#RentreeLitteraire23 - Une autre belle plume de droite qui naquit auprès de Léo Scheer, avec un nom qui est une attraction en soi, Louis-Henri de La Rochefoucauld. Ce patronyme fut même un thème exclusif quand en 2013, le jeune et noble auteur de Révolution française, était invité en binôme avec l’excentrique convenu Gonzague Saint-Bris, dans l’émission de l’actuel édité chez Léo Scheer, Éric Naulleau, et l’enfant « angoissé existentiel » (dixit le même Naulleau), Éric Zemmour…
Le 17/08/2023 à 10:30 par Hocine Bouhadjera
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17/08/2023 à 10:30
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10 ans plus tard, une 10e oeuvre de la maîtrise, sur le sujet historique du roman français : la perte de l’innocence dans cet univers où se côtoient les enfants gâtés de la grande ville et les zinzins de la province montés dans « l’immense arène de Paris ». Louis-Henri de La Rochefoucauld n’est plus cette attraction folklorique pour lecteurs de Chateaubriand…
Il y a deux personnages principaux dans Les Petits Farceurs. L’auteur se cache, avec pas moins qu’un masque vénitien, dans le narrateur Henri d’Estissac, et sa projection idéale est l’autre : un nouveau suicidé de la société parisienne après Lucien de Rubempré, Paul Beuvron. Le Parisien d’Estissac raconte l’histoire de son ami, à partir de ses carnets, brouillons, sa correspondance et un journal intime.
Henri est un littéraire dilettante bien né, timide, un peu alangui de toutes les batailles que ses ascendants n’ont pu mener. Paul un brillant beau jeune homme qui ne sort pas de l’Angoulême de Lucien, mais du Grenoble de Stendhal. Kif-kif romantisme et littérature. La position du 5e art n’est plus la même qu’au XIXe siècle de Balzac et de ses médiocres harceleurs, mais il en reste, qui s’attache à une idée de la littérature comme rédemption de l’existant. Henri échoue aux concours des grandes écoles, il sera journaliste. Le second entre à Normale Sup et termine premier à l’agrégation de lettres modernes.
« Elle m’a raconté que Paul ne vivait que pour la lecture, ne rêvait que de Paris. Balzac avait été l’une des passions de son adolescence. Sa mère lui avait offert les Illusions perdues dans une très belle édition – ce livre deviendrait son roman favori. (...) Il était obsédé comme moi par la topographie, les cartes, les lieux de mémoire, les immeubles disparus et l’idée qu’on s’en fait, les plaques, les fantômes. »
Le magazine à d’Estissac, c’est Avantgarde : « C’était un mélange inouï entre les derniers numéros des Cahiers de la Quinzaine, La NRF de l’entre-deux-guerres et le Rock & Folk des années 1970, le tout avec une direction artistique digne des meilleurs titres de la presse anglo-saxonne. » Loin du ronron du Magazine Lire donc, dont l’auteur est un des acteurs principaux… Une conduite vintage à l’Avantgarde : « Pas de diplôme, une pensée foutraque, aucune suite dans les idées : c’est le profil idéal, je t’embauche ! »
L’une des têtes du média littéraire fictif donne le maître sujet de cet ouvrage de lecteur passionné des grands écrivains : « La majorité de nos semblables hantent le milieu culturel plus qu’ils ne sont habités par l’art. » Paul Beuvron lui y croit dur comme fer : il le faut pour refaire tout le Roman national à 20 ans. Une première œuvre épaisse, où, tel un Patrick Besson, il révèle son talent de pasticheur sans limites. Gros flop, mais pourquoi ne pas s’appuyer sur ce talent… « C’est vieillot, son truc, un exercice de style prétentieux, on dirait le livre d’un centenaire. Tu ne trouves pas ? »
« Il ne savait rien ni de l’édition ni des jeux du cirque journalistiques, des lions qui le dévoreraient tout cru. Il aurait dû apprendre à connaître les rouages de Paris, à défaut de la marche du monde… »
Pourquoi choisit-on un jour de vendre son âme au diable (une maison d’édition sans scrupule dans le roman) ? Un vice premier ? La déception ? L’abattement ? La lucidité ? L’ambition ? Le déni ? La vengeance ? « Il assurait chercher des mots de passe vers un autre monde, mais il était clair qu’il voulait tout autant réussir dans la morne réalité. » Difficile de rester un « conquérant de l’inutile », et si en plus, on peut se faire beaucoup d’argent et éviter de finir prof à Argenteuil… Mais le prix de ne pas avoir été à sa place restera toujours au-dessus de toutes les bourses.
