ROMAN FRANCOPHONE – Avant, vous ne la connaissiez pas (c’est son premier roman), et voilà qu’on vous la sert à toutes les sauces : en cette rentrée Maud Ventura et Mon Mari (L’Iconoclaste) sont défendus partout, à tel point que la petite clochette publicitaire a déclenché comme d’habitude en moi, chien de Pavlov que je suis, l’envie réflexe d’en dire du mal. Avant de devoir ravaler ma salive.
Le 27/10/2021 à 15:19 par Maxime DesGranges
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27/10/2021 à 15:19
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On ne devrait jamais laisser les auteurs parler de leur livre. Ce sont toujours ceux qui en parlent le plus mal. La corvée promotionnelle à laquelle ils participent en toute servitude volontaire est une catastrophe pour la littérature : l’excès de bavardage finit par gâcher le menu plaisir que nous avions eu à lire leur prose, devenue poisseuse à force de postillons.
Je comprends que pour une jeune autrice et son attachée de presse, il soit inconcevable de refuser une interview du magnat des médias et virtuose du calembour Laurent Ruquier, flanqué de l’éminente politologue — elle aussi humoriste à sa manière — Léa Salamé.
Je peux aussi concevoir qu’une chronique élogieuse du plus illustre critique français de tous les temps depuis les regrettés Jean-François de la Harpe, Gustave Lanson et Arnaud Viviant – j’ai nommé bien sûr Jérôme Garcin-de-L’Obs (comme Giscard devenu d’Estaing, la particule a été définitivement ajoutée au patronyme de ce baron des Lettres, et les traits d’union en prévision de la future rue parisienne à son nom), puisse avoir la valeur d’un coup de tampon officiel autorisant tous les rubemprés et rubemprettes du pays à croire qu’ils auraient quelque chose d’intéressant à dire sur quoi que ce soit.
Mais il suffit généralement d’entendre une poignée de phrases s’échapper de la bouche de ces auteurs étourdis par tant d’amour pour que me vienne l’envie immédiate de citer un célèbre philosophe post-littéraire, Finkielkraut l’Ancien qui, lors d’une de ses très rares apparitions télévisées, avait un jour été pris d’une inspiration fulgurante ayant marqué d’une pierre blanche l’histoire de la pensée : « Taisez-vous !!! Mais taisez-vous !!! »
En effet, quelle ne fut pas ma surprise, que dis-je, mon ébaubissement, en fait mon seum, quand j’ai entendu la pétillante Maud Ventura parler de « Mon Mari » dans cette langue vulgaire que l’on parle au Wokistan, nouvelle destination à la mode pour twittasses en réorientation sexuelle et pour étudiants en voie d’illettrisation qui croient que Pic de la Mirandole est un sommet de montagne et Restif de la Bretonne une marque de cidre : « J’ai voulu interroger ce que sont ces vieux schémas patriarcaux qui persistent… Des schémas qui rendent profondément malheureux… J’ai voulu dénoncer ces schémas en prenant le contrepied, en montrant l’extrême dépendance affective de cette femme. »
Si telle était réellement l’intention de Maud Ventura, alors le roman serait un lamentable échec et ceci, en souvenir des quelques heures de lecture agréables que j’ai consacrées à ce livre, je ne peux l’accepter. Donc, ne la croyez pas, non : Maud Ventura n’interroge rien, ne dénonce rien et c’est justement là sa première qualité. Ne nous formalisons donc pas des petits dessous de table féministes que Ventura se sent obligée de distribuer aux agents du wokisme pour passer la douane du Progrès sans tracasseries : « Mon Mari » n’est pas un roman à message. Heureusement.
