À l’occasion du bicentenaire de la mort de l’Empereur Napoléon, les éditions Passés Composées sortent une nouvelle édition du livre du contre-amiral et historien Rémi Monaque, Trafalgar. Ce tableau extrêmement complet des tenants et aboutissants de la célèbre bataille avait d’ailleurs reçu le Grand Prix de la Fondation Napoléon en 2005. J’entends déjà grincer les dents des « aficionados » de l’Empereur. C’est un peu comme parler d’Alésia à Abraracourcix.
Il faut dire que « pour les marins, l’événement marque une fracture historique : avant lui la flotte française était capable de disputer aux Britanniques la maîtrise des mers, après lui elle doit se résigner à jouer les seconds rôles ».
Cela explique peut-être le peu d’ouvrages d’historiens français sur la question. D’après Rémi Monaque, l’étude la plus complète sur la bataille remonte à près d’un siècle et était signée par l’officier Édouard Desbrière.
Mais il s’agit, ici, de bien plus que de la simple bataille, qui prend finalement assez peu de place dans ce livre. Ce qui est passionnant, c’est l’analyse complète depuis le but initial de l’Empereur, l’étude complète des forces en présence, jusqu’à la conception et conduite des opérations. On comprend vite à lire cet état des lieux exhaustif des coques, gréements, voilures, armes, hommes, idées tactiques, etc., qu’avec un effectif de navires quasiment équivalent les forces alliées n’avaient que peu de chances de s’en sortir face aux Britanniques.
Depuis longtemps, pour ne pas dire toujours, l’Angleterre est l’ennemie de la France. En ce début de XIXe siècle, l’Angleterre mettrait bien fin à la mainmise et à la tyrannie de l’Empereur sur l’Europe. Napoléon, de son côté, est bien décidé à envahir l’Angleterre et à mettre fin à leur hégémonie sur mer, d’où l’idée de ce « Grand Dessin ». La guerre est inévitable.
Le Bucentaure à Trafalgar, tableau d'Auguste Mayer
Mais organiser un débarquement demande une élaboration précise. Or pour Napoléon, il ne fait aucun doute que l’Angleterre tombera dès que les Français mettront les pieds sur le sol britannique. Outre le fait que c’est très présomptueux, c’est aussi ne pas tenir compte de la logistique, du ravitaillement et du maintien des hommes sur place, comme le développe avec beaucoup de bon sens le contre-amiral Monaque.
Il faut aussi avoir à l’esprit que la France sort d’une période révolutionnaire et qu’« en 1793, lorsque commencent les hostilités, la marine française a perdu plus des trois quarts de ses officiers et affronte l’Angleterre avec des états-majors improvisés. »
Trois amiraux français vont cependant jouer un rôle important : Decrès, Ganteaume et Villeneuve. Ils ont en commun d’avoir été vaincus à Aboukir et de nourrir un sentiment d’infériorité face à Nelson.
La flotte française sera rejointe par la flotte espagnole, quasiment contrainte et forcée par Napoléon, ce qui ne facilite pas le « patriotisme ». Mais l’« Invincible Armada » n’est plus qu’une légende. « L’Espagne, privée de ses relations avec l’Amérique latine, éprouve des pertes financières immenses qui vont précipiter son déclin. » Dans ces circonstances la construction de nouveaux bâtiments est difficile et au moment de Trafalgar, le navire le plus récent de la flotte espagnole date de 1796.
En face, la flotte anglaise, elle, se porte à merveille et le moral des troupes, suite aux victoires de prairial — ou troisième bataille d’Ouessant — et d’Aboukir, est au beau fixe. Qui plus est « Jervis, Nelson ou Collingwood s’emploient à procurer à leurs marins un meilleur ravitaillement, de meilleures conditions de vie à bord et à temporiser les excès de certains commandants dans l’application d’une discipline trop souvent féroce », ce qui ne semble pas être parmi les préoccupations majeures des amiraux français et espagnols. Comment ne pas avoir à l’esprit que des marins soldats se battront mieux s’ils n’ont pas le scorbut, ne sont pas dépenaillés et pas sans cesse rabroués voire battus ? La question se pose… ou pas.
Mais le vrai problème des alliés ne viendrait-il pas du commandement en chef ? Rémi Monaque rappelle, pour commencer, qu’il aurait déjà fallu que « le grand homme [Napoléon] eût une connaissance approfondie des opérations navales et de leurs contraintes ». Et c’est bien là le nerf de la guerre de cette étude.
Si l’historien ne remet pas en cause le génie militaire sur terre de Napoléon, il est plus que critique à son égard sur sa capacité de technicien sur mer. Certes le manque de combativité de son amiral Villeneuve, voire son côté dépressif, n’a pas aidé à enthousiasmer les troupes, mais à la lecture de ce livre le coupable de la défaite de Trafalgar semble n’être que Napoléon himself.
Napoléon Ier à Fontainebleau le 31 mars 1814, Peinture de Paul Delaroche (1840)
À toujours vouloir tout diriger, à ne pas tenir compte de l’avis des gens de métier voire à ne pas leur faire confiance, à donner des ordres et des contre-ordres sans prendre en compte le temps d’acheminement des messages, à croire que l’ennemi fera précisément ce qu’il attend de lui, et nous en passons, il finit par désorganiser sa flotte tout seul.
Beaucoup de choses peuvent être reprochées à Villeneuve : en premier lieu, sa volonté d’éviter le combat, mais le vrai duel se jouait entre Nelson et Napoléon. Entre un Nelson déterminé à rayer de la carte les Français, qu’il haïssait viscéralement, et un Napoléon, changeant, rejetant la faute sur les autres et ayant depuis longtemps abandonné son projet d’invasion de l’Angleterre en ce 21 octobre 1805.
Le combat était perdu d’avance pour les Français !
Paru le 12/05/2021
393 pages
Passés Composés
16,00 €
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