Ce dimanche 15 novembre, a lieu la Journée de l’Écrivain Emprisonné 2020, célébrée par les membres du PEN International à travers le monde. Malgré la pandémie et l’adversité, pendant les douze derniers mois, le Comité pour la Défense des Écrivains persécutés et emprisonnés du Centre PEN Suisse Romand continue à soutenir PEN International dans ses campagnes pour défendre la liberté d’expression et pour aider les écrivains et journalistes à risque ou en danger.
par Nguyên Hoàng Bao Viêt
Président du Centre PEN Suisse Romand.
La liberté d’expression ne connaît pas de frontières, mais, aujourd’hui, elle est en grand danger. Ici, écrire est un acte si simple. Mais, dans de nombreux pays, les auteurs risquent d’être accusés d’espionnage ou considérés comme des ennemis publics pour avoir le courage d’exprimer leurs idées, dénoncer la corruption, protester contre l’injustice, s’opposer à la destruction de l’environnement, ou condamner les violations des droits de l’homme et du citoyen.
Pour défendre la liberté d’expression et promouvoir la littérature sans frontières, il n’y a pas d’indignation sélective face aux conditions dégradantes des droits de l’homme. C’est la raison pour laquelle depuis janvier 2020, notre comité a traité plus de 85 cas ou sujets de préoccupation concernant plus de 40 États à travers le monde (Turquie, Iran, Égypte, Chine — Hong Kong — Tibet – Xinjiang des Ouïghours, Biélorussie, Mexique, Viet Nam, Inde, Russie, Cuba, Azerbaïdjan, Nicaragua, Ouganda, Kirghizistan, Soudan, Brésil, France, Royaume-Uni, Myanmar, Érythrée, Togo, Slovaquie, Nigeria, Honduras, Grèce, Canada, Australie, États africains, Sri Lanka, Haïti, Liban, Serbie, Chili, Burundi, Bahreïn, Singapour, Thaïlande, Philippines, Malaisie, Royaume-Uni, Yémen, Moyen-Orient, Afrique du Nord, etc.).
La pandémie n’a pas empêché l’intolérance, la discrimination, la haine et la répression de sévir. Non exhaustive est la liste des cas d’écrivains, de journalistes, de traducteurs, d’éditeurs, d’artistes, d’auteurs-compositeurs, de blogueurs et de défenseurs des droits humains et environnementaux, menacés de harcèlement, d’arrestation, de torture et même de mort. Partout, la plume et le crayon continuent d’être confisqués ou brisés. Dessins, chansons, poèmes sont des cibles visées par le pouvoir politique arbitraire, le fanatisme et l’intolérance, la surveillance de la police secrète, les grands crimes organisés.
Nous partageons aussi le souci de PEN International d’assurer la sécurité des auteurs contre des lois liberticides, relatives à la diffamation et aux insultes, ainsi que de la surveillance de masse et son effet paralysant sur la liberté d’expression et la liberté de la presse dans certains pays. Outre la Turquie, la République Populaire de Chine et la République Socialiste du Viet Nam sont réputées pour de longues peines d’emprisonnement et de détention préventive excessive.
Ces deux derniers États ne peuvent plus cacher leurs prisons et camps de travail forcé bondés de prisonniers des droits humains. Les attaques et les meurtres d’écrivains et journalistes demeurent souvent impunis, notamment au Mexique, en Amérique latine. Les morts en prison, en Turquie, en Égypte, au Kirghizistan, au Viet Nam communiste parmi d’autres.
Célébrant la Journée de l’Écrivain Emprisonné 2020, le Comité pour la Défense des Écrivains persécutés et emprisonnés du Centre PEN Suisse romand rend hommage aux écrivains et journalistes et aux défenseurs des droits humains morts en prison, assassinés ou disparus sur leurs chemins de l’exil. Ensemble, nous condamnons ces crimes et dénonçons l’impunité de leurs assassins. Ensemble, nous citons certains noms connus parmi de nombreuses victimes pour exemple :
Ebru Timtik, avocate des droits humains et dissidente turque (42 ans) s’est éteinte solitaire en prison après 238 jours d’une grève de la faim qu’elle observait en prison pour réclamer un procès équitable. Elle pesait 30 kg au moment de son décès, selon ses proches. Elle a été condamnée l’an dernier à plus de 13 ans de prison pour « appartenance à une organisation terroriste ».
Hanane Al-Barassi, avocate défenseuse des droits des femmes et dissidente libyenne (46 ans), a été assassinée le mardi 10 novembre 2020 en pleine rue à Benghazi, en Libye. La veille de son assassinat, elle avait déclaré sur les réseaux sociaux qu’elle allait poster une vidéo exposant « une affaire de corruption » ayant des liens avec des pouvoirs du pays.
Farah-Martine Lhérisson Lamothe, une des étoiles de la poésie contemporaine haïtienne (49 ans) s’est éteinte dans son pays la nuit du 15 juin 2020. Femme poète, professeur de littérature et directrice de l’école, Farah-Martine Lhérisson Lamothe a été assassinée dans sa résidence en Haïti. Deux de ses proches ont été également tués.