C’est encore moins « une femme dépendante, amoureuse, mariée et qui vit pour un homme, donc à première vue on pourrait se dire que c’est un livre très antiféministe et pas du tout 2021, alors que c’est justement l’inverse. » Je ne sais pas moi-même ce qui est 2021 et ce qui ne l’est pas, n’étant sans doute pas aussi déconstruit, malgré mes efforts, que ces mecs d’aujourd’hui qui n’hésitent plus à demander de l’aide à leur copine pour ouvrir un pot de cornichons et qui tirent de cette expérience un projet de podcast.
Ce que je sais en revanche, c’est que le personnage féminin (pour une meilleure compréhension, nous l’appellerons L. de façon très arbitraire puisque, comme son mari, elle n’est jamais nommée) ne vit pas pour un homme : elle vit pour sa névrose. Elle n’est pas non plus follement amoureuse : elle est malade et engluée dans une relation dangereusement toxique, faite de manipulation mentale (on y retrouve le gaslighting, cette technique de manipulation qui consiste à déplacer certains objets du quotidien pour faire croire à l’autre qu’il perd la tête), de chantage pernicieux, de faux-semblants et de mensonges à répétition.
Et contrairement à ce qu’avancent Maud Ventura et quelques lectrices, on ne rit pas tellement de son personnage, malgré la cocasserie apparente de certains symptômes, non : on s’inquiète de ses troubles du sommeil, on s’interroge avec elle sur ses démangeaisons chroniques, on s’apitoie sur ses comportements compulsifs. Pourquoi vouloir absolument brandir « l’humour pour dédramatiser » puisque sa condition est dramatique, et c’est justement ce qui la rend poignante ?
La seule chose que Maud Ventura dit de vrai dans tout ça : « Mon Mari » est un roman sur la dépendance affective. À son crédit, elle en identifie parfaitement les mécanismes psychologiques. Elle rend aussi fidèlement compte, dans le détail, de l’énergie mentale hors norme qu’une personne dépendante affective consacre à sa névrose puisque sa vie entière, quasiment, s’articule autour d’un vide intérieur que rien ne peut combler. En ce sens L. dit vrai quand elle affirme que « Mon idéal serait un tête-à-tête perpétuel avec mon mari. »
Prenons l’exemple d’une scène en apparence anodine censée illustrer l’humour du récit : lors d’une soirée télécanapé, le mari commet l’irréparable erreur de relâcher la main de L. alors que cette dernière avait fait exprès, comme un test, de la rapprocher de lui pour qu’il s’en saisisse. Pour nous c’est un non-événement, pour elle c’est déjà un abandon, ce qui la plonge dans un profond désarroi (s’il fait ça, c’est qu’il ne l’aime plus, qu’il va la quitter dès demain, etc.). Elle ne manquera pas de le noter dans l’un de ses petits carnets secrets où elle prend soin de répertorier chaque offense commise et sa sanction correspondante, offenses qui nous paraissent toutes, à nous les gens normaux, plus insignifiantes les unes que les autres.
Cette scène n’a rien de comique en réalité. Car la pathologie d’une personne dépendante se concentre essentiellement sur ce genre de micro-événements qui, pris isolément, nous paraissent puérils, absurdes, futiles. Et pourtant ce sont bien eux, dans leur accumulation et leur récurrence, dans leur sursignifiance qui nourrissent une angoisse quotidienne, réelle et paralysante. Tourner en dérision les surinterprétations obsessionnelles de son personnage comme le fait Maud Ventura reviendrait à se moquer d’une personne atteinte de TOC quand on la verrait tourner dix fois les boutons de la gazinière avant d’aller dormir.
« Je n’ai jamais aimé, croyant aimer, je n’ai jamais rien fait qu’attendre devant la porte fermée ». Cette phrase de Marguerite Duras placée en épigraphe est un aveu : son amour était une illusion. Et pourtant Maud Ventura s’entête à parler d’amour concernant ses personnages. En faisant mes petites recherches, j’avais déjà pressenti que nous avions affaire à une femme de paradoxes : à la fois capable d’écrire un premier roman honorable et d’estimer dans le même temps sur Instagram que le si mauvais Cœur synthétique de Chloé Delaume est un « très grand livre ». De la même façon, comment a-t-elle pu restituer aussi fidèlement les pensées obsessionnelles de la dépendance affective tout en éludant à ce point leurs conséquences relationnelles ?
