POP UP JEUNESSE – En l’espace de quelques mois sont sortis en librairies deux beaux pop-ups très différents mais donnant à penser, à manipuler et à admirer, chacun à leur manière. D’un côté, nous avons Voyage en train réalisé par Gérard Lo Monaco, auteur chevronné à cette technique depuis de nombreuses années et qui a travaillé avec des éditeurs historiques tels que Jean-Jacques Pauvert et Robert Delpire. De l’autre, C’est chez moi, imaginé et dessiné par Aurore Petit, illustratrice jeunesse qui a notamment publié des albums chez Thierry Magnier ou Le Rouergue et dont c’est ici le premier ouvrage en volume.
Le 12/07/2021 à 17:19 par Jean-Charles Andrieu de Levis
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12/07/2021 à 17:19
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Nous souhaitons les présenter ensemble non pas pour opposer la tradition à la modernité, mais parce les divergences que l’on observe entre ces deux livres permettent d’en pointer les qualités individuelles.
Voyage en train se compose en quatre tableaux qui présentent une histoire succincte de l’évolution du rail, démarrant aux origines de la machine à vapeur en 1826 pour arriver aux trains à grande vitesse que nous empruntons aujourd’hui. Six transports ferroviaires se succèdent ainsi et dressent un portrait des métamorphoses de ces puissantes machines, mais aussi des changements de contextes sociaux et industriels qui accompagnent chaque époque. Le dessinateur porte une grande attention aux décors qu’il travaille en profondeur : spécialiste du pop-up reconnu pour ses effets de perspectives (voir notamment son coffret consacré à Edith Piaf), il creuse l’image en installant jusqu’à quatre plans distinctifs, qui sont autant de surfaces où dessiner des personnages et bâtiments caractéristiques de l’époque représentée. Cet album propose ainsi un voyage dans le temps et dans l’espace, des images où la chronologie de l’histoire se lit en partie dans la profondeur de l’image.
Aurore Petit, quant à elle, élabore un imagier composé de sept paysages associant un environnement à un animal, la forêt pour le loup ou la mer pour le crabe par exemple. L’ouverture des pages fait surgir d’élégants panoramas au sein desquels se dissimulent des animaux qu’il revient au lecteur de dénicher. Les mouvements du papier varient à chaque page et façonnent des images et expériences différentes : certains décors incitent à les manipuler minutieusement pour dépister les bêtes qui s’y cachent tandis que d’autres s’élèvent véritablement dans les airs et s’érigent comme des sculptures mobiles. C’est chez moi ! dresse ainsi un inventaire de divers habitats de la faune terrestre en même temps qu’il exploite divers mécanismes propres à ce genre de livre animé, mettant en volume ou en mouvement les paysages représentés.
Si ces deux livres se rassemblent donc dans la volonté d’associer des éléments (trains ou animaux) à leurs environnements respectifs (époques/ville ou natures/milieu de vie), les ambitions narratives et esthétiques qu’ils développent les distinguent pourtant.
En empruntant un tel parcours historique, Gérard Lo Monaco adopte une approche didactique qui rappelle les belles heures des albums du Père Castor (nous pensons notamment aux magnifiques leporello d’Alexandra Exter). Le dessinateur fait preuve d’une grande minutie graphique, illustrant avec précision les détails mécaniques des machines rutilantes. Cette justesse, essentielle, amène le dessin vers un réalisme qui se porte caution de l’exactitude des informations délivrées et entérine la portée éducative de ses images.
Dans le même temps, ce travail figuratif permet de se projeter dans ces vastes panoramas : chaque vue d’ensemble regorge de petites scènes qui se répartissent en différents horizons et installent des espaces narratifs qui animent la lecture. Ainsi, le pop-up de Gérard Lo Monaco ne se résume pas à la description de l’évolution d’une machine industrielle mais s’étend aussi à l’évolution de la civilisation entière, mêlant des micro-récits (les petits personnages qui déambulent et racontent en eux-mêmes des histoires) au macro-récit (présentation de l’époque), le tout incarné par un style soigné qui témoigne d’une habileté graphique séduisante.
Aurore Petit propose une expérience résolument plus ludique. Elle développe un répertoire de formes qui dessinent des paysages et stimulent l’imagination. À la manière du Kaléidoscopages de Delphine Panique (publié chez le Rouergue, chez qui Aurore Petit a aussi réalisé le très bel album philosophique 1 temps), Aurore Petit use de lignes et figures simples pour nous projeter dans des contrées boisées, montagneuses ou citadines. Pour chaque composition, une phrase annonce l’animal qui se cache dans les configurations du papier et renseigne sur l’environnement qui se déploie sous nos yeux ; elle permet dès lors une traduction directe des surfaces géométriques (pour la plupart) qui le représente.
Cette esthétique minimaliste, pleine d’intelligence, adhère particulièrement bien aux expérimentations matérielles de l’auteur. Le travail du pop-up se renouvelle à chaque page et Aurore Petit explore les possibles du pliage pour que chaque décor qui surgisse surprenne le lecteur et le projette dans l’image : une forêt apparait à l’aide de triangles s’élevant sur différents plans, un rond plein émerge d’une étendue de lignes pour dessiner un lever de soleil de bord de mer, et de fines bandes de papiers dessinent la délicate fragilité des dunes de sable. Dans ces pages tout en volumes pleines de surprises, les mécanismes du pop-up animent le dessin et entrainent dans un univers poétique, sensible et plein d’esprit.
Cette approche croisée nous a permis de voir que le livre pop-up de Giorgio Lo Monaco creuse la profondeur de l’image, matérialise les différents plans pour agrandir l’espace et aérer des compositions chargées en détails qui délivrent de nombreuses informations, qu’elles soient éducatives ou narratives (l’une pouvant s’identifier à l’autre). De son côté, celui d’Aurore Petit, tout en préservant un aspect pédagogique à travers l’identification d’un animal à son environnement, utilise le dispositif du pop-up pour ouvrir l’image, bouleverser sa lecture, en faire un objet ludique et interactif où les images deviennent de véritables sculptures mobiles. Ainsi, Voyage en train préserve un même sens de lecture, alors que certains plans de C’est chez moi ! peuvent se regarder en tous sens, se retourner et inciter à la manipulation.
Giorgio Lo Monaco fait de l’image avant tout un objet de contemplation et envisage le dessin comme une mise en scène ; Aurore Petit appréhende l’image comme une scène, un espace où l’événement est autant visuel que matériel.
Gérard Lo Monaco – Voyage en train – éditions Albin Michel – 9782226449290 – 8 p. – 25 €
Aurore Petit – C’est chez moi ! – éditions La Martinière – 9782732494647 – 16 p. –12,50 €
Paru le 30/09/2020
8 pages
Albin Michel
25,00 €
Paru le 10/09/2020
16 pages
Editions de la Martinière
12,50 €
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