Centre Régional des Lettres et du Livre de la région Nord-Pas de Calais
Le 12/11/2013 à 18:07 par Nord Pas de Calais CRLL
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Publié le :
12/11/2013 à 18:07
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Depuis maintenant quelques années, nous regardons le secteur de la littérature jeunesse avec bienveillance et réelle amitié. S'il nous arrive régulièrement de rencontrer différents écrivains, le a demandé à différents auteurs nordistes de se définir en tant qu'auteur, mais surtout en tant qu'auteurs pour la jeunesse tout en donnant leur vision de cette littérature.
Avec Eulalie, CRLL Nord Pas de Calais
La littérature de jeunesse... genre littéraire un peu particulier. Existe-t-il vraiment d'ailleurs ? Pour comprendre ce qu'implique d'écrire pour les enfants et les ados, si l'on peut tout dire et comment le dire – dans des ouvrages surveillés de près par les parents et de fait les éditeurs – des auteurs nordistes ont accepté de s'interroger sur leur travail. De ces rencontres, nombreuses, on retient une littérature de jeunesse en pleine force de l'âge. Morceaux choisis.
Le conteur bonhomme Pierre Delye s'en défend : il n'est pas écrivain pour enfants, mais écrit des histoires lues par les enfants ! Comme lui, la plupart des auteurs estampillés jeunesse se méfient du qualificatif pouvant paraître réducteur. « Il devient souvent un diminutif, l'écrivain jeunesse ne serait pas vraiment un écrivain. » précise Pierre Delye. Eric Pintus affirme ainsi ne pas penser ses histoires spécifiquement pour la jeunesse. Celui que l'écriture poursuit depuis tout petit, comédien, puis conteur, dit publier des histoires « pour adultes ! Mais ce sont des formats courts, avec des illustrations. Mes livres, mes spectacles, je ne les ai jamais pensés pour le jeune public » explique-t-il.
Pour d'autres, comme Olivier de Solminihac, écrire pour les enfants est d'ailleurs arrivé « par erreur »... Il préparait un nouveau roman et d'un brouillon éclot en quelques jours est finalement né un livre « probablement pour enfants » et finalement publié à l'École des Loisirs. « Je n'ai jamais eu l'impression d'écrire spécifiquement pour les enfants, rappelle pourtant l'auteur. Dans mes livres, certaines choses sont comprises seulement des enfants, d'autres seulement des adultes, pour lesquelles les enfants n'ont pas les références, mais qui ne sont pas un frein à la lecture et au fait d'apprécier le livre » constate l'auteur.
À 40 ans, Fabien Soret a quant à lui commencé à écrire des livres sur le tard, après une vie d'artiste plasticien (et un travail au ciné art et essai dunkerquois Studio 43, parce qu'il faut bien manger) : « avec mes enfants, j'ai découvert des auteurs ayant une proximité avec l'art contemporain, je me suis lancé. Je ne pensais pas à un lectorat particulier. Moins qu'un travail d'écrivain, c'est surtout la création d'un objet à part ». En 2001, après son deuxième roman, Fanny Chiarello reçoit une commande de la municipalité de Liévin, dont naît « une longue nouvelle pour adulte, ou un roman pour ado », Les mamies ne portent pas de pantalon.
« M'adresser à des ados était tout nouveau pour moi, j'ai trouvé cela tellement ludique que j'ai continué ! » La jeune femme mêle désormais les écritures et quand nous la rencontrons avec les derniers rayons de soleil, dans un café du Vieux-Lille, le matin, l'auteure a rédigé un chapitre pour les adultes, l'après-midi, un pour les adolescents. « Une alternance très agréable » confie-t-elle.
Richard Couaillet, plume entre poésie et théâtre, a publié un premier roman en 2007 avant de se pencher sur la littérature jeunesse et d'y découvrir « des textes et des albums de grande qualité artistique. » Il l'aborde finalement d'une façon originale : « pour mon premier roman, j'ai essayé de dépasser la frontière entre roman pour ado et adulte. J'ai mis près de quatre ans à trouver un éditeur ! » (Actes Sud Junior, ndlr). Catherine Zambon, comédienne avant d'être rattrapée par l'écriture, écrit des pièces, pour les adultes. Et, depuis une commande de France culture, pour la jeunesse. Elle résume : « Je ne me sens pas écrire pour l'enfance, je me sens écrire depuis l'enfance.