Le travail premier de Henri, en bien né à patronyme, est de se maintenir à la sienne, formé pour accomplir ce minimum syndical, celui de Paul est de pénétrer un milieu fermé et protégé. Les exigences ne sont pas les mêmes : à moins d’y naître, il fallait se battre toute sa vie pour en être.
« Dans les eaux froides de Saint-Germain-des-Prés, où tout n’était qu’entourloupes, artifices et double jeu, il fallait avoir les nerfs solides pour ne pas sombrer. »
Cette descente aux enfers est l’occasion pour l’auteur du Club des vieux garçons de réaliser un portrait sans concession, lucide (là encore), et non sans humour, du monde de l’édition des années 2010, donc d’aujourd’hui. Ce dernier, bien installé dans ce petit milieu, sait de quoi il parle, et sa blessure d’Amfortas, ce sont « les produits littéraires ». Il dépeint avec une méchanceté réjouissante un certain Patrick Rossi, fat best-seller de son État, grâce au « succès fou » de La Vérité sur l’affaire Antonia Grimaldi…
Malgré des exceptions, comme cet ogre de Balzac encore, être un écrivain, ce n’est pas vendre, car la littérature, ça se vend à 2000 exemplaires, « et ce depuis toujours », nous défendait le journaliste Arnaud Viviant : « Si t’en écoules 100.000, c’est qu’il y a eu un problème. C’est un quiproquo. Dès le deuxième, le véritable écrivain revient à des chiffres normaux. Il ne recherche pas la recette magique pour devenir Guillaume Musso. » Il y a l’art, et il y a une valeur fétiche du livre, comme Marx parlait de la valeur fétiche de la marchandise.
Il y a les meilleurs produits, parfaitement calibrés comme tous les Barbenheimer, et les boutiquiers qui les fructifient : un éditeur gros cigare et costume trois-pièces, dernier représentant d’une ancienne famille de l’édition. Le vieux monde malgré tout, à la Dauriat, bientôt remplacée par une robocop à l’américaine qui optimise à mort la maison séculaire rachetée en 2000 par Hachette…
« Elle avait arrêté la revue littéraire historique des éditions Marcillac (petite référence de l’auteur à son illustre aîné), opté pour un papier moins cher, décidé qu’il n’y aurait plus qu’un correcteur au lieu de deux, cherché partout où faire des économies… Et puis elle avait trouvé des cadavres incroyables : des contrats à six chiffres pour des célébrités dont plus personne ne se souvenait, des avances délirantes à des “blaireaux” qu’on ne lisait plus… »
L’édition, on le sait, c’est encore magouilles et cie…
« — Et le Grand Prix du roman de l’Académie française ? Je te sais très influente au sein du jury… — De mieux en mieux ! Tu en as d’autres, des comme ça ? Une institution qui date de Richelieu ne peut pas s’abaisser à récompenser Rossi. »
On lance une collection de développement personnel, un rappeur, le livre d’un ministre, « avocat le plus puissant de France selon GQ », qui ambitionne d’atteindre la magistrature suprême. Il monta en demi-mafieux et par l’entremise d’un pacte à trois : « Au cours de leurs soirées poker et de leurs orgies aux Bains, ils s’étaient promis de réussir ensemble, chacun dans son secteur (la banque, la politique et la culture), avec le pouvoir comme objectif commun. » Une entente qui rappelle furieusement le « pacte de Tolbiac » réalisé par le trio, Manuel Valls, Alain Bauer et Stéphane Fouks.
Derrière toutes ces baudruches, Paul Beuvron. L’occasion de passer en revue les idoles de l’époque. Le « desperado littéraire » s’épuise gravement pour les autres contre un gros chèque.
