« Il aura fait un froid de gueux ! » Certes, Livre Paris se verra certainement proposer un nouveau hashtag, l’an prochain : #PayeTonChauffage, succédant à #PayeTonAuteur. Mais à la clôture de l’édition 2018, Livre Paris semble avoir appris de ses erreurs : depuis longtemps en chantier, la manifestation parisienne a évolué. Un bilan posé, en attendant les chiffres officiels, qui seront certainement à la hausse.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« L’affluence a été au rendez-vous avec une augmentation du nombre de visiteurs de 7% par rapport à 2017, et une présence remarquée du jeune public », annoncent les organisateurs. Fort bien : ce seraient donc plus de 162.000 personnes qui seraient venues au salon, contre 157.600 en 2017. Mais au-delà de la fréquentation ?
Économiquement, le salon a connu deux tendances assez nettes : d’abord, les espaces des régions, qui ont vu leur chiffre d’affaires en diminution. Un réel problème, attendu que ces dernières accueillent des maisons indépendantes, qui sans l’aide des Régions, n’accéderaient certainement pas à des espaces Porte de Versailles. Un point qu’il faudra impérativement résoudre, pour garantir la diversité que souhaite afficher Livre Paris.
En face, des espaces d’éditeurs, qui pour beaucoup ont connu des résultats en hausse : plusieurs maisons nous confirment une augmentation à deux chiffres des ventes réalisées en regard de 2017. C’est pour exemple le cas du groupe Bragelonne, qui revenait avec cette marque pour la première fois depuis longtemps. Alain Nevant, cofondateur, estime que « la diversité de notre offre a pu séduire plus largement ».
Pour Média Participations (Lombard, Dargaud, Dupuis), c’est le choix de l’emplacement qui a changé la donne. « Nous étions en face d’Actes Sud, et c’est un autre visitorat que nous avons touché. Et les collectionneurs et amateurs ont su trouver les informations pour venir à la rencontre de nos auteurs. » Finalement, cette distinction donne à un autre lectorat la possibilité de s’ouvrir à la bande dessinée, chose qui n’aurait pas été possible dans le secteur BD.
Dans quelle mesure les chèques lire distribués par le Centre national du livre – et d'une valeur cette année de 15 € – ont pu jouer, il faudra encore le mesurer avec les chiffres de ventes définitifs. Rappelons que plus de 4200 écoliers et collégiens en ont profité cette année.
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Côté Imaginaire, pour la 5e année, tout un regroupement autour d’éditeurs de livres dédiés et de jeux de rôle s’était articulé. Difficile de dire si cet îlot fut réellement efficace indique Matthias Echenay de La Volte : « Si cela nous sert tous, il faut continuer. Depuis l’an passé et la volonté de chacun de mettre en valeur nos littératures, nous avons eu le mois de l’Imaginaire : ici, c’est une dynamique qui se poursuit. »
Au Bélial, on se montre dubitatif : « On est en famille, oui, c’est sympa. Mais ce sont aussi les mêmes que l’on retrouve dans d’autres salons comme les Utopiales ou les Imaginales. Alors, ça ne donne pas l’impression de trop changer les choses. » Au centre de l’îlot, le collectif de maisons regroupées apprécie pourtant cette vivacité : « Être éclatés dans le salon, ce serait le meilleur moyen pour être noyé », explique Le Donjon de Naheulbeuk.
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Les exposants ont d’ailleurs, dans l’ensemble, réalisé un effort de mise en scène, d’interactivité et d’attractivité pour capter l’attention des visiteurs. Si la signalétique reste à améliorer — on peut se perdre aisément en tentant de s’y fier — la programmation opérée par le Salon semble avoir conquis le public, à plus d’un titre.
D’ailleurs, la multiplication des ambiances et des thématiques, qui enrichissent l’offre globale, pose un autre problème : la ligne éditoriale globale. Cette année, l’affluence de jeunes publics — des tribus littéraires pour ainsi dire, axées sur manga, Young Adult, BD, ou Imaginaire — a pu donner des impressions mitigées.
Ainsi, sur l’espace Bretagne, un éditeur fait part d’un sentiment d’exclusion : les événements n’étaient pas nécessairement bien répartis, donnant l’impression d’être dans un autre salon, au sein même de la Porte de Versailles. Ces transitions d’un monde à l’autre pouvaient déstabiliser les visiteurs.
L’innovation cette année portait sur les scènes Polar et Young Adult — pour cette dernière, on peut se demander si la présence de Diana Gabaldon et Robin Hobb était des plus adaptées. Mais soit. Renforcée par un évident rajeunissement de la population, la manifestation a finalement perdu sa dimension « littéraire » pour devenir plus tribale — segmentée en somme.
