Il y a 10 ans disparaissait Gabriel García Márquez. L'écrivain sud-américain laissait derrière lui une oeuvre vibrante et sensationnelle, dans laquelle se trouvent deux romans de légende : Cent ans de solitude et L'Amour au temps du choléra. Dans ses tiroirs, « Gabo » — comme on le surnomme chez lui — avait pour ses lecteurs une dernière pépite, un roman presqu'achevé, Nous nous verrons en août. Le livre fait l'objet d'une sortie mondiale en ce 13 mars 2024. En France, c'est Grasset qui le publie dans une traduction de Gabriel Iaculli.
Le 13/03/2024 à 05:49 par Ugo Loumé
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Publié le :
13/03/2024 à 05:49
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C'est un objet de petite taille, proche du format poche, léger, il tient facilement dans la main. Petit, ce livre, mais puissant. Moins de 150 pages qui se lisent plus par les sens que par l'intellect, qu'on peut traverser de bout en bout sans lâcher le fil de l'histoire, même pas le temps d'un mot. La littérature paraît si facile lorsqu'elle est faite de cette manière.
Gabriel García Márquez est un conteur exceptionnel. Dans ses livres, son écriture au passé simple nous envoûte, et ses personnages écrits à la troisième personne ont un charme inégalable. À cela s'ajoute cette atmosphère caribéenne qu'on lui connait bien, qui se respire du bout des poumons tout au long du récit. Les nuits chaudes, les journées humides, le soleil, la mer, les averses, la musique, les danses, la moiteur des corps...
Dans Nous nous verrons en août, Ana Magdalena Bach, mère de famille arrivée au milieu de sa vie sans trop d'ennui, se rend chaque année, le 16 août, sur une île des Caraïbes où sa mère a souhaité être enterrée, pour déposer un bouquet de glaïeuls sur sa tombe.
Son rituel est mécanique : elle arrive par le bac de trois heures de l'après-midi, récupère sa chambre d'hôtel, passe par la salle de bain, monte dans un taxi qui s'arrête devant un éventaire de fleuriste, achète les glaïeuls, se fait déposer devant le portail rouillé du cimetière qu'elle pousse délicatement avant de nettoyer la tombe de sa mère, d'y déposer le bouquet et de s'y recueillir en lui racontant les évènements de l'année passée.
Elle n'a ensuite plus rien à faire que d'attendre le bac du lendemain matin pour rejoindre sa famille presque parfaite. À son retour, son seul léger problème est sa fille qui découvre la passion de l'amour naissant et sort toutes les nuits dans des clubs de jazz avec son petit ami trompettiste.
Au fil des ans, elle a vu la petite île se transformer, les changements glissant sur sa routine imperturbable. Cependant, l'année de ses 46 ans, Ana Magdalena passe la soirée au bar de son hôtel, se laisse séduire par un homme et finit la nuit avec, ouvrant pour la première fois de sa vie la porte de l'infidélité, en y engageant avec passion son corps entier.
Ceux qui aiment Gabo, et plus particulièrement ceux qui portent L'Amour au temps du Choléra haut dans leurs cœurs, retrouveront dans cette nouvelle histoire la force sentimentale caractéristique des personnages de l'auteur colombien. L'amour occupe le récit tout en sensualité. Et l'érotisme est abordé sans tabou ni vulgarité. Pas de coquetterie superficielle ni de lyrisme dégoûtant.
Gabo s'exprime avec puissance. Les mots restent toujours au plus proche des sensations, utilisés avec un naturel qui ne démystifie jamais ce qu'il touche, bien au contraire — un réalisme magique, donc. Ses descriptions n'ont pas peur des corps, des émotions, des éléments, des fluides, ni même de la météo qui joue un rôle central dans l'ambiance générale du livre. Et les personnages, aussi forts soient-ils, sont emportés le flux charnel de leur environnement, avant même qu'ils n'aient le temps de bien le saisir.
Au final ce petit roman pourrait servir de concentré de Gabriel García Márquez. Un texte court qui vibre et qui brûle, à la fleur de la peau autant que dans les tripes.
Deux légers regrets peuvent néanmoins être exprimés ici. Le premier : Gabriel García Márquez n'a jamais achevé ce livre qu'il trouvait trop mauvais pour être publié — un jugement que ses fils ont attribué à la démence dont l'auteur souffrait à la fin de sa vie.
Cette version a été éditée à partir de son brouillon le plus récent, modifié seulement par des prises de notes provenant de Gabo — le défi éditorial était de n'ajouter aucun mot qui ne venait pas de la plume de l'écrivain. Un sentiment d'imperfection et d'infinitude accompagne alors la lecture, une frustration de ne pas pouvoir lire ce que García Márquez aurait fait de ce texte magnifique s'il avait décidé de le finir.
Deuxième regret, propre à l'édition française : cette éternelle couverture jaune de Grasset qui ne rend pas suffisamment hommage au dernier livre du maître de la littérature caribéenne et sud-américaine. Un tel objet aurait certainement mérité une couverture plus colorée et sensationnelle, comme c'est d'ailleurs le cas pour les éditions hispanophone et anglophone.
Par Ugo Loumé
Contact : ul@actualitte.com
Paru le 13/03/2024
137 pages
Grasset & Fasquelle
16,90 €
Paru le 25/03/2022
452 pages
Points
10,20 €
Paru le 11/09/2006
443 pages
LGF/Le Livre de Poche
9,20 €
2 Commentaires
Tiempos Futuros
15/03/2024 à 10:19
D´aucuns, en Colombie, pensent que GGM n´aurait jamais accepté la publication de ce titre.
Le battage publicitaire éhonté en est la preuve... La littérature marketing...
Pôvre Gabo !
miriam ortegat
04/04/2024 à 15:51
j'ai beaucoup aimé ce petit roman. J'y ai retrouvé l'ambiance caraïbéenne qu'il décrit si bien dans tous ses romans et spécialement dans son autobiographie " Vivre pour la raconter".
Pour la couverture de Grasset, je partage votre remarque. La couverture du texte espagnol me parait illustrer avec poésie l'ambiance du roman