ne sont pas des intuitions scientifiques qui ouvrent le débat, mais des certitudes établies, qui expliquent l’histoire de la famille humaine. Le doctor Fiction en personne serait impressionné par un tel résultat. Mais pas surpris, loin de là.
Détail amusant : si la version française de cet album est présentée sans avertissement, la traduction anglophone prend des pincettes et prévient que les thèses exposées dans les planches qui suivent sont certes issues des recherches scientifiques les plus récentes, mais peuvent choquer certains lecteurs. Il est vrai que les platistes, les créationnistes, les économistes obtus et les fondamentalistes de tous bords auront du mal à accepter que les dieux, quels qu’ils soient, sont des créations de l’imaginaire humain ou que le dollar est une fiction, efficace certes, mais reposant entièrement sur la crédulité et la foi de tous ceux qui vivent sous son emprise... C’est-à-dire tous ceux qui paieront pour acheter cet album comme tous ceux qui le voleront ou l’emprunteront pour éviter d’en acquitter le coût. En d’autres mots, tous les lecteurs à peu près.
DOSSIER - Livres, BD, actualités : tout sur Riad Sattouf
Par Nicolas Ancion
Contact : nicolas.ancion@gmail.com
Paru le 13/10/2021
256 pages
Albin Michel
22,90 €
Paru le 07/10/2020
248 pages
Albin Michel
23,90 €
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