12 jours en retard du #Perec40, certes, et 8 jours après la date anniversaire de sa naissance, d’accord, mais ne serait-il pas temps d’interroger cette coutume de l’hommage anniversaire ? Pourquoi pas célébrer Georges Perec à chaque fois que Pierre Perret fait l’actualité ? Ou bien lorsqu’un membre du gouvernement réussit à terminer un long et fastidieux puzzle ? Et d'ailleurs, pourquoi ne fête-t-on pas l’anniversaire du premier souvenir plutôt que d’une naissance ?
Le 15/03/2022 à 16:42 par Hocine Bouhadjera
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15/03/2022 à 16:42
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« Comment ferais-je moi qui n’ai pas d’histoire, pour avoir un jour une maison. » Note isolée sur la maison de Georges Perec, finalement non conservée pour son essai, Espèce d’espaces.
La collection des éditions du Seuil, La librairie du XXIe siècle, a également décidé de participer à la célébration des 50 ans de la mort du grand Georges Perec. Après avoir publié plusieurs inédits de l’auteur des Choses, dont L'Attentat de Sarajevo en 2016, la collection de Maurice Olender a choisi de republier le seul essai de Georges Perec, Espèces d'espaces. Une édition augmentée de documents couleurs et d’une postface d’un des plus grands spécialistes de l’oeuvre perecquienne, Jean-Luc Joly.
Interroger l'espace
Un projet de livre en forme de catalogue de toutes les chambres où il a dormi, la possibilité d’une pièce d’habitation véritablement inutile, remplacer la salle à manger et la cuisine par un lundoir et un mardoir… Toutes ces idées sont tirées de cet essai sur la notion d'espace, par l’auteur de La vie, mode d’emploi. Perec part de la page pour atteindre le monde, et entre ces deux champs, passe en revue tous ces espaces qui construisent notre monde, et se font oublier comme des bruits de fond.
Les traditions et leur opacité quand elles deviennent notre quotidien, voilà le sujet principal de cet essai, et ce questionnement sur ces impensés, qui caractérise d'ailleurs toute l'œuvre de George Perec, passe ici par la notion d’espace. L'espace qui organise et fractionne nos vies, et même quand il est lieu du souvenir. Le lit, la rue, l’appartement, la chambre, la campagne… tous ces lieux dont la remise en cause ne viendrait à l’idée à personne, sauf à Georges Perec. « Comment chasser les fonctions, chasser les rythmes, les habitudes, comment chasser La nécessité ? »
Tous ces protocoles, ces traditions, ces habitudes, ces coutumes, l'auteur ne les dénonce d’ailleurs pas, comme il ne dénonce jamais rien, ce n’est pas dans son approche des phénomènes et des choses. Il les interroge. Comment ? Grâce à une méthode qui part toujours du plus simple, basique. Perec retrouve l'esprit de l’école élémentaire quand on se demandait encore si les portes étaient les seuls passages entre un intérieur et un extérieur, ou si les ballons devaient forcément être ronds.
Il fait des listes, des inventaires, épuise les sens d’un mot, d'abord celui d’espace, nomme les choses, propose des anecdotes personnelles, des citations. Pour parler de la ville, il propose par exemple cette méthode : « Chasser toute idée préconçue. Cesser de penser en termes tout préparés, oublier ce qu’ont dit les urbanistes et les sociologues. (Pour parler de la ville) Il faut y aller plus doucement, presque bêtement. Se forcer à écrire ce qui n’a pas d’intérêt, ce qui est le plus évident, le plus commun, le plus terne. »
En questionnant les évidences, ou ce qui nous paraît en être, Perec nous offre une porte de sortie, au moins le temps d’un instant. Il crève la bulle de nos réalités fabriquées et partagées. Il perce un trou dans ce qui nous enferme, même si cet enfer est parfois bien douillet. Il nous montre que tout interroger est un moyen d’étonnement constant. Tout peut être affaire de surprise, il suffit de tourner une carte de l'Europe à 90°. Une recherche de l'éphémère qui confine à une quête des principes. « Les immeubles sont à côté les uns des autres. Ils sont alignés. Il est prévu qu’ils soient alignés, c’est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas alignés : on dit alors qu’ils sont frappés d’alignement, cela veut dire que l’on est en droit de les démolir, afin de les reconstruire dans l’alignement des autres. »
Faute de mémoire, l'esprit
Perec reste toujours léger, mais en creux, ses conclusions sont finalement impitoyables. Toutes ses observations semblent exprimer un défaut de conscience général : c’est une relation au monde qu’il questionne, comme il l’a fait dans Les choses et La vie mode d’emploi. Mais il n’est pas dupe de lui-même, c’est dans sa propre névrose qu’il puise sa capacité à se libérer des illusions construites à partir de la mémoire. Dans son destin d’orphelin.
On pourrait penser que Perec ne se bornerait qu’à une réflexion sur l’espace, en oubliant le temps, et leur profonde imbrication. En réalité, en essayant de se souvenir de chaque lieu de sa vie, il ne cherche qu'à empoigner le temps. « L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne laisse que des lambeaux informes. » Les deux parents de l'écrivain sont morts durant la Seconde Guerre mondiale : le père en 40 en tant que soldat, et sa mère dans les camps. Lui, né en 1936, n’était alors qu’un jeune enfant unique.
Perec porte l’esprit face à la mémoire. Quand on a pas de racine, d’histoire, de tradition, il nous reste l’esprit. L'auteur a dû arpenter, comprendre par lui-même. Rien n'a jamais été sûr et tout a été à concevoir. « L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête. Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. »
Un essai aussi agréable à lire que nécessaire, car il offre un regard original, logique et poétique sur le monde. Son approche reste celle de ces romans : un style entre poésie mathématique, jeu de mots et l'impersonnalité des abstractions.
Certains pourraient parfois voir dans cet essai une absence de réflexion poussée. Des chapitres, comme celui sur l'Europe, ne feront que quelques lignes, certains une seule, mais il me semble que ces choix d’effleurer les sujets font partie du projet global. Il interroge, donne des pistes, émet parfois des réflexions, avant de changer de champ d'étude, pour créer un espace dans nos esprits, et la possibilité d'un ailleurs.
Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com
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