Le fleuve Pasvik coule vers le Nord, vers la mer de Barents. Au nord du bout du nord de la Norvège. Sur près d’une centaine de kilomètres, il marque la frontière entre Norvège et Russie. Une zone chahutée lors de la Seconde Guerre mondiale. Une région qui garde la mémoire du fascisme et du communisme, des relations conflictuelles, de la Guerre froide, des antagonismes est-ouest et qui reste encore l’un des premiers points de friction entre les deux blocs…
Bien loin des préoccupations des troupeaux de rennes qui, faisant fi des considérations géopolitiques, cherchent d’abord et avant tout, les zones où le lichen est le meilleur. Le meilleur et le plus accessible, cette dernière qualité devenant souvent déterminante depuis que le changement climatique remplace une partie du manteau neigeux par une couche de glace que les sabots ont du mal à casser, ce qui contraint les éleveurs à distribuer, ici et là, des granulés de substitution.
Depuis quelque temps, les Samis sont préoccupés, en plus de la surveillance des clôtures censées empêcher les animaux de traverser la frontière pour aller en Russie, par les meutes de chiens errants qui passent la rivière gelée en sens inverse et qui viennent semer la pagaille sinon la mort parmi les troupeaux. Et quand ils fuient le danger, les rennes se préoccupent encore moins de la nationalité du sol qu’ils foulent…
Klemet Nango, suite à quelques errements personnels (cf. La Montagne Rouge, paru en 2016 chez Métailié) a été muté dans cette région difficile et éloignée de tout alors que son ancienne collègue, Nina, a quitté la Police des Rennes, car, plus jeune que lui, elle a besoin d’étoffer son cursus par d’autres expériences. Alors, pour reconstituer un binôme opérationnel, la hiérarchie a affecté avec Klemet un finlandais horripilé, enragé même, par tout ce que ce poste pouvait représenter pour lui : les animaux, les éleveurs, l’isolement, le froid…
En tentant d’obtenir des renseignements au sujet d’une cinquantaine de bêtes dont le passage en Russie a été constaté par les gardes-frontières, Klemet et son chef de patrouille découvrent auprès d’un éleveur que, récemment, des rennes fugueurs ont été massacrés de l’autre côté de la Pasvik et laissés à pourrir sur place à l’exception notable des langues des animaux qui n’ont pu qu’être vendues comme mets recherché, certainement dans le cadre d’un trafic fort lucratif.
Une situation délicate qui implique la mise en branle de toute une machinerie administrative des deux côtés de la frontière, avec toutes les complications diplomatiques que cela induit et provoque.
Du côté russe, l’alerte donnée par les Norvégiens provoque quelques remous. Notamment chez ceux que des investigations policières sur la migration incontrôlée ou sur le devenir des rennes et sur la prolifération des chiens errants ne manquent pas d’inquiéter et de déranger dans leurs activités ou leurs projets pas toujours avouables dans une société gangrenée par la corruption…
L’avantage, avec ce livre, c’est que, dans un futur opus de la Police des Rennes, Olivier TRUC ne nous entraînera pas dans un froid encore plus intense puisqu’il ne va pas avoir la possibilité de monter encore plus haut en latitude pour nous faire vivre un nouvel hiver avec les Samis : plus haut, c’est la Mer de Barents et, si les rennes savent nager, ils ne s’aventurent pas ailleurs que dans les eaux des fleuves, rivières ou bras de mer que leurs migrations les conduisent à traverser.
Cette fois-ci, le « Noir » de « Métailié Noir » se justifie surtout par le cycle journalier de cette région septentrionale où la durée des jours d’hiver est réduite à sa plus restreinte expression !
C’est avec un plaisir toujours aussi impatient et intense que je suis monté derrière Klemet, sur le siège de sa motoneige (même si je préfère le traîneau à chiens…) pour parcourir avec lui les paysages enneigés de cette région assez spectaculaire où les Samis, depuis des générations et des générations ont suivi les migrations de leurs rennes sans se préoccuper d’autre chose que de l’instinct de leurs bêtes à se diriger avec un flair immémorial vers les meilleurs pâturages !
Aujourd’hui contraints par des frontières, par des politiques d’assimilation et de sédentarisation contre lesquelles quelques vaines tentatives ne parviennent toujours pas à faire reconnaître ces us ancestraux, les Samis sont peu à peu dépossédés de leurs migrations et, certainement, d’une partie de leur culture.
Olivier Truc, profitant du tracé d’un fleuve qui ressemble à la ligne de friction de deux plaques tectoniques, nous propose une histoire qui lui permet de nous plonger dans les problèmes du quotidien de ces éleveurs dont le mode de vie est, tous les jours un peu plus, mis à mal par des lois et des régimes politiques qui ignorent la nature (laquelle les ignore bien en retour !).
Au détour d’une piste blanchie, par une nuit blafarde ou dans une forêt sombre et profonde, il évoque les dégâts provoqués par la corruption dans les territoires russes où les mafias de toutes sortes et de toutes envergures poussent leurs billes à contresens de toutes préoccupations autres que leurs intérêts et manigances. Alors que la rigidité administrative, particulièrement lorsqu’elle se frotte à l’autre bloc par-dessus la frontière, est capable de toutes les raideurs pour décourager toutes les tentatives qui pourraient être soupçonnées de connivence avec celui qui reste l’ennemi.
Et toutes les références historiques qui ponctuent le récit, notamment les terribles combats autour du fleuve Litza où l’armée soviétique a tenu tête à la Wermarcht qui, aidée par l’armée finlandaise, voulait s’emparer du port de Mourmansk, ajoutent à l’ambiance dont on comprend facilement qu’elle puisse, encore aujourd’hui, être tachée de mauvais souvenirs rendant les deux blocs à jamais irréconciliables.
C’est tout cela que ce livre permet d’appréhender alors que l’histoire ne devient jamais un vrai polar avec victime(s) et enquêteur(s), sinon les rennes ! Ceci dit sans aucun regret ni reproche ! Il est passionnant de la première à la dernière page tant il contient d’informations insoupçonnées, tant il conduit le lecteur du passé vers l’avenir (où on découvre que les Chinois sont déjà là, en train de faire leur marché !) sans jamais faiblir ni sur la qualité du récit, ni sur la profondeur des personnages, ni, malgré tout, sur un suspense irréprochable (qui pourrait bien ressembler, un peu, à une légitimation des aspirations transfrontalières des Samis…) !
Voilà ! Super lecture ! J’espère qu’il ne faudra pas attendre encore cinq (longues) années de plus pour pouvoir retrouver la Police des Rennes sur les présentoirs des libraires...
crédit photo Olivier Truc © Peter Knutson
Paru le 11/03/2021
428 pages
Editions Métailié
21,00 €
Paru le 03/10/2016
498 pages
Editions Métailié
21,00 €
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