BEAUX ARTS - Jean-Baptiste Camille Corot, né le 16 juillet 1796 et mort le 22 février 1875 à 78 ans fait la jonction entre deux courants artistiques et deux époques. Il naît sous le Directoire et meurt sous la Troisième République. Il a connu le Premier Empire, les soubresauts d’une royauté mortifère, la Révolution de 1848, le Second Empire, la Commune en 1871 et les débuts de la révolution industrielle. Véritable témoin d’une société en pleine mutation c’est pourtant loin des villes qu’il se sent le mieux, là où tout est calme, en pleine nature.
Le 25/05/2021 à 09:57 par Audrey Le Roy
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Publié le :
25/05/2021 à 09:57
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Corot est le fils d’un couple de commerçants aisés, pour ne pas dire riches. Élève moyen, ses parents tenteront bien de l’envoyer en pension à Poissy pour le pousser à l’étude mais sans grand succès puis il passe comme apprenti pendant 5 ans chez un drapier, Yves Delalain. Disons-le clairement, Corot ne se voit pas du tout commerçant. Néanmoins cette expérience lui permettra de commencer à se faire un réseau parmi les industriels et les marchands d’étoffes « qui seront les premiers collectionneurs de ses œuvres. »
Quand Corot annonce à ses parents qu’il veut devenir peintre la réaction est tout d’abord bien fraîche mais dès que son père fait à l’idée, il financera son fils sans plus jamais regarder à la dépense. Corot a vingt-six ans et peut enfin commencer sa carrière.
Ainsi en 1822 il s’inscrit dans l’atelier d’Achille Etna Michallon « ancien protégé de David et paysagiste le plus prometteur de sa génération ». C’est durant ces années qu’il façonne son goût pour ce que l’on appelle le néoclassicisme, car pour lui « l’idéalisation de la nature, le genre le plus noble est celui du paysage historique, développement intellectuel d’un récit mythologique, littéraire ou religieux mis en scène dans un paysage ; le Narcisse se mirant dans l’eau de Pierre Henri de Valenciennes en constitue un brillant exemple ».
Pierre-Henri de Valenciennes - Narcisse se mirant dans l'eau - Quimper, musée des Beaux-Arts
Corot passe ensuite dans l’atelier du peintre Jean-Victor Bertin mais il estime y avoir perdu son temps, reprochant au peintre, pourtant l’un des plus réputés de Paris, de ne pas l’avoir assez formé au dessin.
En fait Corot fera ses armes seul, en marge de tout académisme et surtout en plein air. La recherche de toute une vie sera consacrée à l’étude de la lumière et des volumes. En 1826, Corot se rend en Italie, d’abord à Rome, ce qui lui permet aussi de quitter « le domicile familial pour la première fois de sa vie – à vingt-neuf ans ». Le cordon se distend mais ne se rompt pas, c’est papa qui finance entièrement le voyage.
Au début de sa carrière, ses peintures se veulent dénuées de tout sentimentalisme, il cherche juste « la synthèse de la lumière et de l’espace ». C’est dans cet esprit qu’il s’efforcera de peindre différents monuments romains comme le Colisée ou le Forum à divers moments de la journée. Il fait ses études en plein air et ses retouches en atelier, ce qui deviendra une habitude.
C’est également à Rome qu’il s’essaie à la représentation du corps humain et va finir par « inventer le genre de la figure de fantaisie, qu’il pratiquera abondamment dans la seconde moitié de son œuvre ».
Ici, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec Vincent Pomarède, conservateur général du patrimoine, et Gérard de Wallens, collaborateur scientifique auprès de l’Institut des civilisations, arts et lettres de l’Université catholique de Louvain et tous les deux auteurs de ce livre Corot – La mémoire du paysage, publié dans la collection « Découvertes Gallimard » en partenariat avec la RMN – Grand Palais (initialement publié en 1996), car la figure de fantaisie est le plus souvent attribuée à Fragonard (1732-1806). Passons.
C’est à l’occasion de son voyage en Italie qu’il va proposer pour la première fois deux tableaux au Salon de 1827 qui se tiendra à Paris : Le pont de Narni et La Cervara. « La critique du Salon accueille sans enthousiasme, mais sans hostilité, ce premier envoi, qui révèle un artiste encore sage, adepte des théories néoclassiques alors très en vogue, dans la filiation directe de Valenciennes et de Michallon. »
Notons que son tableau achevé du pont de Narni impressionne beaucoup moins que son étude, qui, il faut bien l’avouer, n’aurait rien à envier à un tableau de Paul Cézanne par exemple. « Cette Vue prise à Narni, présentée au Salon de 1827, fut déconsidérée parce que moins spontanée que l’étude », quand on sait le mal qu’auront, plus tard, les impressionnistes à se faire reconnaître, cela nous laisse quelque peu pantois, les critiques auraient-ils juste l’esprit de contradiction ?
