États Unis de la Terre, en 2109 ! Bruna Husky, la réplicante de combat est réveillée en sursaut par des tambourinements à sa porte. Des larmes sous la pluie de Rosa Montero (trad. Myriam Chirousse) porte un tout autre regard sur les machines...
Créés par l’homme, les reps, réplicants ou réplicantes, disposant d’aptitudes spécifiques diverses, sont des êtres androïdes fabriqués à partir de cellules mères, en laboratoire, selon un processus permettant leur croissance accélérée en vue d’obtenir, en seulement quinze mois, des êtres à l’apparence totalement humaine d’un, ou d’une, adulte d’environ vingt cinq ans ! Avec deux différences majeures cependant.
La première concerne leur mémoire. Celle-ci, artificielle, est conçue par des mémoristes, et leur est implantée afin de leur fournir un passé, des souvenirs, une famille, … totalement fictifs mais élaborés dans un cadre extrêmement strict et réglementé.
La deuxième concerne leur espérance de vie. Malgré les progrès techniques, celle-ci n’est que d’une dizaine d’années à compter de leur pseudo-naissance. Ainsi, vers trente cinq ans, les reps sont-ils sujets à un processus dégénératif de type cancéreux conduisant à leur mort.
Depuis leur création, les reps sont l’objet de comportements contradictoires de la part des humains : envie de leurs capacités exacerbées d’un côté mais mise à l’index à cause de leur différence/proximité de l’autre ! Cette dernière, à l’origine de graves affrontements n’a pas totalement disparu malgré des accords finalement conclus et le ressentiment que certains humains continuent d’afficher est toujours présent en vague de fond.
Les tambourinements ne cessant pas, Bruna Husky émerge péniblement d’un sommeil lourd d’alcool et ressasse déjà en boucle « quatre ans, trois mois et vingt cinq jours » : le temps qu’il lui reste avant de mourir ! A la porte, sa voisine Caïn, une reps comme elle, veut absolument lui parler ! Mais une fois chez elle, manifestement très agitée, elle l’agresse et parvient presque à étrangler Bruna qui se libère in extremis et ne peut ensuite, après l’avoir maîtrisée puis tenté de la calmer, empêcher qu’elle s’automutile si gravement qu’elle décédera avant l’arrivée des secours.
Plus tard, intriguée, Bruna tente d’en savoir un peu plus sur son agresseuse et finit par découvrir que d’autres décès de reps ont été répertoriés peu avant dans des conditions similaires : les androïdes avaient été assassinés par des semblables.
Bruna, qui tente de gagner sa vie comme détective après avoir terminé sa période de travail obligatoire au bénéfice de l’entreprise qui l’a créée, ne résiste pas à la démangeaison que lui procurent ces coïncidences un peu trop concomitantes avec la nouvelle visibilité de José Hericio, le dirigeant du Parti Suprématiste Humain, ouvertement déclaré pour la disparition des reps.
Surtout que Myriam Chi, la Présidente du Mouvement Radical Réplicant, lui a demandé d’enquêter après qu’elle a reçu une boule holographique qui, à partir de l’enregistrement d’un de ses meetings, a été « corrigée » et montre son assassinat violent avec une énorme lame de couteau.
Après m’être aperçu, en finissant la lecture de Le Poids du Cœur, que j’avais commencé la trilogie de Rosa Montero sur les aventures fictionnelles de Bruna Husky par le tome deux, je m’étais bien promis de remettre les choses en ordre pour aller plus avant dans cette série d’une autrice dont mes précédentes lectures ne m’avaient pas préparé à la retrouver aussi efficace dans le domaine de la science-fiction. Décalage réparé avec Des Larmes sous la Pluie où elle installe le cadre de tout son univers fictionnel qui servira, à n’en pas douter, jusqu’au bout du troisième tome (et assurément, je peux confirmer que, pour le deuxième, c’est bien le cas).
Et là, je m’interroge quand même sur l’intensité des « emprunts » au roman de Philip K. Dick dont ont été tirés les films éponymes Blade Runner ! Tout en avouant aussi bien humblement avoir un souvenir trop lointain dudit roman pour en débattre sérieusement (d’autant que ce souvenir est, en plus, totalement « pollué » par celui du film de Ridley Scott - en 1982 – qui a durablement marqué ma passion pour la science-fiction).
Mais avec cette héroïne humanoïde mais pas totalement humaine, Rosa Montero revisite sans conteste le livre de Dick. Dans une cohabitation moins exacerbée cependant. La relation humain/réplicant est tendue mais pas aussi ouvertement conflictuelle. Peut être que Rosa Montero, convaincue que cette opposition devait, à terme et malgré les épisodes de lutte armée, finir par se calmer dans une sorte de modus vivendi où chacun parvient à se convaincre qu’il a plus à gagner d’une coopération que d’une confrontation, a ainsi trouvé la solution en situant ses romans dans un futur plus éloigné encore que celui de Dick.
Ceci n’empêche pas les éternels grincheux humains de rester engoncés dans leurs postures. La phobie de l’autre s’est juste déplacée d’un plus faible, ou d’une à la couleur différente, ou d’un aux mœurs différentes, ou d’une au sexe différent, vers un ou une qui a l’apparence de l’humain mais qui ne l’est pas vraiment ! Sexisme, racisme politique, religieux ou ethnique, tout devient concentré, pour eux, sur la seule existence des réplicants. Et, à l’évidence, soyons rassurés, aucun de tous ces sentiments délétères n’a disparu.
Et là où les films inspirés de l’ouvrage de Dick s’arrêtaient au problème, Rosa Montero envisage la possibilité d’une solution pas totalement apaisée mais, en tous cas, potentiellement stabilisée dans un équilibre instable.
Ceci étant, je confirme ne pas avoir boudé mon plaisir dans la lecture de ce livre : à l’heure où les robots, la robotisation, l’informatique, la domotique, l’IA, … grignotent chaque jour une place plus significative dans notre quotidien, Rosa Montero nous dit que tous les travers de l’humanité n’ont pas disparu et que la technologie, conçue par l’homme, n’a rien résolu puisqu’elle les recopie immanquablement…
Quand on voit comment les auteurs de science-fiction du siècle dernier étaient visionnaires quant à l’avenir du monde, cette vision que Rosa Montero nous propose aujourd’hui de notre possible demain est assez préoccupante : en fait, rien ne va vraiment changer ! Pas vraiment rassurant !
Paru le 20/05/2021
408 pages
Editions Métailié
12,00 €
Commenter cet article