BIOGRAPHIE - « Longtemps j’ai repoussé cette idée que le 8 juillet pourrait être un anniversaire, et maintenant je commence à m’y résigner. » Laure Moulin, 1946.
Thomas Rabino, historien et journaliste, publie chez Perrin une biographie qui fera date et qui met en lumière l’action méconnue, bien que primordiale, de Laure Moulin comme fille de, comme sœur de, comme enseignante, comme résistante, comme enquêtrice, comme mémorialiste !
Les causes de la mort de Jean Moulin sont connues, assassiné par les nazis, mais il semble plus difficile de nommer la personne qui l’a trahi au sein de la Résistance. Laure Moulin, elle, ne se posera pas de questions politiques, elle le nommera et l’attaquera à deux reprises : pour elle, comme pour notre historien, qui ne semble pas avoir beaucoup de doutes non plus, le coupable est tout désigné et s’appelle René Hardy. Ce livre nous révèle qu’en fait les coupables sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense et beaucoup le sont simplement pour n’avoir rien dit pour des raisons idéologiques et politiques. Mais ces considérations n’arrêtèrent pas Laure. Rien n’aurait su l’arrêter !
Née le 3 décembre 1892 à Saint-Andiol en Provence, elle est issue de la petite bourgeoisie. Son père, Antonin, est un fervent républicain, engagé dans la ligue des droits de l’homme qui vient de se créer et « un des fondateurs et animateurs de la Société d’éducation populaire qui, par des conférences publiques et des cours d’adultes, répandait le savoir dans tous les milieux ». Cours dispensés le soir et bénévolement. Il sera un exemple pour ses enfants. La mère de Laure, Blanche, est une femme de tête « affectueusement appelée "la patronne" par son mari. » Elle a un grand frère, Joseph mais celui-ci meurt à l’âge de 18 ans, en 1907, d’une péritonite et un cadet, Jean, né le 20 juin 1899 à Béziers.
Bonne élève, elle obtient son brevet élémentaire en 1908 et son brevet d’études supérieures en 1910, ce qui lui permettrait d’enseigner comme enseignante adjointe. Mais Laure ne compte pas s’arrêter en si bonne voie et souhaite continuer ses études. Elle entre à l’université, soutenue par ses parents. Elle devient ainsi professeur d’anglais et de lettres sans avoir bien conscience que « malgré l’égalitarisme qui prévaut chez les Moulin, le cursus embrassé par Laure obéit à des normes sociales orientant les femmes vers l’étude des langues plutôt que vers le droit ou les sciences. »
Elle est devenue une jeune femme charmante mais à l’heure où il devrait être question de son mariage la Première Guerre mondiale éclate. Les potentiels prétendants se retrouvent au front et les études sont mises quelque temps en « stand-by » ; elle devient « infirmière bénévole au sein de la Croix-Rouge, comme 68 000 autres femmes formant une véritable "quatrième armée". »
Dès 1915, elle reprend les cours et s’embarque pour un mois pour Londres à la fin 1916. Traversée de tous les dangers car les Allemands n’hésitaient pas à couler les bateaux de croisière. Une fois sur place elle prend des cours pour améliorer son anglais avant de revenir fin janvier 1917 et de reprendre sa blouse d’infirmière.
Pendant ce temps, son jeune frère Jean a passé son baccalauréat et entre au service du préfet de l’Hérault qui cherchait justement un attaché au cabinet. Jean touchera 100 francs par mois ce qui aidera au paiement de ses études de droit. Le 17 avril 1918, il est incorporé au 2e régiment du génie, ce qui génère un stress familial bien compréhensible.
« Le 1er octobre 1918, Laure est officiellement membre du corps enseignant de l’Instruction publique », elle donne son premier cours, à Béziers, à des jeunes filles de 6e le 8 octobre, et le 11 novembre l’armistice est signé. Jean va pouvoir rentrer chez des parents bien heureux de récupérer leur garçon en un seul morceau. Il ne restera pas longtemps dans le giron familial et prend la direction de Montpellier où il reprend « ses études de droit et ses fonctions à la préfecture, où on le promeut trois jours plus tard chef adjoint du cabinet du préfet ».
Le 6 février 1922, Jean est muté à Chambéry s’éloignant encore un peu plus de sa famille et laissant à Laure le soin de veiller sur leurs parents. Ce qui n’empêche pas cette dernière de s’adonner à l’une de ses passions, les voyages. C’est à l’été 1925 qu’elle tombe amoureuse de l’Italie où elle retournera de nombreuses fois. « On pourrait s’étonner qu’une professeure si républicaine décide de passer ses vacances dans un pays devenu fasciste en 1922, lors de la prise de pouvoir de Mussolini. Mais passionnée d’histoire et latiniste, Laure fait abstraction du totalitarisme des "chemises noires". »
Les années passent et Laure se consacre à son métier, s’occupe de ses parents et correspond avec son frère. Personne dans les proches de la famille n’ignore la position importante que commence à avoir Jean et les demandes d’aides se font de plus en plus courantes : « Laure est devenue l’élément clé de ce système d’assistance familial. Secrétaire qui ne dit pas son nom, elle sélectionne, transmet et appuie les demandes variées qui lui parviennent, de plus en plus nombreuses. »
Fin août 1937, Laure est promue à l’École supérieure de jeunes filles de … Montpellier. Cette promotion récompense vingt ans de bons et loyaux services mais cela signifie aussi qu’il va falloir déménager. Elle décide, contre l’avis de son frère, d’emmener ses parents avec elle, mais Antonin ne connaîtra pas beaucoup cette nouvelle vie. Le déménagement a lieu le 6 février 1938, et le père de Laure et de Jean décède le 19 avril. Laure prend alors sa mère sous son aile et Jean est nommé préfet de Rodez à l’été 38, ce qui le rapproche un peu.