Dans les années 1830, Corot est au sommet de son art et continue ses voyages en France – Auvergne, Provence, Limousin, Bourgogne, Isère, Bretagne – ou encore en Suisse chez des amis. Il y peint sans relâche avec toujours le même but « faire de sa main le pur prolongement de son œil » pour que sa peinture soit le plus possible réaliste.
Réaliste mais non point réelle. Avec les années, Corot introduit de plus en plus de sentiments et d’émotion dans ses peintures, les années de strict apprentissage sont derrière lui et il souhaite faire passer cette émotion chez les personnes qui regardent ses œuvres, « si nous avons été réellement touchés, la sincérité de notre émotion passera chez les autres » ; de même il peint de plus en plus en atelier avec pour paysages ses souvenirs.
Cette thématique du souvenir devient très présente à partir des années 1850 comme dans ce tableau Matinée, danse des nymphes (actuellement au Musée d'Orsay), exposé au Salon 1850-1851 où il réutilise des vues peintes près de Riva en Italie en 1834.
Ses peintures, peintes d’après souvenirs, rencontrent un franc succès, Napoléon III lui en achètera d’ailleurs une (Souvenir de Mortefontaine).
Après être fait Chevalier de la Légion d’honneur en 1846, il est fait officier de la Légion d’honneur en 1867, mais il ne recevra jamais la vraie reconnaissance de ses pairs, à savoir la médaille de première classe au Salon. Pour tenter de réparer cela, ses amis lui organisent une grande soirée au Grand Hôtel à Paris où ils lui remettent une médaille qu’ils ont eux-mêmes fabriquée.
Avec l’âge, Corot se fera de plus en plus aider par les élèves ayant le mieux compris son art. Corot est l’un des peintres français les plus copiés, d’où la célèbre phrase « Corot est l’auteur de 3 000 tableaux dont 10 000 ont été vendus en Amérique ». Mais il faut bien avouer qu’il est le principal artisan de ce fait. Déjà parce qu’il est son principal copieur, il n’hésitait effectivement pas à faire des répliques de ses propres œuvres ; n’hésitait pas non plus à signer des toiles … qu’il n’avait pas peints, estimant qu’il était le propriétaire d’une idée mais pas du tableau. Une manne pour les faussaires et une tannée pour les experts.
« Sans tapage, sans fracas, un paysage de Corot peut être accroché dans une chambre et regardé toujours. Combien de tableaux aujourd’hui peuvent être regardés un mois de suite sans ennuyer le propriétaire ? »
Champfleury, Salon de 1849
Vincent Pomarède et Gérard de Wallens - Corot. La mémoire du paysage – Gallimard, Collection découvertes n°277 - 9782072894244 – 16.30 €
Par Audrey Le Roy
Contact : aleroy94@gmail.com
Paru le 25/03/2021
175 pages
Editions Gallimard
16,30 €
2 Commentaires
L' albatros.
25/05/2021 à 16:30
Ce qui est aussi intéressant, c'est la manière dont Camille Corot se démarque de l' imagerie lisse colorée des clichés, plaques de verre ou peints sur verre, de la lanterne magique ou de la photographie, par l' ajout de points de matiere picturale , infimes, feuilles d' arbres, fleurs, ornements, créant sur la surface plane, colorée clairement, et fluidement, d' une transparence lumineuse, ....; y créant une sensation perceptive de relief diffus, une image matériellement en 3 dimensions, ou une profondeur en l' apprehension d' un premier plan se discernant d' un second, faisant ainsi obstacle --a la perception d' aplats, et a la ' lisséîté' paysagiste, ou de groupe.
Une autre histoire de l' imagerie picturale: plus proche des écoles du nord, Flandres et Hollande.
En passant par Robert, Vigee-Lebrun, Fragonard, Joseph Vernet, Pierre de Valenciennes, Michallon, Delaroche, Corot et Manet.
( Y Décrochant les wagons- Ingres, Gericault, Delacroix.).
Gérard de Wallens
26/05/2021 à 12:11
Bonjour, merci pour votre chronique. Evidemment vous avez raison à propos de la l'invention de la figure de fantaisie dont la paternité ne lui appartient pas. Ici (p. 42) c'est la virgule qui est de trop... Nous limitions notre propos à la figure telle que Corot va la concevoir à partir de années 50 et singulièrement des 60.
Cordialement.