Il travaille pour le cabinet Gibson Dunn & Crutcher, et les médias américains le décrivent comme le plus puissant des avocats au monde. Orin Snyder est actuellement au coeur du procès Apple contre le ministère de la Justice, pour défendre la firme des accusations qui pèsent. Violation des lois antitrust, entente avec les éditeurs ayant entraîné une fixation du prix artificiellement gonflé pour les livres numériques... Retour sur un monstre des mers, entre le requin préhistorique et l'homme de loi. Dans tous les cas, un véritable prédateur.
Le 17/06/2013 à 07:59 par Nicolas Gary
Publié le :
17/06/2013 à 07:59
umjanedoan, CC BY 2.0
Depuis les premières heures du procès, Snyder n'a de cesse de le clamer : « Apple ne s'est pas entendu, individuellement ni collectivement, avec les éditeurs, pour faire monter les prix. » Car son client, la célèbre firme de Cupertino, a tout de même maille à partir avec un ministère de la Justice, le DoJ, qui entend bien faire le tomber sous le coup des preuves implacables. Tout ce qu'Apple aurait fait, assure l'avocat, c'est ouvrir une librairie en ligne, l'iBookstore, qui soit un outil compétitif et commercialement sain.
Comprendre : loin du dumping pratiqué par Amazon, qui solde les livres numériques des éditeurs depuis les premiers temps. Et l'avocat d'exhorter : « Il faudrait applaudir Apple, pas le condamner. »
Rembarrer la juge en charge du procès,
Lui reprocher des conclusions hâtives et autocratiques
Rien ne l'arrête...
De même, évoquant les emails de Steve Jobs, que le DoJ sort soigneusement de leur contexte, Snyder tire à boulets rouges sur une justice qui n'entend rien au commerce pratiqué, pas plus qu'à la situation commerciale. Et de s'offrir le luxe de rentrer dans la juge Denise Cote, en charge du procès, dès son plaidoyer liminaire. Cette dernière avait assuré dans la presse qu'elle avait les éléments pour confondre Apple, et démontrer sa culpabilité. « Je pense que le gouvernement sera en mesure de montrer au procès une preuve directe démontrant qu'Apple a sciemment participé et encouragé cette collusion, visant à augmenter le prix des livres numériques », expliquait-elle.
Snyder ne se démonte pas. « Il y a quelque chose d'intrinsèquement injuste et maladroit à lancer des assertions en dehors de la cour, contre quelqu'un qui n'est pas là pour les expliquer ou les replacer dans son contexte. En particulier lorsque presque tous les acteurs du gouvernement omettent des éléments clefs, ou carrément, déforment ce que les acteurs veulent dire. » Ouch.
La juge l'interrompt : elle n'a formulé ce propos, que pour donner son avis, mais attend évidemment que la preuve soit apportée. On le sait, celle-ci résidait notamment en l'intervention d'un acteur de chez Google, qui n'aura pas eu plus d'effet qu'un pétard trempé. Et la voici contrainte à cette phrase « Vous avez ma parole définitive : je ferai de mon mieux pour respecter la loi. » On n'en demandait presque pas tant.
« the deadliest trial lawyer »
(The Verge)
Surtout quand Snyder intervient pour interroger Thomas Turvey, le directeur des relations stratégiques de Google, la juge elle-même a dû sentir ses arguments massue tomber comme des feuilles mortes.
- Vous ne pouvez pas vous rappeler le nom d'un seul éditeur ?
- Non.
Difficile d'aller plus loin : si même Google garantit que n'avoir pas de souvenirs de discussions avec des acteurs du livre, autour d'un contrat d'agence, ou de détails permettant de confondre Apple, que faire ? Et l'ensemble de l'interrogation aura abouti à ce même point : Apple est hors de cause.
Snyder, un assassin, « the deadliest trial lawyer », explique The Verge, qui ne manque jamais sa cible. « Pour croire que les déclarations [de Steve Jobs] sont des preuves sans équivoques, un aveu d'une conspiration, il faut que vous pensiez que lui, au vu de tous, et de son biographe, savait qu'il serait lu par des millions de personnes - et aurait fait des déclarations qui pourraient être interprétées comme des aveux sans détour d'un complot dans la fixation des prix. » Comme dirait Affelou, connaissant Steve Jobs, il faudrait être fou, en effet, pour accorder crédit à cela...