María Elena Ferral Martínez, journaliste vénézuélienne, a été assassinée le lundi 30 mars 2020 à Papantla, dans l’État de Veracruz, au Mexique. Avant sa mort, María Elena Ferral Martínez s’occupait de couvrir les mouvements sociaux de la région autochtone de Totonacapan.
Jorge Miguel Armenta Ávalos, journaliste mexicain et fondateur et directeur du quotidien local Medios Obson El Tiempo, a été abattu par balles le samedi 16 mai 2020 à Ciudad Obregon, dans l’Etat de Sonora, au Mexique.
Victor Fernando « Apontito » Alvarez Chávez a disparu le 2 avril 2020. Le 8 avril, sa tête a été retrouvée dans le quartier d’Acapulco, à Renaissance City, au Mexique. Alvarez était le rédacteur en chef de Punto x Punto, un site d’information dans le Guerrero. Auteur de plusieurs articles sur la violence des cartels à Acapulco, il avait reçu des menaces de mort de la part de membres du crime organisé, avant sa disparition.
Shady Habash, réalisateur et dissident égyptien (24 ans), est décédé dans la prison de Tora, au Caire, en Égypte. Incarcéré presque 800 jours sans jugement, il serait mort dans la solitude glaciale et le silence absolu. Son crime : avoir réalisé le clip d’une chanson critiquant le président de l’État. C’était la chanson « ’Balaha »’ interprétée par l’artiste rock Rami Issam.
Abdel Wahab Yousif, mieux connu sous le nom de Latinos, poète soudanais (30 ans), est décédé lorsqu’un bateau pneumatique rempli d’immigrants a sombré dans la mer peu de temps après avoir quitté la Libye pour se rendre en Europe.
Azimjon Askarov, journaliste et défenseur kirghize des droits humains (69 ans), est décédé en prison en Kirghizistan le 25 juillet 2020. Arrêté en juin 2010 et condamné à une peine de prison à vie au terme d’une parodie de procès. Des allégations de torture en détention selon le Comité des Droits de l’Homme en 2016. Les autorités kirghizes ont refusé de libérer Azimjon Askarov pour des raisons médicales et humanitaires, malgré ses problèmes cardiaques et respiratoires et les risques posés par la pandémie Covid-19.
Dao Quang Thuc, enseignant vietnamien et défenseur des droits humains (60 ans), arrêté en 2017, condamné en 2018 à 13 ans de prison, est décédé « des suites d’hémorragie cérébrale et d’infection pulmonaire » le 10 décembre 2019 dans un des camps de travail forcé de la République Socialiste du Viet Nam (communiste).
Doan Dinh Nam, religieux bouddhiste vietnamien et défenseur des droits humains (68 ans), arrêté en 2012 et condamné en 2013 à 16 ans de prison, est mort le 5 octobre 2019 « d’une insuffisance rénale » dans un des camps de travail forcé de la République Socialiste du Viet Nam (communiste).
Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie français (47 ans), a été assassiné le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine, près de Paris, en France. L’enseignant a été tué pour avoir défendu la liberté d’expression et d’opinion.
Ensemble, nous demandons aux autorités d’États concernés de relâcher immédiatement et sans condition tous les gens de plume, éditeurs, traducteurs, professionnels des médias indépendants et défenseurs des droits humains actuellement en prison, en détention préventive ou probatoire pour avoir pacifiquement exercé leur droit à la liberté d’expression et d’opinion. Parmi les personnes mentionnées ci-dessus, nous exprimons notre solidarité et notre soutien à six cas majeurs suivants :
– Pham Doan Trang (République Socialiste du Viet Nam), écrivaine et éditrice indépendante, 42 ans, pourchassée comme une criminelle, refusant l’exil, a été contrainte de vivre dans la clandestinité. Arrêtée pendant la nuit du 6 octobre 2020, mise en prison sans avoir le droit d’accès à la défense légale, Pham Doan Trang sera inculpée pour « propagande contre l’État socialiste ». Si elle est reconnue coupable, elle encourt une peine maximale de 20 ans de prison. Pham Doan Trang était cofondatrice et rédactrice de la Revue dissidente Luat Khoa Tap Chi (Journal du Droit) et le site d’information indépendante The Vietnamese. Elle était également connue comme l’auteure et coéditrice de la Maison d’Edition Libérale bannie par les autorités communistes.
– Chimengul Awut (Xinjiang/République populaire de Chine), femme poète, traductrice et éditrice ouïghoure primée. Œuvre poétique importante. En juillet 2018, elle a été envoyée dans un camp de « rééducation » au Xinjiang. Sans inculpation ni jugement, aucune date de libération connue, aucun contact avec le monde extérieur autorisé. On ignore son état de santé et son bien-être, surtout en ce temps de pandémie.
– Sedigheh Vasmaghi (Iran), femme poète, théologienne, écrivaine et défenseuse des droits des femmes. Ses livres sont interdits. En août 2020, elle a été condamnée à un an de prison pour avoir signé une pétition critiquant la brutalité policière. Cette peine a été ajoutée à une autre de 5 ans avec sursis en 2017. Elle est restée libre sous caution jusqu’en octobre 2020, date à laquelle sa peine a été confirmée. Elle devra entrer en prison.
