ESSAI — Partant du « la femme est l'avenir de l'homme » d'Aragon, magnifié en chanson par Ferrat, Pascal Picq présente la synthèse imposante d'études relatives à la place de la femme dans les sociétés humaines. Et, dès son préambule, il affiche la couleur en s'appuyant sur une « actualité brûlante » qui donne une tout autre orientation à ses questionnements en affirmant que « si la femme est, peut-être, l'avenir de l'homme, dans le présent, en tous cas, elle est souvent son souffre-douleur » !
Le 24/06/2021 à 13:15 par Mimiche
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Publié le :
24/06/2021 à 13:15
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Ce qui, à mon sens, donne au titre de son ouvrage un petit air racoleur car le contenu, particulièrement intéressant et étayé, se focalise assez rapidement sur la violence dont Sapiens, malgré son « intelligence », est capable de faire preuve, en particulier vis-à-vis des femmes, comme il le dévoile sans ambages dans son introduction en anticipant (dès la page 17 d'un pavé qui en compte 424) la conclusion : « les causes principales du malheur des femmes sont d'ordre culturel. Le pire ennemi des femmes, c'est l'homme » !!!
Si la lecture de ce livre n'est pas une sinécure, les talents de vulgarisateur et l’esprit de synthèse de Pascal Picq font des merveilles, même pour le profane !
Une fois la question de l'existence de deux sexes rapidement évacuée (« le sexe a pour fonction de limiter l'autofécondation » des individus : reproduits par clonage et « infectés par un virus [ils] seraient éliminés par défaut de diversité » ! La diversité des réponses individuelles à la pandémie actuelle démontre la pertinence de cette observation. « La seule réponse connue, pour résister à des virus qui se dupliquent et mutent sans sexe, c'est de faire du sexe » qui constitue « le réservoir d'adaptabilité des espèces »), l'auteur entre dans le vif du sujet en appuyant son propos d'abord sur une revue très générale de l'ensemble des mammifères pour se focaliser ensuite sur « la condition des femelles chez les primates et les singes » puis dans les « sociétés patrilocales des grands singes ».
C'est l'occasion d'une revue détaillée des comportements des lémuriens, macaques et autres gibbons, orangs-outangs, gorilles, bonobos ou chimpanzés !!!
Le constat, appuyé sur une somme monumentale d'études élaborées par des chercheurs (et, plus récemment, par des chercheuses dont l'auteur se réjouit de l’apport et de la nouvelle sensibilité, du nouveau regard qu'elles peuvent introduire dans les approches scientifiques qui, trop longtemps, ont été biaisées et « ont toujours été le reflet de visions idéologiques d'une époque […] que ce soit pour l'illusoire matriarcat du Néolithique ou la brutalité machiste des hommes des cavernes ») permet donc de mettre en évidence l'infinie diversité des sociétés développées par les primates : c'est le point de départ pour tenter de corréler des critères objectifs (taille des individus par sexe, taille des attributs sexuels, spécificité de l'écosystème habité, …) avec les organisations (patriarcat, matriarcat, polyandrie, polygynie, polygynandrie, …) et les niveaux de coercition (vers les jeunes individus, vers les femelles, …) exercées par certain(e)s sur d'autres.
Pour arriver à Sapiens … qui ne peut pas être très fier de la comparaison ! Un « tableau des modes de coercition sexuelle chez les espèces patrilocales et organisées autour de mâles apparentés » laisse perplexe : l'« intelligence » de Sapiens a réussi à inventer une pléthore de ces modes de coercition, bien plus que ne l'ont fait ensemble tous ses proches cousins (viols collectifs ou suivis de meurtres par exemple, mutilations sexuelles, … pour ne citer que quelques exemples significatifs!) mettant ainsi en place une violence sociétale à peu près aussi haut placée dans l'échelle des comparaisons que sa prétendue supériorité au monde dit « animal »...
Et la réponse à l’interrogation lancinante quant aux caractéristiques de la société dans laquelle évoluait notre Dernier Ancêtre Commun (D.A.C.) avec ces cousins maintenant si éloignés (et pourtant si proches) reste désespérément la même : « On ne sait pas » ! Trop peu de matériel archéologique exploitable. Trop d'échelons perdus entre ce « DAC » et le Sapiens actuel (Denisoviens, Erectus, Australopithèques, Néanderthaliens... : tant d'hominidés disparus dont la Terre n'a pas encore laissé accéder à des traces suffisamment claires, nombreuses et représentatives pour pousser l’analyse plus loin). Trop de biais intellectuels créant encore des conflits de chapelles entre scientifiques. Trop de possibles ouverts par la diversité observée chez nos nombreux cousins dont il est impossible de dire autre chose que « tout est possible » !
Parmi toutes ces incertitudes se dessine pourtant une possibilité : rien n'est irréversible et la violence dont Sapiens fait actuellement preuve n'est pas obligatoire, pas inéluctable !
Pascal Picq paraît convaincu que la position du balancier de la violence actuellement constatée résulte de contraintes culturelles que Sapiens a inventées via les systèmes religieux ou la notion de « foyer fermé » (enfermé entre ses quatre murs et donc soustrait au regard éventuellement désapprobateur extérieur) et donc que l'évolution de ces contraintes culturelles aujourd'hui observées (découlant des 100 à 300 derniers millénaires d'évolution) peut faire rebasculer le fléau de la balance dans une autre direction ! Possible ! Pas certain... On n'est pas au bout du chemin !!!
Reste que la « société communautaire, écologique, respectueuse de la nature, redistributive, égalitaire, ayant limité les contraintes sociales […], sans institutions coercitives […], entretenant des relations pacifiques avec les communautés voisines » relève visiblement du mythique « bon sauvage » de Rousseau, assez éloigné d'une réalité moins idyllique !!!
Mais tout ceci n'est qu'un échantillon infime des réflexions et des pistes suivies par Pascal Picq dans son ouvrage dans lequel il ne manque jamais d'apporter la preuve … et son contraire (le « on ne sait pas ») tout en observant qu'il « n'y a donc aucune justification naturaliste à la coercition et à la violence sexuelle ».
Il ne s'agit pas de tomber dans un pessimisme atterré mais, personnellement, j'ai un peu de mal à ressortir optimiste d'une lecture qui m'a asséné tant de raisons de craindre le pire ! Et le nombre des féminicides qui dépasse déjà 43, en France, en ce premier semestre de 2021, n'est pas de nature à calmer les graves interrogations que la lecture du livre de Pascal Picq m'a imposées !!!
Ceci n'enlève rien à la qualité, à l'érudition et à l'humilité du chercheur et de son propos face à l'ampleur du sujet.
Pascal Picq — Et l’évolution créa la femme — Odile Jacob Editeur — 9782738152138 — 22,90 €
Paru le 21/10/2020
464 pages
Editions Odile Jacob
22,90 €
1 Commentaire
zoegilles@gmx.fr
02/07/2021 à 12:34
Oh, à acheter !!!