Comment distribuer des livres dans les petits points de vente ? C’est là tout l’enjeu de la fermeture de Livre Diffusion, qui cessera son activité de salle des ventes. Ces espaces dédiés aux libraires pour un approvisionnement rapide se raréfient. Et tout un pan de l’industrie du livre se resserre.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Le Groupement d'Intérêt Général (G.I.E.) Livre Diffusion, réunissant à sa création Gallimard, Flammarion et La Martinière, connaissait des problèmes de rentabilité depuis des années. En 2012, les salles de vente de Nantes et Lyon avaient plié boutique, entraînant une première restructuration de Livre Diffusion.
Si les comptes de 2016 ne sont pas encore communiqués, ceux de 2015 sont sans appel : 9,6 millions € de chiffre d’affaires, mais 940.600 € de pertes. Difficile de soutenir une pareille situation, d’autant plus que l’actionnariat a grandement évolué. Avec le rachat de Flammarion par Gallimard, la holding de ce dernier – Madrigall – assume les deux tiers de la structure. Dans le même temps, la vente de Volumen (La Martinière) à Interforum (Editis), n’incitera pas le groupe à s’investir le moins du monde.
Le site d’Ivry cessera donc son activité de salle des ventes, mais, dans un partenariat avec Interforum, Madrigall parviendra à maintenir sa présence. « Dans la salle d’Interforum, depuis le 1er janvier, nous avons les titres de Seuil et La Martinière », nous explique-t-on. « Le rachat de Volumen a provoqué des remous, alors que ces lieux restent très importants pour les libraires. Mais la concentration de l’édition française ne peut qu’aboutir à ce type de situation. »
Le choix d’Interforum ne doit rien au hasard, explique Franck Ferriere, président de Livre Diffusion, à ActuaLitté : « Dans la région parisienne, trois salles de ventes existent : Hachette, Interforum et Livre Diffusion. » Situées dans le même secteur géographique, il fallait donc pour LD trouver le partenaire idéal.
« Il y a une dimension financière, bien entendu, mais qui n’est pas au cœur de la décision. Interforum travaille en effet avec Madrigall, en commercialisant son catalogue à destination des supermarchés – par l’intermédiaire de sa société DNL. » La relation commerciale déjà établie, et la présence de stocks déjà actée, il suffisait de s’entendre sur la visibilité offerte, la surface, et la volumétrie.
Assez logiquement, le Comité d’Entreprise de Livre Diffusion avait pointé le manque d’engagement des actionnaires, lors de la restructuration prévue en 2012. Aujourd’hui, un plan social présenté en fin de semaine ne peut qu’aboutir aux mêmes conclusions. « La procédure de consultation des instances commence et nous attendons la nomination de l’expert qui va produire une analyse de la situation. La direction a présenté son plan de réorganisation, sans grande surprise : nous savons que c’est une entreprise difficilement rentable, qui perd beaucoup d’argent, et ce depuis des années », assure Martine Prosper, secrétaire générale du syndicat national livre-édition CFDT.
Madrigall ne souhaite plus supporter seul – ou presque –, cette situation. « Depuis la vente de Volumen, on sentait des choses se préciser, même sans avoir d’informations. Aujourd’hui, La Martinière est toujours engagée dans le GIE, mais c’est une évidence, son départ a accéléré les décisions », poursuit-elle.
Sans recapitalisation ni investissement au cours des années passées, impossible de reprendre en main correctement Livre Diffusion. Mais le fait est qu’en rachetant Flammarion, Gallimard disposait, en plus de la SODIS, d’une autre structure de distribution et de diffusion efficaces, Union Diffusion. Les efforts et les investissements se sont donc logiquement portés sur ces deux entreprises – avec un repli concernant Livre Diffusion.
Moralité, il est décidé de céder les activités déficitaires, pour se recentrer sur la diffusion de livres pour les points de vente de 3e niveau. « Dans la réorganisation globale qui a eu cours depuis Flammarion, et face aux autres grands groupes, le petit GIE ne trouvait plus vraiment sa place », nous assure un observateur.
À ce jour, LD emploie 40 salariés, et 28 d’entre eux seront concernés par le plan social. Pour les douze restantes, l’équipe de diffusion, pas de changement. Les salariés sédentaires partiraient vraisemblablement vers les locaux de Flammarion, dans le XIIIe arrondissement. Un changement de lieu de travail, en somme.
Pour les autres, plusieurs options sont ouvertes. « Les élus feront tout pour éviter les départs », poursuit Martine Prosper. « Il n’y a pas de doute sur le fait que Madrigall mettra en œuvre une politique de reclassement efficace, afin que le plan social se déroule dans les meilleures conditions. » Et de son côté, la CFDT entend accompagner les salariés au mieux pour favoriser les retours à l’emploi rapidement, ou les formations.
Dans le cadre de la reprise de l’activité salle des ventes, il semble que deux salariés au moins de LD seraient amenés à rejoindre Interforum. Cinq autres pourraient alors chez Team Distribution, société de transport connue dans le secteur du livre, qui travaille depuis longtemps avec des groupes éditoriaux. Il s’agit donc de lui confier l’activité de mise à disposition des colis – l’entreprise est également située à Ivry. Les offres d’emploi du groupe Madrigall pour la distribution ont été gelées.