Plume de jouvence
Fanny Chiarello trouve dans l'écriture de romans pour ados une vraie récréation : « elle est plus ludique à plusieurs points de vue : la trame est plus simple, l'ossature construite dès le début. La phrase non plus n'est pas la même, elle est plus courte. Par contre, pas question d'employer un vocabulaire moyen voire pauvre, qui fasse jeune ! Et puis je trouve que c'est beaucoup plus facile de faire de l'humour pour les ados, on peut plus facilement jouer sur le comique de situation qui ne passerait pas chez les adultes, faire des jeux de mots. Un côté très régressif ! Je me permets néanmoins de donner une dimension sociale à ces textes... »
Pierre Delye, lui, réussit le tour de force de raconter des histoires en mille cinq cent mots maximum : « soit on simplifie mais on est simpliste, soit on va à l'essentiel, en jouant sur la langue, les mots. Et mes livres étant lus par des non lecteurs, pépé et mémé donnant leur voix, mon écriture doit avoir une musicalité. Alors je glisse également des clins d'œil aux parents dans les textes. » Jusqu'ici, il est surtout question de texte, peu d'images. Illustrer est justement le travail de Julien Martinière. Après avoir réalisé un livre pour enfants, en parallèle de ses études, avec d'autres amis étudiants, il envoie des books d'images aux éditeurs... qui vont le mettre en contact avec les auteurs et leurs textes. « Certaines fois, l'auteur sera un peu en retrait, d'autres, les contacts seront réguliers, cela dépend de la politique de la maison d'édition. Parfois, je peux intervenir sur le texte, et l'auteur sur l'image... L'écrivain doit accepter que quelqu'un d'autre fasse quelque chose de ses mots... »
Richard Couaillet se nourrit de la porosité existant entre les textes jeunesse et ceux dédiés aux adultes : « des projets pour les plus jeunes m'aident pour ceux destinés aux plus grands », et inversement. « J'ai tué quelques Dieux littéraires grâce à cette écriture à la frontière, mettre de côté un certain nombre de modèles, m'en détacher ». Cette littérature pour les plus jeunes représente pour lui un « espace de risque, un nouveau continent de la littérature. Ce n'est pas un genre à part, plutôt un moment. Un temps qui fait... »
Les adultes, ces prescripteurs
Pourtant, tout n'est pas rose dans l'univers jeunesse. Selon Eric Pintus « l'acheteur du livre, c'est le parent », et là réside tout « le problème ». La création artistique semble se buter parfois aux angoisses parentales. « Dans les librairies spécialisées, les parents viennent et regardent derrière le livre l'âge indiqué. Cela les rassure, ils vont même jusqu'à acheter un livre sous blister sans le feuilleter eux-mêmes ! Si on change quelque chose dans le livre, c'est pour l'adulte, l'acheteur », rapporte l'auteur. Même son de cloche chez son comparse Delye : « Comprendre qui choisit les livres et qui les achète, en l'occurrence les parents et grands-parents, c'est essentiel. En plus de ce qui peut plaire aux enfants, les adultes vont choisir ce qui est bon pour eux... Certains bouquins se retrouvent plombés parce qu'on montre un zizi ou une nénette : lorsque cela se justifie littérairement parlant pourquoi pas ? On ne va pas prendre son bain en doudoune ! »
Bibliothécaires, enseignants, parents et grands-parents portent leur regard... sur les catégories d'âge à l'arrière du livre, comme le dit Olivier de Solminhiac, « lorsque l'on veut offrir un livre, c'est rassurant, on ne veut pas tomber à côté. Alors que, dans les faits, cela ne correspond à rien. Institutionnaliser à ce point, c'est chercher à chasser de la littérature la littérature de jeunesse. »
Des barrières à l'imagination
De fait, nos auteurs qui disent tout s'autoriser, voire expérimenter, sont parfois obligés de composer avec les exigences des éditeurs. Ceux-ci, face aux impératifs commerciaux ou aux récriminations parentales, peuvent parfois se montrer sévères... Sur Faim de loup, Eric Pintus a vu une des illustrations être remplacée par la maison d'édition, après un séminaire de vente : « pourtant, lorsque je la montre aux enfants, ils préfèrent la version de départ, plus noire et me demandent : pourquoi ce changement ? Je leur réponds que des gens savent mieux qu'eux ce qu'ils aiment... » Notre franc conteur a également eu des soucis avec le vocabulaire, le mot « bouffe » déclenchant une levée de boucliers ! Pour Pierre Delye, c'est « trou du cul » qui entraîne l'ire des parents : « lorsque je dis ce mot en spectacle, les enfants sont morts de rire. Mais Didier jeunesse a reçu de nombreux courriers : nous devons édulcorer, alors que l'on sait que les gros mots circulent... et que c'est jubilatoire ! » rappelle l'auteur.