Et Snyder d'ajouter : « Nous ne pouvons pas lire dans les pensées de Steve Jobs, mais ce que nous pouvons faire, c'est observer les mots qu'il a employés et ce ne sont certainement pas des aveux sans ambiguïté d'une conspiration. »
« Nous avons une approche, qui est de ne pas faire de prisonniers »
Snyder n'est pas un nouveau venu dans le monde juridique : âgé de 50 ans, il a remporté de grosses affaires pour Warner Bros Music Group, il est devenu l'un des chouchous du monde du divertissement avec des clients comme Bob Dylan (depuis 1996), Jerry Seinfeld ou les Rolling Stones. Lui-même avoue préférer les célébrités qui « sortent comme des guerriers des sentiers battus », et avec Apple, il a le must des sociétés avec le vent en poupe - et l'originalité. C'est d'ailleurs Snyder qui défendit Mark Zukerberg, le fondateur de Facebook, lorsqu'il fut accusé par Ceglia d'avoir dérobé les parts de l'outil qu'ils auraient ensemble mis au point. L'avocat contesta la validité des emails échangés, et Ceglia fut accusé et arrêté, pour falsification de preuves, un renversement complet de la situation.
Oryn Snider, le sniper |
C'est que l'avocat est pire qu'un requin... « Nous avons une approche, qui est de ne pas faire de prisonniers », expliquait-il au magazine professionnel Law360, véritable référence dans le domaine du droit. Et pour l'affaire Apple contre le ministère de la Justice, c'est la même. En sapant l'intervention du Monsieur Google, en interrogeant avec brio Eddy Cue, vice-président logiciels d'Apple, il a démontré qu'il était au-dessus de la mêlée. Très au-dessus.
Au point que, lorsque le représentant d'Amazon, Russel Grandinetti, passe à la barre, Snyder le fait chanceler, et l'accule à cette réponse : « Je ne suis pas très à l'aise à l'idée de parler du contenu de cette réunion. » Comprendre : une réunion secrète entre Jeff Bezos et ce vice-président responsable des contenus Kindle, dont les propos ne doivent pas, ne peuvent pas sortir de la pièce qui les a accueillis.
Et il ne se démonte pas : quand des experts précisent que la croissance des éditeurs qui se sont engagés dans le contrat d'agence, n'a pas été particulièrement notable, il assure que tout cela est bien normal : Amazon a cessé d'offrir « un soutien marketing et promotionnel », pour lesdits éditeurs. Rien n'échappe, rien n'est laissé au hasard.
Et qu'on accuse Apple d'être au centre d'une toile d'araignée, en constatant que le contrat d'agence vient d ela firme, il démolit tout. Quand on invente une société, ou un modèle économique, il est courant de chercher à contacter des partenaires, et leur offrir des outils contractuels standards.
« Savez-vous que l'email n'a jamais été envoyé ? »
L'un des points d'orgue, exemple parfait de la stratégie du tueur, ce fut ce 11 juin, lors de l'intervention de Keith MOerer, chef de l'iBookstore, interrogé durant plus de quatre heures. Dan McCuaig, un des avocats du ministère de la Justice, tente de sortir sa sulfateuse, pour truffer de plomb l'intervenant. Il pointe l'un des 55 emails de Jobs, où le grand patron échange avec Eddy Cue.
Le 14 janvier 2010, Jobs assure que l'augmentation des prix, ce n'est pas un problème, « tant qu'ils font basculer Amazon sur le contrat d'agence aussi, pour les sorties des nouveautés durant la première année. Sinon, je ne suis pas certain que nous pourrons être compétitifs ».
Est-ce là de l'indifférence, par rapport à Amazon, interroge McCuaig ? « Non », reconnaît Moerer. Mais Snyder a déjà trois coups d'avance : « Savez-vous que l'email n'a jamais été envoyé ? » Bim. Les scrupules de Jobs ne regardaient que lui, et il pouvait bien préparer tous les emails qu'il voulait, pour en faire état, surtout s'ils ne les envoyait pas. Denise Cote ordonne que la question soit rayée du dossier. Trop tard, elle a été posée...
Par Nicolas Gary
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