Sébastien Fresneau, commissaire général du salon, s’apprête à fermer les portes, plutôt satisfait de cette édition reprise en main. « Le succès du Young Adult, nous l’espérions, sans savoir comment toucher spécifiquement ce public. »
L’espace monté en partenariat avec France Culture donnait de loin l’idée d’une alliance de la carpe et du lapin. « Pour les partenariats médias, nous avons travaillé spécifiquement avec les rédactions, pour éditorialiser les rencontres. » Cela s’est concrétisé par une approche plus large des sujets, montrant que le YA est en mesure de se rattacher à l’actualité, voire de prendre des positions militantes sur des sujets de société. Et dans le même temps, Radio France a besoin de trouver comment intéresser ce jeune public…
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Pour le segment YA, tout est parti des enquêtes de satisfaction. « Les éditeurs faisaient des retours en évoquant des auteurs qui s’inscrivaient dans ce genre, sans nécessairement envisager un espace brandé Young Adult », poursuit Sébastien Fresneau. Changeant d’agence pour les réseaux sociaux, le salon a travaillé la communication, et impliqué auteurs et éditeurs, « qui ont joué le jeu, en mobilisant leurs lecteurs ».
Reste que ce jeune public doit être appréhendé différemment « Nous avons vu qu’ils ne se rendent pas à une conférence, si cette dernière est de trop près suivie par une séance de dédicace. Préférant la seconde, et la rencontre avec l’auteur, il choisit de faire la queue pour s’assurer de la dédicace, plutôt que de venir écouter les débats », note Sébastien Fresneau.
Avec une programmation renforcée le vendredi, justement pour surfer sur l’actualité des auteurs et coller aux besoins, le salon a profité d’une excellente journée. Au menu Bernard Pivot, qui venait, la veille, de passer dans La grande librairie, tout cela s’articulait autour d’un bon timing. « Travailler l’actualité, en associant les éditeurs à la programmation que Gauthier Morax a proposée, nous a permis une certaine fluidité. »
Cela passait également par une diversification des formats : le salon a ainsi proposé un live en duplex avec Alan Moore. « Il ne se déplace jamais, il a détruit son passeport… Nous avons donc collaboré avec les éditions Inculte pour le faire intervenir. Le projet s’est construit ainsi, à la condition qu’il ne parle que de son roman. »
Alan Moore, en duplex, très attendu - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Et de la même manière, s’appuyer sur des stars de l’édition, « qui, étonnamment, auraient pu être programmées les années passées, mais que l’on trouvait rarement sur les scènes. Mais encore faut-il que les auteurs aient quelque chose à dire à ce moment ».
Voilà qui expliquerait possiblement les résultats positifs des maisons — la situation des Régions restera encore à décrypter. Le succès de la librairie russe, en dépit du comportement du président Macron, serait une piste : le travail effectué sur les sélections a pu jouer, sachant que le Maroc, l’an passé, semblait plus dispersé.
D’ailleurs, le Pavillon Lettres d’Afrique semble avoir connu la même mauvaise passe, avec un chiffre d’affaires en net recul. À l’instar des Régions, le recul est à deux chiffres, même si le fonds se serait mieux vendu…
Alors, Livre Paris, désormais un salon fragmenté, que l’on ne peut plus présenter comme une manifestation littéraire ? Le commissaire général sourit : « Notre idée n’est assurément pas de nous couper des lecteurs de littérature blanche. Nous avons ouvert à des genres littéraires qui ont toute leur place, et ne sont pas forcément abordés : le déficit d’une offre parisienne pour certains genres aura entraîné une surréaction. »
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Définitivement, la Porte de Versailles n’est plus exclusivement un événement littéraire : en 2018, c’est une bascule vers une plus grande représentativité de l’édition actuelle qui s’est opérée. Le cas de la scène polar en est un exemple : sans chercher à concurrencer Quais du polar, événement lyonnais, Livre Paris a tenté de séduire un lectorat « qui n’est pas celui des fans à tout crin, mais plutôt celui des sympathisants ». Et ce, en introduisant une connexion avec la littérature générale, tout en déployant différentes thématiques, larges.
Le retour de l’espace Savoirs et connaissance est passé presque inaperçu, en dépit des efforts de présence des maisons, et montre que la diversité doit encore se travailler. De même que les espaces de ventes de fruits secs n’ont pas forcément emballé les exposants qui y faisaient face. La mutation est en cours, la chrysalide est encore fragile — « nous devons par exemple mieux anticiper la venue d’auteurs internationaux, et échanger avec les éditeurs sur ce point », conclut Sébastien Fresneau.