Certains auteurs prennent eux-mêmes les devants, afin que leur texte corresponde davantage à une collection, comme Carole Fives : « mon premier roman jeunesse, Zara, je ne l'ai pas écrit pour des enfants. C'était une nouvelle, dans un recueil, l'autoportrait d'une narratrice d'une dizaine d'années. J'ai modifié des choses, pour que le récit prenne de l'ampleur et se transforme en roman jeunesse. J'ai regardé ce qui se faisait, pour m'adapter à la collection de L'école des loisirs. La fin était noire, je l'ai rendue moins abrupte. » Mais de rappeler que malgré tout, « lors de l'écriture, lorsque le premier jet vient, je n'imagine pas à qui je vais raconter l'histoire. Je me mets dans la peau d'une voix, je pense plutôt à un lecteur universel. Finalement, même s'il faut coller au format de l'éditeur, j'ai quand même une grande liberté de ton ! » L'auteure ajoute d'ailleurs que l'on peut tout aborder dans les textes jeunesse : « c'est une question de regard... Les enfants sont touchés par toutes les problématiques, même l'inceste. »
Olivier de Solminhiac est plutôt du même avis : « c'est une question de point de vue, je ne cherche pas à choquer. Je cherche plutôt à faire réfléchir ; voire permettre de verbaliser certaines choses. On peut parler de tout dans un ouvrage de jeunesse, mais de certaines manières. Selon moi, ce qui importe aussi c'est de ne pas calquer une morale ou une vision du monde ! » « L'idée selon laquelle il ne faudrait pas écrire des choses affreuses, que les enfants auraient peur est fausse ! signale Catherine Zambon. Les parents s'inquiètent à mauvais escient, les enfants savent faire la part des choses ». La dramaturge écrit des choses que les parents ne comprennent pas, comme si elle redevenait une fragile petite fille souhaitant affronter ses démons : « ce qui importe pour moi, dans la littérature d'enfance, c'est de ne pas rendre l'ogre inoffensif ! »
Selon Fabien Soret, les enfants sont peu frileux avec l'art : « on peut tout s'autoriser, même être totalement abstrait ! Ils sont très ouverts. J'avais peur que mon travail soit trop philosophique, mais finalement, ils ont une grande compréhension. Nous, les adultes, mettons des barrières à leur imagination ! »
D'autres, au contraire, vont préférer ne pas aborder certains sujets de peur d'abimer certaines sensibilités. « J'ai eu tendance à considérer qu'un enfant, qu'un ado est plus fragile, plus « traumatisable », je leur épargne certains sujets, la mort, la folie » constate Fanny Chiarello. Selon elle, la censure viendrait parfois plutôt de prudents bibliothécaires : « ils ont pu retirer certains ouvrages d'amis dont les thèmes étaient trop trash ».
Trop commerciale ?
« La littérature jeunesse aujourd'hui, fait vivre le livre », constate Eric Pintus. « Sur ces dix ou quinze dernières années, la production en littérature de jeunesse a explosé » rappelle Richard Couaillet. Face à la croissance de l'édition jeunesse, certains auteurs semblent découragés : « dans ma grande naïveté, je pensais que l'écriture n'avait à voir qu'avec l'artistique, confie Eric Pintus. Au final, c'est plus commercial qu'autre chose. Pourtant, à mes yeux, un livre est un morceau de vie ! »
D'autres se félicitent de cette dense activité éditoriale. Pour Pierre Delye, pas de sous littérature, l'important, c'est de LIRE ! « Lorsqu'on lit Musso ou Levy, au moins, on lit. Et un jour, peut-être, un libraire, un bibliothécaire, sera là, et fera goûter à mieux ! » Et d'ajouter : « dans la littérature jeunesse, on trouve des albums et des romans qui sont des perles de drôlerie et d'intelligence : c'est de la littérature, basta ! »
« Une reconnaissance en cours renchérit Fanny Chiarello, avec, tout de même, encore, le débat "Est-ce vraiment de la littérature ?" Mais on a fait un sacré chemin depuis Le Club des Cinq ! » Olivier de Solminihac résume bien le propos : « du fait de scinder de façon peut-être un peu commerciale les lectorats, on finit par croire que la littérature jeunesse serait un genre particulier. Alors que, pour moi, elle contient tous les genres : polar, science fiction, théâtre... » « Ces catégories me paraissent très artificielles. Le Journal de Tintin se revendiquait pour les lecteurs de 7 à 77 ans, aujourd'hui, il faudrait faire une liste : 7/8 ans, 9/12 ans... Une façon de catégoriser qui me paraît assez absurde, et qui n'a aucune prise lorsque j'écris ! » Et de conclure : « pour moi, il n'y a pas d'âge pour tomber dans la littérature, on peut la découvrir très tôt. Le péjoratif "ça, c'est pour les enfants", sous-entend "quand tu seras grand, tu pourras accéder à ce qu'est vraiment la littérature", je ne pense pas que ce soit si fermé : comme la musique ou les beaux-arts, ce n'est pas quelque chose qui se découvre sur le tard, on est d'autant mieux muni pour apprécier la littérature qu'on y aura plongé dès le plus jeune âge ! »
Stéphanie Morelli
Par Nord Pas de Calais CRLL
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