– Paola Ugaz (Pérou), journaliste d’investigation, rédactrice et écrivaine péruvienne. Elle est victime d’une campagne de harcèlement judiciaire, de menaces et de poursuites pour diffamation en raison de ses enquêtes sur des actes de corruption et des abus physiques, psychologiques et sexuels commis au sein d’une organisation religieuse péruvienne, sur laquelle elle enquête depuis 2010. Le 12 novembre 2020, un juge décidera si un procès doit être entamé. Si elle est reconnue coupable, Paola Ugaz pourrait être condamnée à une peine de trois ans de prison et à de lourdes amendes financières.
– Osman Kavala (Turquie), éditeur, philanthrope et défenseur des droits culturels et civils. Il travaille pour la paix et le respect des droits humains et des valeurs démocratiques en Turquie. Incarcéré le 18 octobre 2017, il encourt une très lourde peine de prison, voire la réclusion à perpétuité.
– Kakwenza Rukirabashaija (Ouganda), romancier et journaliste. À cause de ses romans et publications traitant le thème de la corruption et des violences policières, il a été victime d’arrestation, de torture et de détention arbitraire multiple. Arrêté le 18 septembre 2020 et remis en liberté conditionnelle trois jours plus tard, sous caution de la police qui exige qu’il se présente hebdomadairement, pendant une période indéfinie, à l’Unité d’investigation spéciale pour « répondre aux accusations ».
Pour le Comité pour la Défense des Écrivains persécutés et emprisonnés du Centre PEN Suisse Romand
Nguyên Hoàng Bao Viêt
Président du Centre PEN Suisse Romand.
Par Auteur invité
Contact : contact@actualitte.com
3 Commentaires
Mazon
16/11/2020 à 06:50
Pas un mot sur Julien Assange emprisonné en Grande Bretagne et qui risque l’extradition vers les USA pour la prison à vie : « Si Assange est extradé vers les États-Unis, alors aucun journaliste dans le monde n’est à l’abri » : Daniel Ellsberg. Pourquoi ce silence : https://urlz.fr/efEh
Toinou
16/11/2020 à 08:43
Peut-être simplement parce qu'il n'y a pas de silence, parce qu'on en parle régulièrement.
Alors que franchement, combien des noms cités dans l'article connaissiez-vous ? (Moi, franchement, aucun, à part Samuel Paty.) Parfois, il est bon de défendre aussi ceux dont le cas n'a pas été médiatisé car c'est exactement ce que les régimes répressifs cherchent à éviter.
Nguyên Hoàng Bao Viêt CODEP PEN Suisse Romand
16/11/2020 à 08:44
23.2.20
ROYAUME-UNI et OSCE
LE REPRÉSENTANT DE L’OSCE POUR LA LIBERTÉ DES MÉDIAS APPELLE LES AUTORITÉS BRITANNIQUES À NE PAS EXTRADER LE RÉDACTEUR EN CHEF DE WIKILEAKS JULIAN ASSANGE VERS LES ÉTATS-UNIS AVANT L’AUDIENCE DE LUNDI
VIENNE, le 23 février 2020 – Le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, Harlem Désir, a exprimé aujourd’hui sa préoccupation face à l’extradition éventuelle du rédacteur en chef de WikiLeaks Julian Assange, avant son audition le 24 février.
Assange, qui a publié des documents classifiés sur le site WikiLeaks en 2010, comparaîtra lundi devant la Cour de la Couronne de Woolwich, où il risque d’être extradé du Royaume-Uni vers les États-Unis. Il est accusé aux États-Unis de 18 chefs d’accusation, dont celui d’avoir violé la Loi sur l’espionnage en publiant des informations classifiées, et pourrait être condamné à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 175 ans s’il est reconnu coupable.
« J’appelle les autorités britanniques à ne pas extrader Julian Assange lors de l’audience de lundi. Je suis particulièrement préoccupé par les nombreuses accusations portées contre lui et par la peine de prison disproportionnée, jusqu’à 175 ans, qu’il pourrait faire face s’il était extradé et condamné », a déclaré M. Désir. « L’intérêt public de plusieurs publications de WikiLeaks en 2010 devrait être pris en compte, car il a contribué à d’importants rapports d’enquête et à des reportages. Il est essentiel d’examiner l’impact sur la liberté d’expression et la liberté des médias s’il est extradé et condamné. Cela pourrait avoir un effet dissuasif sur le journalisme et la liberté de la presse.
Assange est actuellement détenu à la prison de Belmarsh, à Londres.
Le Représentant continuera de suivre de près l’évolution de l’affaire au cours de la semaine à venir.
Origine : Bureau du Représentant de l’OSCE pour la Liberté des Médias 1010 Vienne, Autriche.
(Publié par Nguyên Hoàng Bao Viêt CODEP PEN Suisse Romand sur Facebook PEN International)