Le cas de Paul Auster, venu deux semaines en France pour son livre, en janvier est typique : « Le faire revenir en mars n’a plus autant de sens, et s’avère peut-être plus compliqué. » Rendez-vous l’année prochaine du 15 au 18 mars 2019, pour découvrir notamment la littérature slovaque autour de Bratislava, ville invitée d’honneur.
Reste l’indéniable, parole de la rédaction : « C’est plus possible, quand il se met à neiger il faut quand même rallumer le chauffage. » Autres grandes disparues, avec le chauffage : les plantes vertes. On ne pouvait pas tout assurer cette année, payer les auteurs et en même temps, conserver le budget plantes vertes… #Gniarfffff
PARCE QU'ON A FROID ! - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
8 Commentaires
Editions Douin
19/03/2018 à 21:12
Mutation peut-être, mais réduction de surface aussi ! On avait quand même l'impression que le salon avait encore perdu 15% d'espace. Les allées n'ont jamais été aussi vastes. A part l'incontournable amazon, j'ai aussi l'impression (normal quand on parle du salon du livre) qu'il n'y avait plus que 2 ou 3 acteurs du numérique... Il y a encore 3 ans, ils étaient plus de 10 dans une zone numérique dédiée.
jeanne desaubry
20/03/2018 à 11:35
Oh la vilaine : j'avais une invitation à l'inauguration que j'ai boudée (excuses à l'éditeur qui me l'avait adressée). J'avais une accréditation que je n'ai pas utilisée. Ska, la maison d'édition dont je suis dir litt est numérique et la place de celui-ci est difficile à trouver sur ces espaces. Alors si c'est pour cultiver un entre soi bruyant,non,pas cette année...
domi m
20/03/2018 à 11:59
Trrrrès froid, oui ! et cacophonie entre les différents débats, tables rondes ou peut-être deviens-je sourde ? J'ai trouvé que l'espace se réduisait de plus en plus. J'ai beaucoup aimé l'expo Gaston mais elle était très réduite par rapport aux expositions des années précédentes. C'est une bonne idée de regrouper les petits éditeurs sous la bannière des régions, mais je comprends ce sentiment d'exclusion de certains...
Bref je suis mitigée sur cette nouvelle formule en tant que bibliothécaire.
Eric
20/03/2018 à 12:44
Je suis un habitué de ce salon, présent samedi j’ai trouvé que cette année était la pire. En effet l organisation de dédicaces sur les différents stands était très mal faite. Sur de nombreux stands les files de personnes qui attendaient pour une dédicace encerclaient totalement les stands Ces files créaient un problème de circulation dans les allées du salon et un problème d accessibilité aux stands exemple le stand du livre de poche inaccessible. Si cela devait se reproduire en 2019 je pense que je n’y retournerais pas.
Gisèle KUBLER
20/03/2018 à 15:04
La signalisation des allées par les lettres de l'alphabet reste nettement à améliorer.
J'ai vraiment dû chercher, retourner dans l'allée précédente pour en regarder la lettre, idem pour les numéros des stands, pas toujours visibles... Pour quelqu'un comme moi, qui note à la première visite les livres qui l'intéresse, puis désire les acheter lors de la 2ème visite, j'ai eu du mal à retrouver les stands !
Jingwei Agency
21/03/2018 à 06:53
C'était notre première participation, nous n'étions au sein du collectif Jeux de rôle et Imaginaire. Notre maison d'édition s'est créée il y a un an et tous nos auteures et auteurs sont nouveaux. Il semble que nous avons réussi à toucher une nouvelle tranche de public, mais sommes déçus par le peu de soutien des instances du livre et surtout de l'exposant. Il a fallu se battre sur tout, du nom déformé sur notre 'cher' totem de stand, en passant par le câble électrique qui descendait en plein milieu de nos 6m2 de surface sur un horrible boîtier noir, jusqu'au simoun avec la disparirion de notre stock de livres invendus pendant la nuit de démontage de lundi. Nous sommes censés avoir été prévenus??? Bizutage ? Élevage à la dure ?
koinsky
23/03/2018 à 07:04
UN Rungis littéraire. Un hangar bruyant, froid, insipide.
La littérature y a tout à perdre.
Le TF1 de la littérature.
Tendance Macron a tout vouloir uniformiser, lisser, rationaliser, optimiser.
Pas d'âme, une enveloppe.
On ne vend pas des savonnettes, mais des livres.
Jonh
29/03/2018 à 19:03
Faux, Le montant des chèques par le ministre de la culture ne sont pas de 15€ mais de 10€ !!!