La question se pose au sujet du mari. Malgré 15 ans de vie commune passée sous ce régime totalitaire, le bienheureux père de famille a l’air de vivre sa meilleure vie, comme si de rien n’était. Une énigme quand on sait à quel point l’extrême dépendance affective empoisonne toute la relation et en détermine même tous les aspects, mais une énigme à laquelle Maud Ventura aura l’intelligence de répondre à la fin du roman de façon intrigante et surprenante.
Extrapolations insensées, suranalyse continuelle, susceptibilité exacerbée, stratagèmes inutilement complexes… tout chez L. nous paraîtrait insupportable si ces défauts n’étaient pas simplement les caractéristiques d’une personne hypersensible, habilement portraiturée par une Maud Ventura manifestement renseignée.
Pour un premier roman, elle parvient avec justesse à nous fait sentir les tourments psychologiques d’une femme à la fois touchante et pathétique au sens noble, comme l’est chaque personne que l’on voit se débattre avec elle-même sans qu’elle ait les armes pour se défaire de soi. Chacun de nous, en quelque sorte.
Par Maxime DesGranges
Contact : contact@actualitte.com
Paru le 19/08/2021
355 pages
Iconoclaste (l')
19,00 €
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Aurely Gregoire
30/10/2021 à 16:23
Le syndrome du bovarysme ?
Nemesia
04/11/2021 à 23:06
Forcément, un article écrit par un homme... Une femme n'aurait jamais encensé un livre en rabaissant ainsi son autrice, tout en crachant au passage sur le féminisme et les questions que ce livre soulève.
Un livre qui n'est "pas un roman à message, heureusement". Qu'est-ce que cela veut dire ? Que l'on demande du vide et de l'insipide ?
Mais bon, c'est de ma faute, j'aurais dû savoir où je suis tombée en lisant dès les premiers paragraphes que Laurent Ruquier est un "magnat des médias" et Léa Salamé une "éminente politologue". On ne vit apparemment pas dans le même monde.
Maxime
05/11/2021 à 12:31
Bonjour Nemesia,
Vous n'avez manifestement pas saisi l'ironie sur Ruquier, Salamé et les autres, assez grossière pourtant. J'imagine que vous n'êtes pas familière de mes chroniques (c'est évidemment un grand tort).
Pour le reste : je ne "crache" pas sur les questions que le livre soulève, j'affirme simplement que le livre en soulève d'autres que celles dont parle Ventura. C'est une autre lecture, tout simplement. C'est la mienne. Je me doute que la vôtre a dû être différente. Et nos lectures sont différentes non pas parce que je suis un homme et vous (j'imagine, j'espère) une femme, mais parce que "chaque lecture est un parcours possible, et d'autres chemins restent encore ouverts", comme l'écrivait Jean-Pierre Richard.
Concernant Maud Ventura, je ne la "rabaisse" en aucun cas, c'est même tout l'inverse : je la rehausse au-dessus de son discours politico-promotionnel convenu (vide et insipide, pour reprendre vos mots) qui ne rend pas honneur au roman. Ce à quoi je m'attaque et continuerai de m'attaquer, c'est à toute la mascarade publicitaire à laquelle sont contraints de participer les écrivains et qui cause un tort, selon moi, à la littérature.
J'espère que ces quelques éclaircissements vous suffiront.
Amicalement
Suz
21/09/2023 à 14:56
J'ai moi aussi été très très agréablement surprise par ce premier roman, c'est rare, une écriture à la fois très immersive et en même temps pleine d'esprit de finesse et d'observations justes. Le tout forme un mélange très original, une littérature exigeante sans prétention.
Alex
08/10/2024 à 20:29
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