La critique : « C’est du catch, tout est faux. » Souvenons-nous qu’Illusions perdues fut massacré en son temps. La presse : « Te polluera l’esprit. Elle te comprimera le cerveau, te corrompra le cœur et te salira jusqu’aux mains. » « Je n’étais qu’une concierge en voie de déclassement ! » Les auteurs : « Si ces dindons connaissaient l’envers du décor, les éditeurs qui jouent avec eux comme avec des pions jetables, les critiques qui ne liront jamais leurs livres et se moquent d’eux dans leur dos, leurs amis proches qui déblatèrent au cours de dîners auxquels eux ne sont plus conviés… »
Louis-Henri de La Rochefoucauld lâche les chevaux, dans la tradition sans concession du XIXe siècle anti-bourgeois, donc anti-esprit boutiquier. La moindre des choses pour un aristocrate… Positionnement idéologique et commerce ne font qu’un à notre étape de l’extension du marché.
C’est aussi un roman parisien au sens topographique du terme : il y a ce XVIe où habite le narrateur : îlot dans Paris, comme à côté du tumulte, une base arrière pour fortunés ou jeunes rêveurs en chambre de bonne. Au centre de Paris, on grenouille, on se marie à Saint-Germain. On s’installe rue de Varenne dans le quartier des Invalides, et on atteint le pic de l’Annapurna à la villa Montmorency, « sommet à atteindre quand on voulait intégrer l’entre-soi le plus fermé ». Retour au XVIe. Rien pour le nord et le sud de Paris.
« Toute cette ripopée de satrapes, de maquignons et de loubards m’incitait à courir m’enfermer chez moi pour écrire ce que j’avais vu. Quand on est attaché à l’étiquette des vieilles cours, les frasques de la nouvelle société donnent envie de cacher sa honte derrière un face-à-main et de se jeter sur son prie-Dieu dans l’attente du Jugement dernier. (...) Toute cette sarabande de sacripants et de sigisbées, de saligauds et de sagouins, mais c’était magnifique ! Mieux que le Satiricon… »
Les Petits Farceurs, c’est en dernière analyse le roman de tous les reniements. Qui ne pourra témoigner de ces serments de jeunesse, et de cette incompréhension devant ceux qui se retournèrent l’âge avançant, avant de faire de même, sans explication autre que l’on a changé ? On s’est découvert timide devant la vie, devant la muse… A manqué cette bizarrerie congénitale, cette particularité, ce traumatisme qui extrait du commun, ces conditions objectives d’un destin…
Le titre du roman m’a surpris au premier abord : il a la préciosité de son caractère suranné et un défaut de robustesse. Il est tiré là encore d’un passage d’Illusions perdues, cité en exergue du roman. On est au XIXe jusque dans le nom de l’oeuvre, pour décrire notre temps. Une contradiction qui pousse l’auteur à s’excuser de sa « pauvre langue, qui n’est que celle de mon siècle ».
Le style est classique dans le bon sens du terme, limpide. De sa transparence, elle doit tirer sa fierté. Comme pour le dernier d’Andreï Makine, la lecture du roman suivant - une auteure du haut du panier de la rentrée littéraire -, est affadie par l’expérience précédente : le second texte est écrit, et ça casse les oreilles… Malgré tout, une drôle de particularité chez Louis-Henri de La Rochefoucauld : dans son expression naturellement soutenue, il glisse du familier, bien ringard, comme fendards ou crèche du verbe crécher, et parfois des mots à noter, comme frégolisme ou tartignole.
L’auteur est à l’image de son personnage principal : il sait qu’il n’a pas (encore ? Pas assez de temps certainement) les tripes pour réaliser la grande œuvre, et qu’il est meilleur que la plupart. Ce roman pourrait bien être le premier de sa seconde partie de carrière. Une preuve ? Les faits sont là : le Prix des Deux Magots a souvent été la première récompense littéraire d’un joli ou impressionnant parcours dans les lettres, de Marc Dugain, en passant par Marc Lambron, jusqu’à Serge Joncour.
Ces Petits Farceurs, l’air de rien, méritent les honneurs. À l’instar de Balzac, Louis-Henri de La Rochefoucauld atteint son objectif : décrire un réel.
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