Érik Orsenna, à la rencontre de Beethoven
N’allez surtout pas imaginer, en achetant ce livre, que vous allez découvrir, pas à pas, la vie de Ludwig Van Beethoven. Non. D’ailleurs, ce n’est certainement pas ni l’ambition ni la prétention d’Erik Orsenna qui considère occuper « sans légitimité aucune », à l’Académie Française, le siège de Louis Pasteur et d’Émile Littré ! Alors, devenir biographe de Beethoven, quelle gageure ! Et, de fait, il appuie ses propos sur une bibliographie terriblement importante, détaillée dans les « Gratitudes » qui concluent son ouvrage, comme celle de Brigitte et Jean Claude Massin dont il affirme que « les Massin sont des savants, je ne suis qu’un promeneur » !
Voilà ! Ce n’est pas une biographie ! Ce livre est une promenade ! Une promenade (érudite, il va sans dire) qui permet à l’auteur des digressions, des écarts avec la ligne droite du temps qui s’écoule, des réflexions comme seul l’esprit ouvert peut en faire en laissant ses pas le porter et ses sens lui faire goûter à toutes les surprises, toutes les beautés de l’environnement au milieu duquel il déambule.
C’est le parcours d’un admirateur profond qui tente l’approche d’un monstre sacré ayant livré au monde des partitions lumineuses, des moments musicaux d’anthologie, des musiques sublimes qui font la synthèse entre tous ceux qui l’ont précédé et qu’il a pu côtoyer, rencontrer, frôler, rater, admirer, écouter tant que cela lui était possible, puis les compléter, tracer un autre chemin vers des paysages nouveaux, innovants, dans lesquels le futur de la Musique, après lui, s’inscrit indubitablement !
C’est une promenade gaie, enjouée malgré un sujet qui frise la malédiction !
Comment peut-on écrire de tels chefs-d’œuvre alors que les bruits, les sons, les notes se sont tus, alors que c’est seulement au fond du silence qui s’est installé autour de lui que Ludwig parvient à entendre, dans sa tête, les merveilles qu’il consigne par écrit ? Point de possibilité de contrôler, sur un pianoforte, l’harmonie de son écriture : du pur génie !
Un génie qui ne déploie jamais autant de grandeur musicale, qui ne crée jamais de plus grand chef d’œuvre que lorsque la vie lui assène quelque trouble, quelque malheur ! En quatrième de couverture, il est écrit : « À tous les coups qui le frappent, Beethoven réplique par un chef-d’œuvre ! »
Symphonies, sonates, concerti…. Tout cela résonne à mes oreilles qui sont certainement nées à la musique de Beethoven l’année du bicentenaire de sa naissance. Pom-pom-pom-pom ! Quatre petites, simples, ridicules notes de musique qui lancent une épopée qui me fait glisser dans la narration d’Erik Orsenna avec une délectation infinie !
Ce qu’il écrit, c’est ce que je ressens quand j’écoute mes disques ! Les interrogations qu’il pose rejoignent mes propres questionnements notamment quand il explique que « Darwin avait du mal à intégrer la musique dans son schéma d’explication de l’évolution par la sélection naturelle. Quel avantage pouvait bien être associé à l’aptitude à produire des mélodies ou à les apprécier ? » Comment la musique, Sa musique, cette Musique dont on prétend généralement qu’elle adoucit les mœurs, n’a pas réussi à nous rendre meilleurs ?
Pourquoi l’idée de Fraternité, que Bonaparte a pu, un court instant (avant de devenir Napoléon), incarner au point d’être le dédicataire de la Troisième Symphonie (qui devint l’« Héroïque » moins associée à ces « gouvernants [... gonflés] d’orgueil et d’avidité »), ne peut-elle être que source de déception pour cause de « mesquinerie des hommes » ?
Une idée de Fraternité qui va poursuivre Beethoven jusque dans l’écriture de la Neuvième et la mise en musique de L'Hymne à la Joie de Schiller !
Je l’ai entendue, cette Neuvième, dans la cathédrale de Chartres dont toute la nef était enflammée par le bleu des vitraux magnifié par un soleil couchant de fin de printemps : une merveille ! Des dizaines d’années plus tard, je la vis encore !
Alors que je ne suis qu’un petit « musicaillon » à peine amateur, je l’ai seulement « entendue » car, comme Erik Orsenna l’affirme, je confirme que « les hommes ne naissent pas égaux en droits. Certains ont l’ouïe qu’il faut absolue, d’autres se contentent d’entendre » ! Et ce que j’ai entendu, ce jour-là, est déjà tellement beau, tellement aérien, que je n’arrive pas à imaginer ce que peut percevoir celui qui a cette fameuse « oreille absolue »... Tout un monde que Ludwig avait dans sa tête ! Même plus dans ses oreilles !
Mais Beethoven n’est pas seulement ce monstre sacré des Symphonies. C’est aussi le père de partitions bien moins titanesques et pourtant tout aussi fabuleuses. C’est grâce à Catherine Mavrikakis (dans La ballade d’Ali Baba paru en 2014 chez Sabine Wespieser Éditeur) que j’ai découvert les « Équales pour Trombones » qui n’ont pas, non plus, échappé à Erik Orsenna dont la promenade, si elle est dilettante, n’en est pas moins extrêmement exhaustive !
Qui aime la musique de Ludwig Van Beethoven ne peut pas rester de marbre devant la passion que, dans son livre, Erik Orsenna dévoile avec la timidité de celui qui approche avec crainte et vénération du plaisir absolu ! Une passion qui s’écoule en mots choisis et qui se lit, qui se dévore, sans retenue.
Alors, si je peux me permettre un conseil de lecture complémentaire, je vous suggère aussi la lecture, éventuellement à partager avec des enfants, de l’immense bande dessinée de Mikaël Roos, Ludwig et Beethoven, récemment parue chez Dargaud, qui réussit le miracle de faire entendre la musique de Beethoven au travers de dessins merveilleux !
Deux expressions pour une même passion que résume cette citation de Victor Hugo qu’Erik Orsenna reprend : « Il semble qu’on voie un dieu aveugle créer des soleils. »
La Passion de la fraternité. Beethoven
Paru le 21/04/2021
246 pages
Stock
19,50 €
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