De la poésie de Bukowski à la folie cyberpunk de Philip K. Dick, du prophétisme d'un génie russe inconnu à la biographie d'un des plus grands représentants du spectacle vivant, une question : où est la vie et où est la mort ? Quatre livres de poche posent la question, chacun à sa manière.
Le 12/10/2021 à 14:06 par Hocine Bouhadjera
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12/10/2021 à 14:06
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Je suis vivant et vous êtes morts
Cette phrase est tirée d'un des plus célèbres romans de Philip K. Dick, Ubik (trad. Alain Domérieux) : œuvre aussi vertigineuse que nombres de ces plus grands romans ou nouvelles. Ces derniers qui ont tous été publiés dans la collection Quarto. Philip K. Dick reconnu ainsi à sa juste valeur de classique de la littérature.
Cette citation donne également son titre à une biographie romancée d'Emmanuel Carrère, qu'on ne présente plus, parue en 1993 aux Éditions du Seuil, et rééditée en 2020 dans la collection poche Points. L'auteur de Yoga présente les différentes périodes de la vie de l'auteur du Dieu venu du centaure (trad. Sébastien Guillot) : entre soif de connaissance, paranoïa, mystique, drogues et hyperlucidité. Une biographie qui sortait à une époque où Dick était encore un auteur estampillé science-fiction, non sans un certain mépris.
La thèse de Carrère : ses centaines de nouvelles et ses dizaines de romans écrits sous amphétamine et bien plus encore, racontent sa vie. Une vie de labeur terrible, achevée par 10 ans à écrire son Exégèse : 8000 pages de réflexions sur une expérience mystique déterminante.
Philip K. Dick s'est rêvé grand écrivain « classique », mais aucun de ces 7 romans ne sortira de son vivant. Et tant mieux : c'est sous le sceau de la science-fiction qu'il aura trouvé le moyen d'exprimer l'immense richesse de son monde intérieur, pour devenir un des écrivains les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle. Des romans et nouvelles devenus des poncifs de la science-fiction, plus : la réalité.
À couteaux tirés, ou l'instinct de mort en acte
« Le temps de Leskov n’est pas encore venu, Leskov est un écrivain de l’avenir. » Tolstoï
Les éditions des Syrtes, spécialisées dans la littérature russe, ont ressorti en poche A couteaux tirés de Nicolaï Leskov : diamant noir que ces éditions avaient déjà exhumé et traduit pour la première fois en français en 2016 par Gérard Conio et Julie Bouvard. Ce gros roman sur l'instinct de mort, paru en 1870, puis tomba dans l'oubli après avoir été interdit par l'Union soviétique.
Proche des Possédés de Dostoïevski, et tout aussi profond que ce dernier, le roman, policier et politique, s’inspire d’un fait divers qui défraya la chronique de l’époque. Il suit plusieurs personnages, tous inscrits dans la mouvance nihiliste : un mouvement politique socialisant, anarchisant et matérialiste qui rejetait en son temps l'État, l'Église et la Société. À l'instar de Dostoïevski qui professait à travers ses personnages que sans spiritualité, il n'y aurait plus de morale, Nikolaï Leskov dépeint de jeunes russes sans foi ni loi qui volent et tuent par pur désenchantement macabre.
L'auteur qui a lui-même appartenu au mouvement nihiliste, avant de s'en éloigner pour y avoir entraperçu les impasses. Comme Dostoïevski à nouveau, sorti du socialisme russe pour la foi orthodoxe. Un roman russe du XIXe siècle par excellence : ses fonctionnaires, ses cosaques, ses popes, sa noblesse...
Redécouvert dans les années 90 en Russie, le roman-fleuve qui se déroule la plupart du temps à la campagne, s'est avéré prémonitoire, annonçant le XXe siècle à venir, ou bien le XXIe.
Jouvet : Une vie pour le mystère du spectacle vivant
« Il y a une chose qui arrive sur scène comme si c’était vrai. (...) L’Homme s’ennuie, et comme l’ignorance lui est attachée depuis sa naissance, ne sachant de rien, comment ça commence ni ne finit, c’est pourquoi il va au théâtre (…) et il se regarde lui-même (…) et il regarde, et il écoute, comme s’il dormait. » Ier acte de l’Échange de Paul Claudel cité par Louis Jouvet dans une conférence à l'Université de Boston, le 3 mars 1951.
Après avoir proposé une biographie sur l'écrivain Jules Romain, Olivier Rony s'est intéressé à la figure du grand Louis Jouvet pour proposer une nouvelle biographie parue en folio biographie en janvier 2021. De ses premiers petits rôles, en passant par les salles du Vieux-Colombier, de la Comédie des Champs-Élysées ou encore de l’Athénée, jusqu'à ses grands rôles au cinéma, Rony nous présente un amoureux de son métier, et un des plus grands penseurs de celui-ci.
Jouvet, c'est un phrasé, une voix, un regard, et un amour du grand théâtre classique où les personnages sont d'abord, des archétypes. Pour lui, le théâtre était d'abord un acte d'amour, hors théorie : « abominable en soi, c'est un système de damnation » (Baudelaire). Un acteur à l'ancienne, qui pensait qu'il ne fallait pas « alourdir de tes intentions personnelles le sens de la réplique ». Mystique de son métier (encore un), Jouvet professait cette proposition paradoxale : se débarrasser de son ego par la comédie. « Pour bien pratiquer ce métier, l’important est dans le renoncement de soi. La véritable personnalité est faite de dépersonnalisation en faveur de la richesse des œuvres littéraires », affirme-t-il dans le Comédien désincarné.
Dans sa conférence de Boston, Jouvet cite ensuite Giraudoux pour compléter l'affirmation de Claudel : le théâtre sert à « se perdre, se donner, s'abandonner. Il laisse se remettre en jeu dans l’émotion universelle. » Le secret de la personnalité (persona : masque), c'est qu'il n'y a rien derrière...
Tempête pour les Morts et les Vivants
« L’Art se passe de commentaires, soit c’est un poème, soit c’est un bout de fromage. » Lettre de Bukowski dans De l’écriture édité au Diable Vauvert.
L'œuvre poétique de Bukowski est peu connue, alors qu'elle est la part essentielle de sa vie. Il en écrivait quasi quotidiennement, presque machinalement, pour survivre (pas financièrement). Des poèmes sur la merde, les autres, l’achat de bagnoles... Alors qu'il publie ses premiers poèmes en 1944, il en publiera quatre autres les 15 années qui suivent. Une anthologie de ses poèmes est à découvrir grâce au Diable Vauvert dans sa collection poche, et dans une traduction de Romain Monnery.
Des poèmes qui tentent de reconnecter l'écriture au vivant : un François Villon des temps modernes. Une reconnaissance qu'il trouvera quelques mois avant sa mort, quand ses poèmes sont publiés dans la revue académique américaine, Poetry. Enfin reconnu pour ce qu'il a toujours été : une perle dans du vomi.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
Paru le 07/01/2021
432 pages
Points
9,90 €
Paru le 16/09/2021
986 pages
Editions des Syrtes
14,50 €
Paru le 21/01/2021
406 pages
Editions Gallimard
9,80 €
Paru le 02/09/2021
336 pages
Au Diable Vauvert
9,00 €
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