Le très productif Patrick Besson (54 romans en 44 ans à partir de ses 17 ans), n’avait plus publié de fiction depuis 2018 et son Milieu de terrain. Il revient finalement au roman, 4 ans plus tard, alors qu’il pensait le genre derrière lui. Scènes de ma vie intime, entre réalité et invention, ressemble à du Besson. Génie des sentences, rapidité d’exécution et peinture fine d’un microcosme qu’il pratique depuis quasi un demi-siècle : le milieu des Lettres.
Le 10/10/2022 à 09:26 par Hocine Bouhadjera
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10/10/2022 à 09:26
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« Éric et Guillaume visitent chaque matin un hôpital : leur maison d’édition. » Ces deux-là publient Lucien, personnage principal du livre et alter ego de Patrick Besson. Combien pour l’autobiographie et combien pour l’imagination ? « 52,5 % réalité, 47,5 % fiction. Majorité de blocage. » Cet écrivain, la soixantaine dépassée, va divorcer de Zoé, plus jeune que lui de 28 années. « C’est ma séparation avec ma 3e épouse qui m’a donné envie de m’y remettre [au roman] », nous confie Patrick Besson.
La relation, dans le texte, commence véritablement en 2016 : elle est une romancière et éditrice de 33 ans, lui un des importants auteurs français. Elle s’est achevée en mars 2019 « où elle me quitta pour quelques semaines qui deviendront des mois, puis des années, puis ce qui me restera de vie ». Elle retrouvera un auteur kazakh, à cause de « ce petit carnet que les femmes gardent caché dans leur tête et où elles notent, avec un soin de bonne ménagère, nos méfaits jusqu’à ce que le compte soit assez bon, c’est-à-dire assez mauvais, pour qu’elles décrètent notre exclusion de leur ravissante existence ».
Le couple participe, avec les éditeurs Éric et Guillaume, le camarade d’enfance de Lucien et star de la chanson, Bob Horvat, et leurs compagnes, toutes beaucoup plus jeunes et écrivaines, à un groupe d’amis. On l’aura compris, ce roman traite de la vieillesse et de l’échec amoureux. S’ajoute l’incapacité à s’inscrire dans l’existence, avec ses rituels du quotidien, la littérature et la lecture étant « des défaites » : « Ont [les deux éditeurs] choisi la vie, bien placés pour savoir — pour voir — qu’écrire c’est la mort. » Zoé aussi a voulu plus de réalité. Gwendoline est une Slovaque noire arrivée en France et l’épouse d’Éric, Maria, la fille de la haute bourgeoisie grecque en couple avec Guillaume, et l’impétueuse Russe, Natasha, avec Bob.
La peinture de chacun des personnages est d’une grande maîtrise, l’œil est perçant, acéré ; passent une méditation sur le couple, Donald Trump, Radovan Karadzic, Venise, Rome, le « culte du moins » islamique, le Kazakhstan d’où viendraient les pommes, la Turquie, papa, maman, le suicide, les enfants, l’édition, la tristesse… « Le livre est une espèce de monologue intérieur traversé de choses et d’autres qui forment la vie, donc le récit de l’auteur », résume Patrick Besson. Un roman « commencé, ainsi que le disait Georges Sand, “pour m’occuper et me distraire” », qui aura connu deux versions, et a été achevé en 6 mois.
Une littérature de formule, encore, mais quelle maîtrise de son art : « Un éditeur est un agrégé qui a les mains sales d’un garagiste. » « Mariage : prison à vie avec possibilité de remise de peine en cas de mauvaise conduite. » Pour la route : « À 2 ans et demi, les enfants rient ou pleurent mais ne sourient pas, à l’instar des adultes russes. » Certains le jugeront toujours aussi hautain, pas prêt à expliquer ses explications. L’art de l’aphorisme pompeux est celui du fêlé. L’auteur de Marilyn Monroe n’est pas morte est de la race des grands ratiocineurs, privilège ou malédiction des solitaires au monde intérieur étendu.
Les derniers romans de deux amis et dinosaures des lettres françaises, Éric Neuhoff et Patrick Besson, se ressemblent. Des déjeuners d’éditeurs : « Ce roman passera beaucoup à table, où j’ai bien vécu », et plus généralement une mise en scène de ce milieu littéraire. Lucien a d’ailleurs une révélation : « Je compris, après 40 ans de recherche, ce qu’il y a au fond du rapport éditeur-auteur : de la haine. »
La réponse de l’éditeur : « Le principal problème des auteurs, m’expliquait Éric : ils attachent une importance démesurée à leur existence et du coup écrivent dessus. » Retour à l’envoyeur : « L’édition me paraissait un travail trop peu sérieux pour y consacrer la question dérisoire de temps dont on dispose sur terre. » Les deux écrivains dandys, installés depuis des décennies, à base de courts romans, recueils et autres essais (Cocktail de saison d’Éric Neuhoff est disponible depuis le 5 octobre aux éditions du Rocher), continuent à profiter de leurs facilités. Ils ont la comparaison de leur côté. Ils partagent ces grands thèmes universels et simples : l’amour, l’amitié, la peine…
Ce roman « du célibataire de 65 ans », est aussi un grand texte sur les Gémeaux et leur vie difficile, où chaque vérité est immédiatement contredite par son opposée, tout aussi vraie : « J’ouvre la porte avec désespoir et la referme avec allégresse. » Lucien oscille entre la dépression et la liberté, c'est-à-dire « le néant ». Reprendre son environnement en main, rue des Trois-Frères, et ne plus supporter cette solitude. « Zoé m’a enfermé dans son silence. » Il nous donne même le conseil ultime pour réussir à vivre sans amour : « Un emploi du temps strict et une sobriété. »
Souvent, Patrick Besson répond, en une sentence, à une question pas posée, dont la solution est nichée, dans l’harmonie des contraires : « Il n’y a plus de place que pour elle et elle ne l’occupe pas. » « Mon respect - de ses sentiments, de sa liberté, de sa vue intérieure - n’était-il pas une façon de lui manifester ma froideur ? » Singularité du style : quand on lui demande pourquoi il a choisi de couper beaucoup de pronoms en début de phrase, sa réponse est sans appel : « Pronoms rarement utiles. »
L’auteur des Braban offre ici un texte particulièrement réussi, fait de bons mots, de légèreté, d'introspection noire et d’intelligence distante, à quoi se marie un pudique spleen sur le temps qui passe, les parents disparus et des pleurs sur les femmes infidèles.
En parallèle, le grand pasticheur, habitué aux nombreuses publications, jusqu’à 4 romans la même année, a fait paraître en septembre, chez Louison Éditions, Djokovic, le refus, où « j’explique pourquoi le champion serbe ne peut pas se vacciner, quoiqu’il lui en coûte ».
Paru le 12/10/2022
198 pages
Grasset & Fasquelle
19,00 €
Paru le 29/09/2022
102 pages
Louison éditions
19,00 €
Paru le 02/11/2006
296 pages
Points
7,10 €
1 Commentaire
Lucien
10/10/2022 à 13:46
Pourquoi publier le code-barre et inviter à lire un extrait des Braban, alors que c'est de "Scènes de ma vie privée qu'il s'agit" ? ("Djokovic, le refus", lui, est à sa place puisque cité dans l'article.)
A part ça, les premières pages mises en ligne par Grasset m'ont permis d'identifier les deux éditeurs qui ont inspiré les personnages d'Eric et Guillaume : Olivier Nora et Manuel Carcassonne. Toutefois Patrick Besson est un authentique romancier : il ne se contente pas de reproduire la réalité, il l'interprète.