Remarqué dès ses débuts en 196O avec la parution de son recueil de nouvelles Goodbye, Colombus, couronné d'emblée cette année-là par le prestigieux National Book Award - un prix qu'il recevra à nouveau en 1995 pour son roman Le théâtre de Sabbath - Philip Roth n'aura cessé tout au long de sa carrière de crouler sous les distinctions. Recevant notamment, en 1998, pour Pastorale américaine, le non moins prestigieux prix Pulitzer.
Le 27/01/2022 à 17:14 par Auteur invité
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27/01/2022 à 17:14
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La France, de son côté, ne sera pas en reste qui, pour cette même Pastorale, décernera à l’écrivain américain le prix du meilleur livre étranger puis le Médicis étranger pour La Tâche et qui le « pléiadisera » peu avant sa mort (à noter à ce propos que la publication dans cette collection d’un second volume de ses œuvres est prévue pour fin février).
N’en jetez plus !
En fait, il n’y aura guère que la récompense suprême, le Nobel de littérature, auquel il semblait pourtant promis qui lui échappera. Dans le bref livre de souvenirs consacré à son ami de plus de vingt ans, Benjamin Taylor raconte : « En octobre, tous les ans, la rumeur se répandait : il était pronostiqué gagnant. Donné à trois contre un ». Et puis, immanquablement, venait la déception. Au point qu’il se mit à appeler le Nobel : « Le prix N’importe-Qui-Sauf-Roth ».
Décidément trop sulfureux, l’écrivain, pour le trop frileux, le trop sensible à l’air du temps, jury suédois. Dans son dernier livre publié l’été dernier (L’après littérature), Alain Finkielkraut n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins à ce propos, écrivant : « Les jurés du prix Nobel de littérature ont chaque année recalé les deux plus grands écrivains contemporains, Philip Roth et Milan Kundera : ce serait un très mauvais signal envoyé aux jeunes générations que de couronner, à travers eux, la vision masculine du monde et de la littérature ». Avant de conclure : « Cette vertueuse obstination a discrédité pour toujours l’académie de Stockholm ».
Par là, l’académicien français pointait la soumission de l’aréopage scandinave aux diktats du nouveau puritanisme égalitaire précisément dénoncé dès le début des années 2000 par Philip Roth avec son roman La tâche, alerté par les premiers feux du « politiquement correct » ravageant déjà les campus américains, prémices de cette vague qui, depuis, à la manière d’un tsunami, a abordé les rives du vieux continent, charriant wokisme, cancel culture, théorie critique de la race... « Le puritanisme ne meurt jamais, confiait d’ailleurs l’auteur de La tâche à Benjamin Taylor. Il est immortel, il est notre malédiction américaine, à gauche comme à droite (…) Nos ennemis seront toujours les légions de purificateurs et ceux qui haïssent le plaisir ».
En l’occurrence, ce n’est pas la première fois qu’il suscitait leur fureur, si l’on veut bien se souvenir du succès de scandale planétaire provoqué en son temps par la parution de son roman à coup sûr le plus célèbre : Portnoy et son complexe. L’histoire d’un jeune garçon élevé dans une famille de la communauté juive américaine, ayant reçu une éducation respectueuse des traditions et écartelé entre les principes inculqués et des pulsions sexuelles irrépressibles. Une histoire rappelant un peu, en somme, l’univers des films de Woody Allen, si du moins ce dernier n’avait pas hésité à flirter avec les films X.
Un roman, confiait encore Roth à Benjamin Taylor : « dans lequel j’ai joyeusement jeté par-dessus bord mon éducation littéraire, je me suis dépouillé des convenances pour révéler un juif en plein tumulte libidineux — et que le bon goût aille au diable ». Le résultat, déjà, ne s’était pas fait attendre, le livre mettant en émoi sinon l’ensemble de sa communauté, du moins quelques représentants de son establishment, accusé par eux d’avoir trahi son peuple en proposant de ce dernier un portrait trop peu flatteur et même, de la part de certains rabbins, d’avoir versé dans l’antisémitisme, lui sans doute le plus grand écrivain juif américain de sa génération !
Loin des gros pavés biographiques souvent indigestes et, dans ce cas d’un intérêt d’autant moindre que la trentaine d’ouvrages signés par Philip Roth ont pratiquement tous un caractère autobiographique, ce que nous offre aujourd’hui Benjamin Taylor, lui-même écrivain, et nourri des notes prises au fil des innombrables conversations qu’il a eues avec son aîné, c’est un livre cursif, tout d’élégance et d’empathie, à la fois récit d’une amitié et survol d’une œuvre dans laquelle il donne l’envie de plonger (ou de se replonger) sans délai. Ces deux là, en effet, n’ont cessé de passer de nombreuses heures ensemble, de 1994 jusqu’à la disparition de Philip Roth en 2O18.
Chaque dimanche soir, se faisant livrer des plats chinois, ils dînaient dans l’appartement new-yorkais de ce dernier. Ils riaient beaucoup, parlaient base-ball, sexe, politique, littérature. Ils se retrouvaient aussi souvent dans la maison de campagne de Roth autour de laquelle rôdaient les ours. Taylor essayait de faire regarder à son ami des vieux mélos hollywoodiens, notamment ceux de Douglas Sirk. Peine perdue, l’auteur du Portnoy et son complexe n’aimaient que les films de Bergman ou de Satyajit Ray. « Pourquoi vous, les gays, êtes à ce point séduits par Bette Davis ? » s’exclamait-il, avant de se lancer dans un éloge d’Ava Gardner, bien plus « attirante » à ses yeux.
Jusqu’aux derniers moments, aux soins intensifs du service de cardiologie du NewYork-Presbyterian-Hospital, « Ben » a été là pour témoigner du stoïcisme souriant de Philip Roth face à la mort qui s’approchait. Du bouquet de souvenirs qu’il a composé, il précise : « Ce livre est un portrait non romancé et s’efforce de n’être rien d’autre », ajoutant « un portrait partial, bien sûr ». À coup sûr un portrait intimiste, chargé d’affection, et dont on aura compris que c’est précisément ce qui en fait tout l’intérêt et tout le charme.
Parce que c’était lui, parce que c’était moi, dit encore Benjamin Taylor, citant Montaigne. Il aurait pu citer Joubert : « Quand mes amis sont borgnes, je les regarde de profil ».
Bernard Le Saux
Paru le 07/10/2021
124 pages
Philippe Rey
17,00 €
Paru le 28/05/2004
480 pages
Editions Gallimard
10,20 €
Paru le 22/05/2001
580 pages
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Paru le 01/10/2001
275 pages
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24,50 €
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NAUWELAERS
27/01/2022 à 21:22
De grâce...«La Tache», pas «La Tâche» !
Preuve qu'un accent circonflexe en plus ou en moins change totalement le sens d'un mot parfois !
Et ce roman «La Tache» est essentiel, annonciateur de dérives que l'on connaît (je suis de bon compte: «connait» sans accent circonflexe peut passer, ici on a le choix !) aujourd'hui.
Merci néanmoins à ActuaLitté pour cette info très intéressante.
CHRISTIAN NAUWELAERS