Mais très vite ils vont de nouveau être séparés …
Jean, préfet d’Eure-et-Loir depuis le 21 janvier 1939, est désormais à Chartres. S’ils correspondent toujours, Jean se garde bien de tout dire pour ne pas inquiéter sa famille. Le 17 juin, le maréchal Pétain annonce la fin des combats. Stupeur ! En outre, voici quelques jours que Laure n’a plus de nouvelles de son frère. C’est lui-même, plus tard, qui racontera brièvement à sa sœur ce qui s’est passé le 16 juin. Les Allemands lui ont demandé de signer un document officiel désignant les soldats noirs de l’armée française. Jean refuse. « Injurié, molesté, tabassé, torturé pendant six heures », le préfet ne dira rien. Jeté en cellule, il essaie de se trancher la gorge, sauvé in extremis il gardera une cicatrice bien reconnaissable…
Les supérieurs nazis n’ont d’autre choix que de condamner l’attitude des officiers tortionnaires de Jean ; en effet la propagande allemande essaie de convaincre le peuple français de leur faire confiance, si une histoire comme celle-là s’ébruitait, ça ferait tache …
Le 2 septembre 1939 sonne le début de la Seconde Guerre mondiale qui n’en a pas encore le nom. Laure et sa mère se sentent en relative sécurité dans le Sud mais tout évolue très vite et le 2 mai 40, Jean est mobilisable. Le 10 mai le front de l’Est est balayé par les blindés nazis et la Luftwaffer, c’est la « guerre-éclair ».
Le frère et la sœur ne s’écrivent plus qu’en usant d’allusions et de métaphores pour n’être compris de personne d’autre. Laure continue à enseigner même si sous le régime de Pétain cela n’est pas aisé. « Autour [d’elle], tout un monde s’écroule. Des collègues sont congédiés parce que juifs ou francs-maçons. Elle-même aurait subi le même sort si elle avait été mariée, en vertu de la loi du 11 octobre 1940 visant à expulser les femmes du monde du travail. » Mais elle continue coûte que coûte, même si l’anglais est maintenant la langue des perfides, même si de nombreux livres sont écartés du programme et, ici, Thomas Rabino a bien raison de nous rappeler que tous les enseignants n'ont pu être remplacés, faute de personnel. "Ces vieux temples du républicanisme apparaissent comme un havre préservé des assauts idéologiques du régime". »
[Premières pages] Thomas Rabino – Laure Moulin, Résistante et soeur de héros
Laure a également réussi à convaincre son frère de rejoindre Londres pour poursuivre le combat comme l’a demandé le général de Gaulle dans son désormais célèbre « Appel du 18 juin ». Son petit frère a bien changé, lui avant si souriant a l’air bien grave. Il se montre très méfiant et passe par la porte de service de l’appartement de Laure plutôt que par la porte principale. Il se procure de faux papiers et au fil de ses déplacements commence à tisser un réseau afin de combattre dans l’ombre le régime nazi.
En janvier 1942, il demande à sa sœur de cacher des documents « ultrasensibles », elle les glisse sous la tapisserie. Elle apprend aussi qu’il se fait appeler Rex ou Max et qu’il « est devenu un personnage-clé de la lutte clandestine ». Laure sera dorénavant chargée de coder et de décoder les messages, il n’a entièrement confiance qu’en elle. Elle devient sa secrétaire particulière : « J’ai servi de secrétaire et de courrier à mon frère Jean Moulin (Rex-Max), chef de la Résistance intérieure française, de novembre 1940 à juillet 1943 » … de novembre 1940, jusqu’à sa mort …
Pour autant le travail de Laure ne s’arrêtera pas là. Malgré le doute, puis plus tard malgré la certitude, Laure cherchera à faire éclater la vérité, elle n’aura de cesse de vouloir que justice soit rendue. Laure sera la « gardienne de la mémoire de son frère ». Elle sera de toutes les cérémonies commémoratives, de tous les baptêmes de rues, d’écoles, etc. Quand il est question de faire entrer Jean Moulin au Panthéon, Laure savoure et « les considérations sur l’instrumentation de la mémoire de son frère ne parviennent pas à troubler le consensus ambiant. » Le 19 décembre 1964, le frère de Laure Moulin entre au Panthéon, André Malraux n’oubliera pas cette sœur si importante dans son discours.
Un dernier travail attend Laure, écrire la biographie de son frère. Tâche nécessaire mais douloureuse ; Laure n’a plus vingt ans mais « après plus de trois ans de travail, le livre paraît le 27 mai 1969 » chez Gallimard. C’est un succès immédiat !
La biographie de Laure Moulin par Thomas Rabino, grâce à son formidable travail d’historien, est un livre qu’il faut lire pour découvrir la vie de cette femme de l’ombre qui remua ciel et terre pour rendre justice à son frère.
Un livre qu’il faut lire et un livre qu’il faut faire lire … il se pourrait que ça puisse servir.
Thomas Rabino – Laure Moulin, Résistante et soeur de héros – éditions Perrin – 9782262047801 – 22 €
Par Audrey Le Roy
Contact : aleroy94@gmail.com
Paru le 07/01/2021
320 pages
Librairie Académique Perrin
22,00 €
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