« Nous avons tout à fait les moyens d’éviter les licenciements », estime Martine Prosper. En tant que présidente de la CPNE (la Commission Paritaire Nationale de l’Emploi) pour la branche édition, elle propose, selon les modalités légales, d’alerter l’ensemble des acteurs de la branche. « Nous allons réaliser une saisine pour alerter l’ensemble des acteurs de la branche – Hachette, Inteforum, bien sûr, mais également Delcourt, Média Participation, Albin Michel et les autres. Il s’agit de faire passer les CV de toutes les personnes, et demander un effort de mobilisation dans la branche pour éviter justement de licencier. » Une manière d’obliger les entreprises à être solidaires qui a pu faire ses preuves.
Entrepôt de la Sodis - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Reste alors le projet de recentrage, présenté le 13 janvier par la direction. Franck Ferriere, actuel président, expliquait dans un communiqué que la mise à disposition des colis et la salle des ventes « seraient confiées à d’autres acteurs du secteur ». En revanche, Livre Diffusion conservera son activité de diffusion auprès des petits points de vente – les librairies dites de 3e niveau. En effet, l’activité dans ce secteur «connaît en revanche une progression régulière, ce qui milite pour son maintien et son renforcement ».
On résume assez facilement le 3e niveau en le rapprochant de ce que peuvent être les Maisons de la presse. Autrement dit, des lieux où la vente de livres reste minoritaire. Dans les faits, la classification s’opère autrement : la segmentation est opérée par les diffuseurs, qui attribuent un certain nombre de représentants en fonction des niveaux.
Pour les librairies de 1er niveau, plusieurs représentants – venus détailler les nouveautés en amont – peuvent intervenir, pour un catalogue spécifique d’éditeur. Cela inclut autant les librairies indépendantes que les grandes surfaces culturelles. Le deuxième niveau fera intervenir un représentant pour l’ensemble d’un catalogue de distributeur. Le 3e niveau sera en revanche visité par un représentant qui exposera l’intégralité du catalogue existant.
Le 3e niveau vend ainsi essentiellement des best-sellers, avec une offre peu diversifiée – les meilleures ventes suffisent à son fonds de commerce. Pour autant, leur rôle n’en est pas moins essentiel, pour assurer la présence du livre dans des zones qui en seraient totalement privées sans eux – ou uniquement fournies par la vente en ligne. Pour plus de détails, on pourra se réferer à l’étude du CRLL Nord Pas-de-Calais, sur les librairies, presse et papeteries, très complète.
« La librairie de 3e niveau, ce sont des points de vente qui sont les plus délaissés. Les gros distributeurs se préoccupent des 80 % que forment les vendeurs importants, et, finalement, on abandonne les autres. Sans parler d’une mission d’intérêt public – encore que... –, il faut garder à l’esprit que le livre est un marché d’offre, pas de demande. Si l’on n’a pas accès aux livres, alors logiquement, on en achète pas, ou moins », souligne un grossiste.
Développer les relations commerciales avec les librairies de 3e niveau sera un enjeu d’envergure. « Nous avons créé ce service voilà dix ans, en partant de rien. Aujourd’hui, les relations commerciales avec ces établissements représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires de Livre Diffusion, en constante progression au fil des années », indique Franck Ferriere.
Les deux autres activités ont alors enregistré des pertes, quand la diffusion/distribution pour le 3e niveau, dans toute la France, prenait de l’ampleur. Sans parvenir à compenser. « Elle sera maintenant assurée par Sodis et UD, les représentants resteront et conserveront le catalogue de Madrigall. »
Les librairies de niveau 3 « correspondent surtout à une clientèle qui ne peut pas bénéficier de la même diffusion. On parle de petits points de vente, qui n’ont ni la capacité ni le temps de recevoir d’importants catalogues. Et dans le même temps, les équipes de diffusion principales ne pourraient pas les visiter, parce que ce ne serait pas rentable ».
Car ce que le cas de Livre Diffusion pointe, c’est bien le devenir de ces petits commerces – autant que l’approvisionnement. Et dans le même temps, la concurrence forte des groupes sur le secteur de la distribution.
« Ce n’est pas le sens de l’histoire, et pourtant, il n’y aurait pas d’autre avenir que de disposer de salles de vente multimarque, dans cinq grandes régions. Il n’y a aujourd’hui plus de place pour une salle monomarque – dans le sens où elle ne présente que l’offre d’un seul distributeur », analyse un libraire. « Pour rendre vraiment un service de qualité à la distribution du livre, l’alternative serait de créer plusieurs véritables espaces multidistributeur. »
Or, que ce soit à Paris ou en province, les distributeurs ont fermé leurs salles de vente – le mouvement est à la rationalisation des coûts. « C’est assez dommage, parce que les salles sont une opportunité pour l’approvisionnement des librairies de province notamment. Si l’on met en perspective ces 20 dernières années, avec l’arrivée notamment d’Amazon, les notions de disponibilités et de temps sont devenues fondamentales. »
C’est au cours de cette même période que les grossistes indépendants ou intégrés aux distributeurs ont été mis à mal. Ils étaient une vingtaine, disposant de dépôts régionaux. Mais avec la centralisation de la distribution, de gros entrepôts, performants, ont été construits, avec pour conséquence de rendre les grossistes moins utiles.
« Désormais, les gros centres de distributions peuvent fournir en 48 heures. La mise à disposition des colis en salle des ventes servait avant tout à réapprovisionner les librairies dans les périodes de fin d’année. Aujourd’hui, cela ne se justifie plus pour Livre Diffusion », expliquent différents acteurs.
La procédure concernant Livre Diffusion devrait durer deux mois, et se conclure vraisemblablement autour du 18 mars. Le plan semble conçu avec intelligence : essayer d’un côté de préserver l’intégralité de l’activité diffusion, tout en déportant de l’autre les deux activités de distribution sur des structures en mesure de les gérer.
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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